Et comme beaucoup je suis venu à eux grâce à Neil Young.
Et l'idée me trottait également depuis un moment de créer un petit topic pour les autres passionnés de leur musique, parce que je ne pense pas être non plus le seul dans ce cas là.
Bref, je me suis dit que ce serait chouette d'évoquer un peu la carrière de Crosby, Stills, Nash et leurs projets solos, tous aussi passionnants et pertinents que quand ils sont ensembles. David Crosby. Stephen Stills. Graham Nash. Mais pas forcément Neil Young. La discographie de Neil étant déjà très riche et un monde à part (il a même son propre topic sur Classik. Si j'inclus Neil Young alors qu'il a souvent été avec eux mais aussi bien plus sans eux, on est pas couchés. Enfin moi surtout), je me suis permis de l'omettre un peu pour me concentrer sur ses compères qu'on finirait un peu par oublier aujourd'hui, à tort je dirais.
Mais même encore aujourd'hui comme on dit, ils ont de beaux restes.
Alors allons-y pour le jukebox discographique de Stephen Stills, David Crosby et Graham Nash, l'anglais du lot (Young est canadien mais bon, le Canada c'est à côté chez eux, ça compte pas), l'une des plus belles pièces rapportées qu'on pouvait trouver et qui a su parfaitement s'intégrer aux autres.
Crosby, Stills & Nash (1969) - Crosby, Stills & Nash
Premier album du supergroupe de folk-rock aux voix magiques où tout fait sens, il demeure leur plus connu mais pas non plus leur meilleur à mon sens (je précise que ce commentaire comme souvent n'engage que moi). C'est un peu comme Harvest chez Neil Young, l'arbre (le bel arbre même) qui cache la forêt un peu à tort. Cependant on ne peut pas minimiser l'impact qu'il a eu à sa sortie et puis toutes les chansons sont vraiment bonnes qui plus est.
Avec ce disque se pose aussi les bases des styles de chacun des protagonistes. Cérébral et virant volontiers vers des atmosphères décalées ou planantes chez Crosby (on lui doit ici le superbe Guinnevere qui préfigure ce qu'il fera en solo mais le Wooden ship en duo avec Stills est aussi fascinant), plus pop chez Nash (Marrakesh express), plus rock chez Stills (Suite : Judy blue eyes). Si tous trois signent textes et compositions ensemble ou de leur côté, Stills s'occupe d'harmoniser tout ça en s'occupant d'un peu tous les instruments, laissant juste la batterie à Dallas Taylor (pas vraiment crédité d'ailleurs à ce qu'il me semble).
Petite anecdote : la photo de la jaquette provient d'une unique séance devant une maison complètement délabrée. Quand ils voulurent retourner pour faire d'autres photos (ils sont positionnés à l'envers de ce que le titre dit sur le canapé. On a donc la typo qui nous dit Crosby, Stills et Nash mais sur le canapé, c'est Nash, Stills, Crosby !), la maison avait été démolie juste après.
Crosby, Stills, Nash & Young (1970) - Déjà vu
Le titre annonce bien la couleur, ce ne sera pas une petite révolution comme leur précédent disque. Mais en rajoutant Neil Young au groupe, ils n'ont jamais aussi bien joué. Inutile de dire que l'apport de Young est des plus importants vu que le canadien à l'instar des autres n'est pas un manchot d'une part et que d'autre part, Neil, il a quand même une belle voix (non, si, quand même hein ?). Le voilà leur chef d'oeuvre, enfin l'un des deux du groupe (avec le CSN de 1977). Compositions belles à pleurer, son sublime, revendications liées à l'époque. Les larrons reprennent le Woodstock de leur amie Joni Mitchell (qui sortait avec Nash à l'époque. Là c'était pour la parenthèse ragots, je referme) dans une version plus rock et toute aussi passionnante (l'originale à la voix et orgue, intimiste et de toute beauté est recommandée aussi, à écouter près du feu, lors d'une nuit baignée d'étoiles). Mais sur cet album il y a aussi le génial (halluciné ?) Déjà vu que l'on doit à Crosby, LA chanson qui fait qu'il vous faut ce disque (de facture plus classique, Almost cut my hair, aussi de Crosby est plus intéressante pour ses paroles qui se moquent gentiment du mouvement hippie).
Côté son, le ton s'est durci et est plus rock. Les égos ont aussi un peu gonflés entre-temps, ça joue.
