Et pour l'inaugurer, voici un petit billet que j'avais posté ailleurs sur The War.
Je sors d’un second visionnage de The War (le 1er avait eu lieu en 2008).J’aimerais un jour faire l’expérience de le voir en V.O. ne serais-ce que pour échapper aux chevauchements des voix des interviewés avec celles de leurs interprètes. Mais rien ne presse car je ne suis pas prêt de renoncer à la présence vocale de Philippe Torreton, habitué que je suis à l’entendre égrener, comme une litanie lancinante, les quatre villes protagonistes que sont Luverne dans le Minnesota, Waterbury dans le Connecticut, Mobile en Alabama et Sacramento en Californie.
The War est un film à deux facettes en fonction d'où l'on se positionne pour l'appréhender. Il est une americana dont les héros sont aspirés par le plus grand cataclysme de l’histoire humaine et il est aussi, dans le même jaillissement, l’histoire directe de ce cataclysme. Bertrand Tavernier, dans le substantiel texte qu’il consacre à Ken Burns, en général, et à The War en particulier, dans un numéro de Positif d’Avril 2008, souligne l’indélicatesse de ceux qui ont pu reprocher à The War son américano-centrisme. Ce n’est effectivement pas bien malin de leur part car l’œuvre est conçue de telle sorte que la spécificité de l’engagement américain dans la guerre est indissociable de la singularité tragique de ce qui s’est joué en Europe. The War raconte à peu près ce que narre The Deer Hunter (évocation douloureuse et humble du basculement d’une communauté dans la guerre) mais à une échelle incommensurable. Pas de place ici pour l’exaltation, pour l’élan patriotique, la célébration.. The War est ni plus, ni moins l’ histoire insondablement déchirante d’êtres de chair et de sang précipités dans la plus gigantesque tempête de métal de l’Histoire. Ce documentaire est aussi le plus grand film de guerre, complément indispensable d’œuvres de fiction que l’on a aimée et que bons nombres d’images vraies font ressurgir. The War rend caduque toute objection sur l'ambiguïté du spectacle de la guerre au cinéma et pas seulement parce qu'il est un documentaire. Car on y trouve ce spectacle (certaines images sont incroyables) en même temps que l'effroi qu'il suscite. Jamais un spectateur n’aura ressenti avec une telle acuité ce qu'il imagine être la réalité physique d’un combat, le sentiment d’insécurité, l’abattement psychique du soldat grâce à un montage aussi virtuose que savant qui agence au rasoir des archives de toutes origines, et prend le soin maniaque (c’est ce qui impressionne le plus) de toujours corroborer un propos tenu par l’image correspondante. De la solennité intimidante de William Walton à la respiration poignante du Concerto pour clarinette d’Aaron Copeland, en passant par les volutes aussi plaintives que félines de Wynton Marsalis, la musique, soigneusement établie, participe de la poésie incantatoire de l’œuvre. Des images cinéphiliques, disais-je, ressurgissent. J’en choisirais deux, pour moi parmi les plus fortes que le cinéma m’ait données sur le sujet. Celles qui nous montrent, à la fin de Hair, de Milos Forman les Marines s’engouffrer dans les ténèbres d’un avion de transport de troupes en partance pour le Viêt-Nam. Soldats aspirés, puis régurgités sous forme de spectres nippons par les mêmes ténèbres dans le génial segment de Rêves, de Kurosawa, intitulé « Le Tunnel ».
Deux images à la forte puissance métaphorique entre lesquelles nous ravage ce chef d'œuvre de Ken Burns, sur lequel je ne manquerai pas de revenir.