Quand nous étions sorcières (Nietzchka Keen - 1990)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
Avatar de l’utilisateur
shubby
Assistant opérateur
Messages : 2711
Inscription : 27 avr. 08, 20:55

Quand nous étions sorcières (Nietzchka Keen - 1990)

Message par shubby »

À la fin du Moyen-Âge, la jeune Margit et sa soeur Katla fuient dans les montagnes après que leur mère ait été brûlée pour sorcellerie. Elles trouvent refuge chez Johann, un paysan veuf qui élève son garçon Jonas. Cependant, Katla utilise ses pouvoirs afin de séduire Johann, ce qui déclenche la colère de Jonas. Pendant ce temps, Margit a des visions de sa défunte mère qui lui apparaît lors de visions, et va peu à peu s'enfoncer dans ce monde mystique.

Image

Adaptation éthérée d'un conte des frères Grimm, sortie chez nous seulement en 2020. Incompréhension, d'abord, car Björk figure au casting. Alors encore Björk Guðmundsdóttir, son nom est inscrit au générique. Le film aurait dû débouler dans les 90's en pleine Björkmania. Puis surprise, car c'est très bon - ça cause anglais, non islandais, mais ça passe tant le propos semble universel. La narration est extrêmement poétique, composée bien souvent de plans fixes jouant avec la profondeur de champs. Sens du cadre, de la musique, du son, du jeu d'acteurs, tous au service d'un rythme lent, mais jamais chiant. On peut rapprocher ça du The Witch de Eggers, parce que le sujet, le traitement, une jeune actrice égérie en devenir. Björk comme Anya Taylor Joy sont des créatures de légende aux atours de fées, d'elfes.

Le film est planant, réclame un laisser aller, avec un sens qui se situe davantage dans les effluves de son ambiance que sur un plan pragmatique décousu. Ainsi, les sons qui accompagnent le travail sur les tissus tout du long - couture, froissage, pliage - résonnent plus durement lorsque ces mêmes pratiques entourent la manipulation d'un cadavre. Glaçant. C'est réalisé par une femme. Voilà le pendant féminin d'un Kim Ki Duk. On peut aussi penser à Bergman, évidemment, surtout celui de La source, mais ce serait minimiser l'énergie dépensée par la réalisatrice pour accoucher de cette œuvre troublante. Les courts métrages visibles sur le support BR/DVD de chez Capricci sont sans équivoque, ce sujet récurrent (la femme, l'appréhension d'elle-même, du regard de l'homme, de la gêne du rejeton, peut-être la quête d'un pardon, ou alors non, un bras d'honneur au pardon) lui était très personnel. On sent même que son avatar est, plus que Björk, la grande soeur Katla, très bien jouée par Bryndis Petra Bragadóttir (merci Google) une grande blonde au visage volontaire qui a comme des airs à la Karen Sillas vue chez Hal Hartley. Et là, on rejoint le haut du panier d'un certain ciné indé'.

Nietzchka Keen s'était alors auto-produit, a tourné ce film entre 1986 et 1990 selon les états de ses finances. A un moment, Björk était enceinte, ça se voit un peu si on le sait et qu'on y fait gaffe.
Il n'est jamais trop tard pour bien faire, voir ce film, découvrir un univers, même si la réalisatrice est décédée début 2000's à 52 ans seulement. J'essaye de dégoter son ultime long, terminé alors qu'elle était déjà partie, Barefoot to Jerusalem, mais c'est compliqué. Il faut toujours s'attarder sur ce qu'expriment ceux qui partent trop tôt, c'est extrêmement riche. Souvent dur, mais riche.
Répondre