Avant ça, les compères avaient participé à Woodstock où Neil Young les avait rejoint (si on ne le voit pas sur les vidéos ou mal c'est qu'il avait demandé à ce qu'on ne le filme pas) et avaient remporté un beau petit succès. Cela n'empêche pas les engueulades et Nash qui joue déjà à faire ce qu'il fera pendant près de 30 ans : jouer les intermédiaires si ça va mal et calmer le feu (surtout entre Stills et Young qui ont un sacré caractère). Chacun s'arrange finalement au bout d'un moment pour faire ses parties de chant voire guitare dans son coin quand un autre n'est pas dans le studio, Stills venant très tard dans la nuit pour assembler le tout au montage. Une entreprise casse-gueule et au final une osmose magique et une grâce qui frôle les astres.
Crosby, Stills, Nash & Young (1971) - 4 way street
Au moment où le double LP sort en avril 1971, le groupe a splitté, tout le monde fait donc à peu près la gueule et part sur des carrières solos (assez fantastiques au début d'ailleurs). Ce live est donc la résultante de 3 concerts pris de ci de là mais pour une qualité de son exceptionnelle et faisant autant la part belle aux titres du trio/quatuor qu'à leurs interprètes (on retrouve donc avec joie des morceaux de Neil Young issu de son After the gold rush paru dans la foulée).
Le premier disque est entièrement accoustique, chose qu'on ne retrouvais pas forcément dans les disques studios (ou pas aussi étendu), le second, électrique, et je ne peux m'empêcher d'approuver complètement cette galette là où l'autre me laisse complètement froid. Parce que là, en live, on sent bien dans un Southern man de Young, originellement long de 5 mn (le titre le plus long d'After the gold rush) et étendu à 13mn45, toute la tension qui règne dans ces joutes de guitares électriques que s'envoient Young et Stills. Quand l'un commence un solo et le fini, l'autre y répond avec un air de "allez viens, fuckin' canadian, je t'attends", c'est proprement fabuleux. Surtout après un premier LP tout doux pour ne pas dire tout mou. Là on se sent tout dur, tout chose. C'est beau. Quand Young sort l'inédit Ohio en réaction à la fusillade qui a eu lieu sur le campus de la Kent State University le 4 mai 1970, c'est foutrement pas dégueu non plus. Et sur un Carry on de Stills de 4mn sur Déjà vu, ici porté au flamboyant sur près de 13mn au forceps par Stills, on est content aussi, on se dit qu'on a bien fait de venir.
Succès pour le disque suite à des tournées à guichets fermés, pas de pot, 'a pu personne, tout le monde est reparti sur sa route, on plie bagage. Mais ce n'est pas encore la fin de l'histoire heureusement.
Stephen Stills (1970) - Stephen Stills
Excepté Young qui avait déjà plus ou moins débuté en solo avant de rejoindre CSN, c'est Stills qui dégaine le premier.
L'expérience du super-groupe et avant ça Buffalo Springfield (où déjà il côtoyait Young) lui ont donné des idées et une soif énorme d'expériences sonores en tous genres dans différents registres musicaux. Il créera par la suite un groupe, Manassas, à même d'explorer toutes les portes qui s'ouvrent à lui mais déjà avec ce premier album solo (et dans une moindre mesure l'année d'après le Stephen Stills 2), il se fait bougrement plaisir. Ce qui donne :
Hey Jimi, tu es libre pour venir un peu tenir la gratte sur mon disque ? Ouais ? Cool man. Et c'est comme ça qu'on a un Jimi Hendrix qui vient pépère et en petite forme quelques mois avant sa mort pour graver quelques notes pour son pote Stephen sur un Old times good times qu'on aimerait que ça dure plus longtemps.
Hey Eric, l'englishe, j'aime bien ce que tu fais, t'es tenté pour t'échauffer un peu avec moi ? Une répèt pour commencer ? Ok.
Et ainsi, Eric Clapton arrive, il y a juste une répètition avec tous les autres musiciens que la prise est tellement bonne sur un blues de près de 6mn que finalement elle est gardée directement. Comme dirait ébahi dans les notes du CD des décennies plus tard Stephen Stills "Bon, c'était Eric Clapton, les mecs."
Hey msieur Ringo Starr, ça vous dit de venir passer en coup de vent ? Vous voulez pas être reconnu ? Oh ben on vous crédite juste "Ritchie" dans les notes, ça vous va ? Eh, David et Graham, ça vous dite de passer faire les choeurs comme dans CSN ? Ouais merci les potos, vous êtes cools. Voilà pour l'ambiance.
