La Vérification (Alexeï Guerman - 1971)
Publié : 6 juil. 14, 15:37



SPOILERS.
Dans le sillage de L'ascension (front de l'Est, film en n&b, allusions religieuses - Lazarev...-, Anatoli Solonitsyne au casting), voici ce film légèrement antérieur d'Alexeï Guerman, cinéaste soviétique à la filmographie succincte et qui me semble un peu méconnu.
Clairement, La vérification est à sortir de l'ombre. Déjà, formellement c'est irréprochable, comme le film de Larisa Shepitko là encore. Ce noir et blanc brumeux confère à l'histoire un sentiment de fatalité qui rend l'expérience individuelle de Lazarev encore plus étouffante.
Guerman aborde en effet la question des "malgré nous" du côté russe et de l'armée Vlassov en ballottant ce personnage taciturne et impénétrable, portant l'uniforme de la Wehrmacht mais se laissant pacifiquement capturer par ses compatriotes, au gré du soupçon qui pèsera pendant le film sur ses convictions et son engagement. Le film égratigne l'image fédératrice de la Grande guerre patriotique que Sergueï Bondartchouk vantera encore dans Ils ont combattu pour la patrie quelques années plus tard : en évoquant le cas des prisonniers soviétiques enrôlés de force dans l'armée Vlassov aux ordres des Allemands, Guerman rappelle une page sombre et impose un dilemme forcément dérangeant qui nous prend à partie sur l'attitude que nous aurions eue dans pareille situation de guerre, entre survivre dans l'autre camp ou se laisser fusiller pour ne pas trahir son pays.
Au demeurant, le film ne se veut pas polémique outre-mesure sur ce sujet : la requête de Lazarev d'obtenir une seconde chance (et la vérification concrète de sa fidélité à l'URSS, au prix de sa vie lors d'une mission suicide) fait du film un appel à la réconciliation, sinon à la réhabilitation (l'exemple inverse du jeune enrôlé sous les conseils de sa tante, qui parvient à s'enfuir et que l'on redécouvre à la fin de retour parmi les Allemands à qui il reste fidèle, permet de doser le discours). En faisant quelques recherches, j'ai en effet appris que la question des prisonniers de guerre soviétiques, au-delà de ceux qui avaient été enrôlés dans l'armée Vlassov, était restée très sensible en Union soviétique car le pouvoir considérait le simple fait d'être fait prisonnier comme un délit, suspectant une connivence forcée ou volontaire avec l'ennemi. Les prisonniers de guerre avaient donc tous écopé d'une dizaine d'années d'internement en camp en plus de celles que les Allemands leur avaient infligé. Ils étaient la honte de la nation, et c'est quelque chose que le film de Guerman met très bien en exergue tout en le critiquant implicitement au travers du personnage intraitable et autoritaire du commissaire politique (joué par Anatoli Solonitsyne), là où le commandant Lokotkov incarne le progressisme et l'humanisme. Cette opposition entre "un socialisme à visage humain et un socialisme à visage stalinien" comme l'explique le cinéaste lui-même n'a pas plu du tout à l'aile conservatrice du Comité central du PCUS, qui interdit le film. La vérification ne retournera sur les écrans russes qu'en 1985 avec le dégel de Gorbatchev, qui règlera aussi la question de la réhabilitation des prisonniers de guerre soviétiques en 1988.