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Ava (Léa Mysius - 2017)

Publié : 12 juil. 17, 12:48
par Anorya
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Ava, 13 ans, est en vacances au bord de l'océan quand elle apprend qu'elle va perdre la vue plus vite que prévu. Sa mère décide de faire comme si de rien n’était pour passer le plus bel été de leur vie. Ava affronte le problème à sa manière. Elle vole un grand chien noir qui appartient à un jeune homme en fuite…


Pour son premier film, Léa Mysius intrigue et fascine.
Justesse du regard, bande-sonore et son au diapason de ce que vit Ava, mise en scène élégante qui cogne derrière l'aspect supposément classique (à la limite les split-screens au milieu de film sont ce qui se repère très vite. Par contre, faire régulièrement prédominer l'avant-plan et garder constamment l'arrière plan dans le flou pour témoigner de la vision d'Ava, sans qu'on n'y fasse garde à première vue, ça c'est brillant), le film avait déjà tout en main pour nous embarquer. Mais ce serait aussi oublier les comédiens, en particulier Noée Abita qui cloue sur sa place par sa justesse, sachant être tour à tour mutine, de glace et de feu, embrasée, jusqu'au plan final,
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clin d'oeil évident à François Truffaut je dirais.

Entre un mal qui la ronge et la condamne brusquement à la nuit et une mère qui n'est pas même capable de la comprendre, Ava choisit la fuite en avant et emporte de fait le spectateur avec elle dans sa douce folie de liberté. C'est une survivante, ou plutôt elle choisit de le devenir, consignant dans son carnet ses désirs, son ressenti douloureux et le chemin à parcourir pour espérer s'en sortir. Un garçon lui a dit sur la plage, l'apocalypse approche, il va falloir s'y préparer. De ce même garçon, très gauche finalement, Ava demandera un baiser. Pour essayer. Pour voir. Pour espérer qu'il y ait des lumières dans la future nuit, nourrir l'espoir.


Alors Ava s'élance. Les yeux bandés, voire le corps nu (dans une superbe scène d'acceptation de la nature à travers de son ressenti). Le cerbère noir sera son ange gardien, Juan, son maître, sera son amoureux. Désir fougueux à assumer puisqu'on a plus rien à perdre. Quitte à braquer des vacanciers pour s'amuser ou par amour (même si l'on croit s'en cacher parce qu'on n'ose se l'avouer en face), récupérer des clés de voiture dans un campement où l'élu de son coeur est dorénavant interdit de séjour. Il faut faire vite, les cerbères des forces de l'ordre, étonnant nazgulls de noirs dans le contraste brûlant de la photographie en 35mm sont là sur ses traces.


Cours Ava, vole, mais ne te brûle pas les ailes, de garde ! Et la jeune ado grandit déjà pour, de sa chrysalide, devenir en un été, une adulte. Assumant les non-dits, loin de tout pathos (la figure de la mère qui semble à la fois tromper son célibat comme la douleur de sa fille en choisissant d'emblée de coucher avec le premier venu plutôt que de tenter un rapprochement avec sa fille...), Ava se taille une route solaire. Une route à la fois tordue et où le soleil manque constamment de crâmer les êtres mais où les remords et l'espoir sont coulés dans la même douceur.



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P.S / Edit : Laure Calamy : :shock: :oops:

Re: Ava (Léa Mysius - 2017)

Publié : 12 juil. 17, 19:02
par Thaddeus
Merci pour cette joli éclairage sur le film, Anorya. Je partage totalement ton enthousiasme pour cette chronique adolescente qui, sur le papier, cumule tous les poncifs et handicaps généralement véhiculés par ce genre d'entreprise. Un été à la plage ? Une jeune fille farouche ? Des hormones qui travaillent ? On a déjà vu cela cent fois, et Léa Mysius se coltine crânement ces écueils pour mieux les détourner, faisant confiance en ses idées aussi bien formelles (le jeu sur le pelage noir du chien vagabond) que narratives (l'échappée buissonnière où les jeunes héros s'encanaillent en Bonnie et Clyde des dunes). J'ai été particulièrement frappé par la sensualité que dégage le film : le fouet de l'écume sur la peau, la brûlure du soleil au zénith, la caresse du sable que l'on fait glisser dans la main, la moiteur d'une sieste dans la chambre en plein après-midi, la découverte de son propre corps et de celui du garçon aimé... Toutes ces sensations sont palpables, tangibles, d'autant mieux véhiculées qu'elles correspondent à un état sensoriel que l'on comprend être le dernier (ou au contraire le premier). Dans son rôle de sauvageonne obstinée, assez abrasive, peu amène voire carrément cassante (sa mère l'accuse à un moment d'avoir du poison dans les veines), Noée Abita fait merveille. Elle intrigue, elle séduit, elle émeut, parce que sa témérité est pleine et entière, et parce que son entêtement à rester fidèle à ses sentiments, envers et contre tous(t), éclaire son parcours de la certitude qu'elle en sortira épanouie. Le plan gelé qui conclut le film est superbe en effet : voilà bien le sourire radieux d'une jeunesse triomphante, celui qu'Ava retenait pendant tout le film et qui illumine enfin son visage.

Et quel beau "diptyque" officieux le film forme-t-il avec Grave de Julia Ducournau, dont il partage une partie du champ thématique.