Inutile de dire que quand on est bien entouré comme ça et qu'en plus on joue bien, on ne risque pas de se planter. De fait, c'est un grand disque. Stills passe d'un style (blues-rock avec Clapton qui devient de plus en plus incendiaire, folk-choral avec le classique Love the one you're with --repris très médiocrement par Idris Elba à l'accordéon dans Prometheus hihi --, ballade douceâtre avec To a flame, folk un peu gospel avec Church, rock avec cuivres sur Cherokee, en passant par une petite pique adressée à Neil Young sur We are not helpless --clin d'oeil à Helpless sur Déjà vu et composition de Young à la base...
Et le meilleur est encore à venir.
David Crosby (1971) - If I could only remember my name
On se serait attendu à ce que ce soit Stills qui parte à fond le plancher pour sans doute rivaliser (en vain) avec le canadien.
On ne se serait pas attendu à l'album de Crosby, folk-rock électrique de magnitude 10 qui enregistre les derniers soubresauts hippies et la fin des illusions avec une lucidité qui laisse complètement K.O (et pour cause, Crosby vient de perdre sa compagne Christine Hinton à ce moment là. Donc son moral n'est pas vraiment à la fête, ça non). Ou pour reprendre un magasine de musique que j'avais lu il y a plusieurs années mais dont la formule m'avait marqué : "la plus belle descente d'acide entendue de ce côté de l'Atlantique".
Effectivement.
Oeuvre étrange hantée par la solitude et la perte des proches, disparus dans des accidents ou la drogue (où Crosby sombrera aussi par la suite) où un "I'd swear there was somebody here" (comme si Christine était encore vivante, cachée quelque part.... dans un recoin de la maison) qui résonne porté uniquement par la voix de Crosby en écho referme le disque dans une impression étrange. Où un cowboy movie est un doigt d'honneur au passé (enfin, adressé à la fin de l'expérience C,S,N & Y qui a laissé alors à ce moment Crosby assez amer), épique de ses 8 minutes. Où un tiers du disque est composé d'instrumentaux qui sont pourtant des portes ouvertes sur le rêve et l'ailleurs (allez hop un peu de Tamalpais High tiens) sans toutefois négliger un certain mal-être. Quelque chose qui laisse des regrets en bouche même si le voyage est extraordinaire et laisse sur le cul face à un disque très personnel.
Côté guests, Crosby n'est pas en reste puisque il y a des musiciens de Jefferson Airplane, du Grateful dead, deux membres de Santana sans oublier Young, Nash et Joni Mitchell pour les choeurs. Le mot n'est pas usurpé ici mais attention, chef d'oeuvre.
Stephen Stills/Manassas (1972) - Manassas
Stills monte donc son supergroupe avec Chris Hillman (pote des Byrds) et dont le nom est repris d'une petite ville perdue de Virginie ayant connu les ravages de la guerre de Sécession. 7 musiciens virtuoses (et 2 musiciens additionnels) pour un double disque rempli de 21 compositions qui, comme pour l'album Stephen Stills, partent dans plusieurs directions musicales. Pour cela, Stills et son ami co-leader divisent les 4 faces selon une thématique bien précise (pas forcément toujours évidente à l'écoute). La première, où tous les morceaux s'enchaînent est The Raven (s'il y a un hommage caché à Edgar Allan Poe, je cherche encore), la seconde, The wilderness (avec quelques morceaux qui virent country parce que la nature, l'aspect wild, les grands espaces, les cowboys quoi...Mouais. Bon je suis pas country mais ça passe. Un peu. Pas toujours), la troisième, Consider (avec des ballades), la dernière, Rock & roll is here to stay (qui annonce bien la couleur). Bref, tout un programme.
Et que de perles là aussi. Manassas n'aura connu que deux disques (3 si on compte le très bon "pieces" sorti en 2009 rempli d'inédits et de face B que papy Stills a sorti de son grenier dans la joie et la bonne humeur) et une année d'existence mais le multi-instrumentaliste Stills et ses acolytes y auront gravé probablement leurs plus belles créations. Je ne me lasse pas de m'extasier devant un Both of us (bound to lose), Johnny's garden ou un Right now des plus énergiques.
