Les Dames du Bois de Boulogne (Robert Bresson - 1945)
Publié : 7 juin 19, 15:59
Les avis ne sont globalement pas folichons sur ce qui demeure sans doute mon film de Bresson préféré après Un Condamné à Mort s'est échappé.
Kurwenal a écrit :Tourné en 44, en pleine occupation allemande, c'est le second film de Bresson où sans être univoque ni constante, la rigueur percutante du réalisateur est déjà très présente.
Tiré d'un épisode du fabuleux Jacques le Fataliste de Diderot ( que tout le monde se devrait de reconnaître comme l'une des plus grandes oeuvres littéraires de langue française), porté par les dialogues de Cocteau ciselés comme on peut l'imaginer, le film présente l'histoire de la vengeance implacable et machiavélique d'une femme délaissée.
Quelque peu histrionique, le jeu de Maria Casares séduit et participe par là-même à précipiter le spectateur, qui s'arrêterait à l'apparence de surface, vers toute la vérité, en creux. Il faut aller la chercher dans un jeu du double et une relative inversion des valeurs la dénonciation d'une certaine société et surtout la cruauté du monde.
Ne cherchez pas le mélodrame ou la romance, trouvez plutôt dans ce film le symbolisme de la renaissance.
Un film en apparence simple qui cache la complexité de son projet avec un adresse exceptionnelle. Bresson, cinéaste non commercial, se hisse déjà au niveau de l'excellence. Brillant. Mais beau aussi.
Kurwenal a écrit :Littéraire? ...pourquoi pasVic Vega a écrit :Un beau film c'est vrai mais encore totalement bressonien -dialogue trop littéraire-, je préfère Pickpocket par exemple.
Diderot, puis Cocteau crédité au générique peuvent laisser penser cela!
Maintenant, ce qui est littéraire pour l'un ne l'est pas nécessairement pour l'autre...tout dépend d'où l'on part. Langage châtié ne signifie pas pour autant littéraire...et surtout ne pas oublier que les Dames ne se déroule pas somme toute dans le même contexte que Pickpocket, logique qu'on y parle différemment , non?
A mon humble avis ce qui peut sembler littéraire serait plutôt le parti pris de l'austérité, du phrasé si particulier, du choix du mot et de la précision que visait toujours Bresson. Cela dit, que l'épure, au niveau du langage aussi, de ses derniers films ne soit qu'en gestation dans les Dames, c'est bien ce que je pense.
En tout cas et très personnellement un dialogue dans lequel on trouve par exemple; "Mon cher, vous avez épousé une grue" ne m'apparaît pas essentiellement littéraire mais particulièrement significatif de la richesse de la langue française.
Majordome a écrit :Pour son deuxième film tourné immédiatement après la libération, Bresson décide d'adapter un conte de Diderot, dialogué par Jean Cocteau, avec Paul Bernard et la sublimement photogénique Maria Casarès.
Il s'agit ici d'une machiavélique histoire de vengeance, diablement menée et filmée avec un sens de l'esthétisme qui n'est pas sans rappeler Ophüls.
Un petit trésor porté par ses acteurs admirables, un Noir et Blanc et une mise en scène mémorable.
Depuis le temps que je voulais le voir... je sens que le Critérion rentrera dans ma dvdthèque dès que mes moyens me le permettront.
k-chan a écrit :Un film magnifique ! La douce histoire de vengeance d'une femme sur son amant qui la quittée. Des images en noir et blanc veloutées, des dialogues qui sont tel une caresse (signés Jean Cocteau) et qui n'ont rien à envier à ceux d'un Jacques Prévert, et des acteurs fabuleux (Maria Casarès la première, qui ne s'était parait-il pas du tout entendu avec le réalisateur).
Autant de qualités au service d'une mise en scène parfaite, signée Bresson donc, qui n'avait pas encore adopté son célèbre style.
Une perle !
Kurwenal a écrit :Les Dames du Bois de Boulogne est une des plus parfaites tragédies psychologiques racontée par le cinéma: une vengeance minutieuse, exécutée froidement (au fil du rasoir) et un amour qui s'impose malgré tout.
Le récit cruel est d'une fabuleuse précision, le réalisateur fait se mouvoir les personnages dans un décor presque abstrait et volontairement impersonnel, jouant ainsi sur une brillante intemporalité. La caméra de Ph. Agostini photographie comédiens et décors sans concession à une prétendue composition artistique, préoccupée uniquement de la fonctionnalité dramatique. Tout est subordonné, musique comprise, à une vision ascétique faisant fi de tout éclat passionnel: la violence est intérieure et les images , comme les dialogues stylisées, d'une élégance rare, en sont les seuls véhicules. C'est un film construit et dirigé d'une main de maître par Bresson et si l'on peut y déceler ça et là de rares baisses de tension il faut se féliciter de cette création intègre, exigeante, lucide dont l'impact dramatique, au sens premier du terme, parvient à minorer ces quelques défauts.
