Il y a forcément de ça, mais ce montage final résonne et dialogue surtout avec les conclusions de Whiplash et La La Land, qui confrontaient la beauté et l'assouvissement d'un art au prix humain qui en a permis l'accomplissement. "Est-ce que ça en valait la peine ?", nous demandaient implicitement ces films. Est-ce que ça en valait la peine, qu'un jeune se fasse humilier par un prof de musique, s'il finit par atteindre une forme de plénitude dans ce rapport de destruction ? Est-ce que ça en valait la peine, qu'un couple soudé par les galères se sépare, si les deux finissent, chacun de leur côté, par assouvir leur rêve artistique ? Rien que pour ça, Babylon porte bien la marque de son réalisateur. Le tourbillon d'images qui conclue le film pose la même interrogation : est-ce que les accomplissements du cinéma, ce grandiose encapsulé au travers de mini-extraits de films ayant marqué l'inconscient collectif, rachètent toutes ces vies brisées en coulisses, ces rêves de gloire déchus ? Pour moi, la balance semble pencher du côté de l'affirmative, parce que ce montage (comme celui à la fin de Cinéma Paradiso) possède une force intrinsèquement galvanisante et émouvante liée à la magie du médium, qui illustre en images la prophétie, quelques scènes plus tôt, de la vieille journaliste. Le sourire de Manny abonde dans ce sens, en ce qu'il exprime une illumination intérieure, que l'on pourra interpréter comme une forme de consolation, voire comme une forme de légitimation a posteriori de la passion sacrificielle qui a animé ces gens. Cela en valait la peine, parce que cette passion a permis de faire du cinéma autre chose qu'un art mineur, pour reprendre les termes du personnage de Pitt. Il a dévoré beaucoup de ses enfants, mais il a innové, en permanence, comme tout grand art qui se respecte (c'est ce qui semble guider le choix des films que l'on aperçoit dans ce montage).Flol a écrit : ↑21 janv. 23, 14:45 À ce titre, il est maintenant temps d’aborder LA séquence, la cata, celle qui à elle seule a failli me faire oublier les quelques qualités évidentes du film : ce montage final, une espèce d'ode aussi neuneu que malvenue au cinéma en tant qu'élément fédérateur.
À ce moment-là, je ne savais même plus ce que je regardais : une pub pour s'abonner à Canal+ ? Un film institutionnel pour redonner au public le goût du cinéma ? Le boulot ultra scolaire d'un étudiant en 2ème année de cinéma, évidemment fan de Godard mais qui aime bien aussi se faire de petits blockbusters comme Avatar de temps en temps ?
Bref : qu'est-ce que ça vient foutre ici ?? Le message est pourtant clair comme de l'eau de roche, et c'est justement ça le problème : ce n'était vraiment pas la peine de nous infliger ce mini-film dans le film pour bien nous faire comprendre que "Ahlala c'est quand même beau le cinéma ! Regardez comme c'est rassembleur, regardez comme tout le monde a les yeux ébahis face au même écran, que l'on soit blanc, noir, jaune ou violet, parce que fuck le racisme !" (super le travelling pas finaud du tout pour bien appuyer ça).
Ce montage - et la réaction apaisée qu'il provoque chez ce personnage, initialement dévasté de voir que les gens qu'il a côtoyés, portés par un amour authentique du médium, servent des années plus tard à créer des gags pour faire rire le public - confirme rétrospectivement les lectures méritoires que l'on pouvait tirer des fins de Whiplash et La La Land. L'art se mérite et ne naît jamais de la facilité, il faut souffrir pour y parvenir. C'est une conclusion à la fois triomphale et amère, où le pouvoir transcendantal et fédérateur du cinéma bute irrémédiablement contre sa cruauté envers ses serviteurs.