Shin Cyberlapinou wrote: ↑8 Apr 22, 13:35
Ah, intéressant, un peuple dont la culture est basée sur l'idée d'honneur et de déshonneur aura forcément du mal à accepter une défaite aussi totale que celle de 45.
Personnellement, je crois que l'occidentalisation forcée du Japon d'abord à l'ère Meiji (voir le roman
Je suis un chat de Natsume Sôseki, par exemple) et puis ensuite après la Seconde Guerre mondiale ont dû bouleverser les mentalités des habitants de l'archipel. Pour caricaturer, les Japonais sont quand même passés de la féodalité à la Révolution industrielle en moins d'un siècle alors que ça en avait pris quatre pour l'Occident ! Un processus imposé par les autorités, ce qui fait sans doute que les mentalités n'ont pas eu le temps d'évoluer naturellement et graduellement à l'aune de tous ces changements.
Pour en revenir à 1945, cette
postface de Mamoru Oshii au manga
Seito est assez éclairante : le réalisateur se décrit, lui et sa génération (celle d'après-guerre), de manière limite schizophrène : partagée entre, d'une part, la volonté d'incarner le pacifisme démocratique, et, de l'autre, le fantasme de victoire du Japon (qui faisait partie de l'Axe, rappelons-le si besoin est) lors de la Seconde Guerre mondiale.
Je trouve que l'on peut aussi percevoir ce côté "réactionnaire" dans la différence de traitement entre western et film de samouraï.
Dans certains westerns (
Ex. L'Homme qui tua Liberty Valance,
Il était une fois dans l'Ouest), la fin de la période décrite, amenée entre autres par la modernisation, est accompagnée d'une certaine tristesse, mais aussi globalement perçue comme une évolution nécessaire. Par contre, certains films de samouraïs (
Ex. Les Derniers Samouraïs de Misumi) présentent la fin de leur ère comme un déclin moral : le passage à un monde "pourri", dénué de valeurs, nettement inférieur. Evidemment, il y a des exceptions (
Contes cruels du Bushidô de Tadashi Imai,
L'indomptable d'Edo de Taï Katô).
D'où, à mon sens, la tentation apocalyptique que l'on retrouve dans certains films de SF japonaise (
Ex. Akira,
The End of Evangelion) : détruire le monde occidentalisé post-Seconde Guerre mondiale "pourri" pour recréer quelque chose de mieux. Bien sûr, cela peut également être influencé par le bouddhisme (cycle de réincarnations...).
Shin Cyberlapinou wrote: ↑8 Apr 22, 13:35La spécialiste du Japon et de la sexualité Agnès Giard soutenait que le mâle japonais avait été brisé par la guerre, devenant de fait un incapable humilié et dévirilisé (...)
On retrouve le propos d'Agnès Giard que tu résumes dans cette déclaration assez connue de Hideaki Anno (
Evangelion) :
Atlantic Magazine wrote:Anno understands the Japanese national attraction to characters like Rei as the product of a stunted imaginative landscape born of Japan’s defeat in the Second World War. “Japan lost the war to the Americans,” he explains, seeming interested in his own words for the first time during our interview. “Since that time, the education we received is not one that creates adults. Even for us, people in their 40s, and for the generation older than me, in their 50s and 60s, there’s no reasonable model of what an adult should be like.” The theory that Japan’s defeat stripped the country of its independence and led to the creation of a nation of permanent children, weaklings forced to live under the protection of the American Big Daddy, is widely shared by artists and intellectuals in Japan. It is also a staple of popular cartoons, many of which feature a well-meaning government that turns out to be a facade concealing sinister and more powerful forces.
Anno pauses for a moment, and gives a dark-browed stare out the window. “I don’t see any adults here in Japan,” he says, with a shrug. “The fact that you see salarymen reading manga and pornography on the trains and being unafraid, unashamed or anything, is something you wouldn’t have seen 30 years ago, with people who grew up under a different system of government. They would have been far too embarrassed to open a book of cartoons or dirty pictures on a train. But that’s what we have now in Japan. We are a country of children.”
(source)