Un film dont les re-visions périodiques n'altèrent jamais chez moi le pouvoir de séduction.
Eusebio Cafarelli a écrit :Pour moi c'est une découverte, c'est même le premier Bresson que je vois et... je me suis un peu endormi en cours de route
Bref pas séduit. Certes beaucoup d'éléments sont remarquables, à commencer par la composition de Maria Casares en "veuve noire" impitoyable, ou encore le mariage qui ressemble à une cérémonie funèbre. Mais l'ensemble me parait terriblement daté (même si c'est une adaptation de Diderot) années 30 mondaines (film de 1945), avec des préoccupations morales d'un autre temps, une sorte de rédemption chrétienne prévisible
ou encore un héros (Paul Bernard) bien terne (je trouve aussi les dialogues de Cocteau, comment dire, beaucoup trop littéraires...)
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C'est Diderot, c'est tellement plus sage que Choderlos de Laclos...
bruce randylan a écrit :les dames du bois de Boulogne ne m'a pas emballé plus que cela ( ayant déjà adoré le Bresson de Un condamné à mort s'est échappé apprécié celui de Journal d'un curé de campagne ).
Jeu d'acteur ( et actrices ! ) daté et peu inspiré ( même si maquiller et éclairer la "méchante" comme une vampire est une très bonne idée ), présence anecdotique de Cocteau aux dialogues très moyens. Fin expédiée et bâclée.
Bref à part une photo pas trop moche et une mise qui se contente de filmer les personnages dans des appartement vides pour montrer leur solitude, pas grand chose à se mettre sous la dent.
Mais bon, je suis méchant, le synopsis était très bon ( une femme blessée par son amant manipule son entourage pour le blesser à son tour ). Dommage que l'histoire et le traitement ne soit pas à la hauteur
Un belle grande déception pour un film que me faisait envie depuis longtemps.
Ballin Mundson a écrit :Avec tout ce que j'avais pu lire sur Bresson, j'étais plein d'appréhension en découvrant ce film.
Finalement j'ai été très surpris de découvrir un film au style très classique et très abordable.
Une machination implacable à la liaisons dangereuses sans temps mort avec des dialogues dans un français éblouissant.
En revanche le "jeune premier" pour lequel s'étripent ces dames est aussi charismatique et émoustillant qu'un sandwiche mouillé.
Il me semble aussi que le film aurait été plus cruel et plus fort sans l'épilogue larmoyant et mélodramatique.
Nestor Almendros a écrit :Ce n'est pas un cinéma qui me touche, je ne m'y sens pas à ma place, il ne m'inspire pas. C'est un style particulier, très contenu, aux développements scénaristiques intéressants mais dont le traitement me laisse froid.
Pourquoi ai-je tenu à en parler ici, alors? J'ai été séduit (le mot est adéquat) par Maria Casares. Je ne connais pas cette actrice (en tout cas je ne l'avais jamais remarqué auparavant) mais elle est ici diaboliquement envoutante. Un charme noir, ténébreux, par son physique (brune très classe, ici habillée de noir), sa voix (un brin cassée), ses regards en coin (que Bresson semble également énormément apprécier, puisque son style se repose en partie sur le jeu des regards).
J'ai noté aussi, pour l'anecdote, une forte ressemblance (en brune) avec Chloé Sevigny.
Wadam a écrit :Aidé par de magnifiques dialogues écrits de la main de Jean Cocteau, poète dans l'âme et dans le ton, Bresson se concentre sur les rapports difficiles et acerbes entre les classes sociales. Si le film est loin de dénoncer la piètre condition des plus démunis, il montre à voir une scabreuse manipulation psychologique et morale. Une dame de la haute société orchestre une vengeance autour de son ancien amant. Elle utilise une jeune femme de cabaret pour le séduire, et l'attire dans le piège de l'amour. Le rabaissement social hante systématiquement les face-à-face entre les différents personnages. Le rapport de force naturel est perçu avec virulence et causticité. Les individus sont condamnés à s'aimer puis à se haïr, ou à se haïr puis à s'aimer. Mais au delà de ces émotions qui forgent tout être humain, il n'y a pas de passion sans preuves de cette passion. La célèbre réplique écrite par Cocteau illustre à point nommé les événements dramatiques qui se déroulent dans ce film de Bresson. Un être peut aimer et rendre de la haine envers celui qui aime.
Comme pour Les Anges du Péché, Robert Bresson en est encore aux prémices de son identité cinématographique. Mais il choisit l'humilité et traite avec beaucoup de retenue cette libre adaptation d'un écrit de Denis Diderot. On sent le cinéaste très mesuré dans ses choix techniques et dans l'élaboration des scènes. Rien ne doit être exagéré, et aucune surenchère n'est permise. La gravité du sujet ne doit pas être prétexte à des égarements émotionnels.