David Crosby & Graham Nash (1972) - David Crosby & Graham Nash
David Crosby & Graham Nash (1975) - Wind on the water
Crosby et Nash ont aussi fait des disques à deux sur lesquels il est bon de se pencher si on aime déjà tous les disques que j'ai cité. C'est la période où Crosby est encore très créatif et à son meilleur (Dans les 80's, on ne pourra pas en dire forcément autant). Quand à Nash, trop souvent relégué au rayons des pop-songs sucrées, le bonhomme va de plus en plus étonner par sa capacité à surprendre et à se renouveler en sortant de sa zone de confort, en plus d'un sens aigû de la mélodie. En somme ce n'est pas comme le pauvre Ringo Starr dans les Beatles dont les mauvaises langues faisaient les pires plaisanteries, et non, Nash n'est certainement pas la 4ème roue du carosse. Avec Crosby il fait jeu égal et leurs harmonies vocales sont aussi riches que celles avec Stills ou avec Stills et Young.
Leur première collaboration enregistrée dans la foulée d'une tournée live et quasiment à l'improviste (il fallait un disque pour valider la tournée. Les deux copains l'ont fait comme ça à la va-vite et le pire c'est que ça tient. C'est rageant d'avoir tout ce talent en or et de le foutre en l'air à cause de plein de conneries dans les 80's) réserve des ballades sensibles et douces et là encore de bells choses. Il y eut même un hit, Immigration man qu'on doit à Nash (c'est d'actualité j'ai envie de dire...). Pour autant, c'est Crosby qu'on sent encore supérieur à son ami, emballant les chansons toutes en retenues mais qui dégagent une indéniable classe (Page 43 ou bien Whole cloth).
Wind on the water est encore meilleur. Plus péchu, plus rock, allignant une première face exemplaire (enchaîner Mama lion, Bittersweet et Take the money and run, le pied) où l'on sent bien ici que Nash est à jeu égal avec Crosby tant sur le plan des harmonies vocales que des chansons. Ce dernier poursuit ses recherches sonores le temps d'un morceau co-écrit avec son ami, To the last whale dont la première partie est inspiré de la musique de Bach, dixit Crosby himself ! Le titre de l'album ici vient d'ailleurs d'une des paroles de cette chanson évoquant la disparition progressive des baleines.
Crosby, Stills & Nash (1977) - CSN
6 ans sans nouveaux projets et voilà soudain une reformation inespérée et d'autant plus bienvenue qu'ici, mais c'est subjectif, les 3 artistes livrent le meilleur disque de CS&N avec Déjà vu. Voilà donc l'album à avoir (ou du moins l'autre album), toujours injustement caché par l'album éponyme Crosby, Stills & Nash de 69. Et pourtant à l'époque, alors que la vague punk commençait à atteindre les côtes américaines, le public ne s'y trompa pas et l'album fut le numéro 2 des meilleures ventes de l'année aux U.S.A (derrière un certain Rumours d'un petit groupe nommé Fleetwood Mac... une broutille quoi... *tousse* ). Pour ce disque, nos héros délaissent le folk-rock pour une musique plus pop-rock proche du style west-coast sans toutefois oublier ce qui fait leur patte inimitable, leurs voix fabuleuses.
Il a beau sourire et sans doute qu'il est tout content de son joli voilier où la photo de la pochette est prise mais on sent le père Crosby en petite baisse (3 titres et dans l'album de 82, il n'en signera plus que deux, laissant tout le travail à ses compères). Pourtant ses compositions sont bonnes mais font pâle figure cette fois pour un Stills en pleine forme (Dark star, la coolitude incarnée) et surtout un Nash qui continue de sortir des sentiers battus (Take the money and run sur l'album Wind on the wind et ici le fabuleux Cathedral, attaque froide des travers de la religion). Surtout, l'album est plein des expériences diverses traversées par les trois et on y ressent un vrai besoin de chaleur humaine, de générosité de refaire de la musique ensemble entre potes, sans se prendre la tête. Un titre court comme Just a song before i go (écrite en vitesse record par Nash dans un taxi en direction de l'aéroport suite à un pari entre lui et Stills !) résume bien au fond ce disque, à emporter sur une île déserte, ou sur son voilier, mais à conserver comme un ami précieux.
Et je vais m'arrêter là pour l'instant. On aura probablement de quoi faire encore plus tard. La carrière solo de Nash, d'autres albums de CSN ou Crosby et Nash, l'excellent Croz de Crosby en 2014... Oui, il y a de quoi faire, assurément.