Truffaut Chocolat a écrit :Si vous l’avez déjà croisé, c’est marrant de voir qu’il est exactement à l’image qu’on peut s’en faire. Je suis vraiment content qu’un type comme lui puisse tourner.
Je l'avais croisé à l’Étrange festival il y a deux ans et j'avais pu discuter quelques instants avec lui. Je m'étais livré à une défense sincère de
Love, et avais exprimé mon dépit face aux mauvaises critiques que le film s'était pris. Et il m'avait répondu un truc du genre : "Bah, on les changera plus, maintenant".
Il doit certainement goûter l'ironie de la situation renversée que connaît
Climax, avec ces papiers élogieux pour son film probablement le plus conceptuel à ce jour. Pourtant,
Climax me paraît au final bien moins intéressant que ses deux précédentes expériences de cinéma (
Enter the void et
Love, donc). Ce qui me fascine chez ce Noé-là, c'est l'imprégnation de la forme entrouverte par
2001 ou
Brainstorm, avec ce désir obsessionnel d'emmener le spectateur vers un au-delà de la conscience au travers d'images, de cadres et de mouvements de caméra à la fois authentiquement démiurgiques et viscéraux. Noé fait partie de ces quelques cinéastes capables de rendre la matière-film proprement transcendantale de par ce qu'elle montre et la manière dont elle le montre, c'est un maverick visionnaire (au sens propre du terme) sans équivalent dans le cinéma français ("un film français et fier de l'être", clame un carton au début de
Climax).
Le problème de son dernier film, et ce qui en fait pour moi sa pauvreté, c'est que l'expérience ne s'appréhende ici que comme un (bad)trip littéral et rien d'autre, là où
Enter the void ou
Love adossaient ce travail de mise en scène démiurgique à un flux de réminiscences (souvenirs inextricables d'une romance perdue) ou d'informations cognitives (expérience de mort imminente et migration de l'âme) : forme et fond s'unissaient, jusque dans les tics de réal' (les cuts avec cette milliseconde au noir, façon clignement d’œil), pour secouer le médium et aller chercher quelque chose qui dépasse le simple cadre contraint du grand écran. Si tant est qu'on se laisse embarquer, on se détache de la couche des images pour être pris d'une forme de vertige métaphysique.
Climax, c'est
juste du sensoriel pour le sensoriel, sans autre argument que celui de filmer une transe extatique puis cauchemardesque, d'imprimer sur pellicule un concentré de chaos concupiscent (et ce, dès les inénarrables dialogues du début) et bestial, puisque tous les bas instincts de l'humanité mijotent dans cette cocotte-minute à prétention politique. Malgré une ouverture chorégraphique absolument sensationnelle, augurant du meilleur, et des séquences de street dance hypnotiques dans les effets obtenus des corps et de leurs convulsions, le film ne fait que s'affadir plus il avance et se complait dans une redondance rédhibitoire. Si le bad-trip flirte momentanément avec les canons du cinéma de genre (paranoïa, confinement, contamination), il s'avère, de manière décevante, n'être qu'un dispositif scénique censément asphyxiant (quoique pas exempt d'humour) où l'on suit, au bout du énième travelling dans des couloirs aux couleurs infernales, des personnages hurler, tituber ou se rouler par terre. Malgré la dimension chorale et symbolique du truc, on peut difficilement tenir longtemps avec quelque chose d'aussi ténu et pire que l'ennui, c'est l'antipathie qui menace face à l'étroitesse de toute cette démonstration stylistique tournoyante : on sort de là non seulement lessivé mais aussi avec le sentiment qu'il y avait quelque chose de bien plus stimulant à faire à partir du pitch que l'interminable clip stroboscopique, façon campagne de prévention, imaginé par un Noé brouillon, qui voudrait caresser la radicalité d'un Zulawski ou d'un Ken Russell et dans le même temps, la logique souterraine d'une parabole (ne se prenant toutefois guère au sérieux) sur le vivre-ensemble en France. Cette indécision, ce potentiel laissé en friche, condamne le film à demeurer un exercice de style tapageur et, au mieux, inoffensif - quel dommage quand on voit la première demi-heure. Le geste a beau être entier, avoir du panache, secouer les puces et les lignes du cinéma hexagonal, et s'imprimer immédiatement en mémoire, il lui manque des ressources essentielles pour mériter un développement de long-métrage.