Le Cinéma japonais contemporain

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par bruce randylan »

Sennan Asbestos Disaster (Kazuo Hara - 2016)

Alors que son The Emperor's Naked Army Marches On vient de sortir en blu-ray en Angleterre, le rare Kazuo Hara refait parler de lui avec la projection le mois dernier à la MCJP de son dernier documentaire consacré à des ouvriers ayant travaillé dans des usines d'amiante et qui intentent un procès contre le gouvernement japonais pour ne pas avoir imposé des réglementations sanitaires durant les années 80-90 alors que les autorités étaient au courant du risque.

Les 11 ans d'inactivité du cinéaste s'expliquent donc par le suivi sur plusieurs années des plaignants pour accoucher d'un documentaire de pas moins de 3h40.
Tourné en numérique avec une épique des plus réduites - voire sans équipe du tout -, Kazuo Hara ne cherche pas à donner une forme très cinématographique à son film mais plutôt à donner la parole à ces victimes et à décrire leur douloureux combat contre un Etat insensible, pour ne pas dire cynique dans sa volonté de jouer le chronomètre en multipliant les procédures et les appels. Car la maladie condamne irrémédiablement une grand partie des intervenants qui ont été en contact, ou à proximité, de la matière cancérigène.
Le documentaire déploie à ce titre un rare sentiment d'impuissance et d'inéluctabilité, justifiant sa durée conséquente. Durant 8 ans, Hara a accompagné les protagonistes dans tous les sens du terme : au tribunal, dans la recherche d'autres victimes, à l’hôpital et à la morgue. Avant cet ultime étape, on avait fait leur connaissance, appris dans quelle circonstance ils avaient contracté la maladie, fait face à la dégradation de leur état de santé et leurs états d'âme durant cette longue période. Le film donne aussi l'occasion d'évoquer le sort des travailleurs coréens qui ont aussi été en contact avec l'amiante, tout en évoquant leur place dans la société avant même d'aller en Corée pour interroger les ouvriers de mines locales.
Sans chercher à tendre vers le pathos ni le misérabilisme, Kazuo Hara montre avant tout des êtres humains face à une profonde injustice, cherchant à lutter contre le système ou essayant simplement d'affronter leur dépérissement et agonie. Sans écarter des moments drôles ou légers, on est rapidement pris à la gorge face à des séquences souvent poignantes et graves où sont exprimées les incertitudes, les doutes, la douleur, l’abattement et bien-sûr la mort.
Quand on arrive à mi-chemin, le nombre de décès des intervenants commencent à devenir presque vertigineux et leur combat apparaît de plus en plus futiles et perdues d'avance. Le cinéaste en est lui-même conscient puisqu'il ne tarde pas à exprimer ses doutes sur son propre projet et la marche à suivre pour la suite du procès. Une partie des victimes aussi, dont un groupe "dissident" qui décide d'aller directement manifester devant les ministères. De la passivité, on passe alors à une forme d'action, ce qui permet à Kazuo Hara de mettre en avant une figure qui le fascine et le stimule : celle du rebelle révolté qui 'hésite plus à rentrer frontalement dans les représentants de l'autorité, ici les secrétaires et adjoints du gouvernement qui ne connaissent clairement pas le sujet et n'ont aucun pouvoir, des pantins envoyés par les ministres pour ne pas avoir à aller au charbon.
La pugnacité des plaignants qui semblent se retourner contre eux un instant finit tout de même pas faire bouger les lignes et aident à faire reconnaître la responsabilité de l'état. Cependan même ces victoires laissent un goût amer puisque beaucoup d'individus ne sont désormais plus là pour s'en réjouir et que certains dossiers n'ont pas aboutis. D'ailleurs plusieurs procès sont encore en courts et le gouvernement de Shinzo Abe fait plus ou moins pression pour que Sennan Asbestos Disaster ne circule pas trop à l'étranger, y compris à la MCJP. Directement ciblé par certaines interdictions, les événements semblent avoir remotivé Kazuo Hara qui viendrait de terminer un nouveau projet.

"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Spike
Electro
Messages : 851
Inscription : 2 janv. 07, 13:07
Localisation : Belgique
Contact :

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Spike »

Hell Dogs : dans la maison de bambou (2022) de Masato Harada



Ce film (exclusivité Netflix en Occident si j'ai bien compris) réalisé par Masato Harada (Kamikaze Taxi, Bounce Ko Gals, Inugami, Sekigahara, ...), et avec Jun'ichi Okada (le diptyque The Fable) dans le rôle principal, est une adaptation du roman Les Chiens de l'enfer d'Akio Fukamachi.

Le livre, dont la trame n'est pas foncièrement originale, présente un policier infiltré chez les yakuzas dont la mission est d'assassiner le parrain du clan. Le bouquin dispose de deux atouts majeurs à mon sens : son ultra-violence et son côté sans concessions. Les yakuzas sont ici présentés comme commettant parfois de véritables boucheries, dont aucun détail (impliquant organes et fluides corporels, par exemple) ne nous est épargné. Le microcosme est dépeint comme un foyer de masculinité toxique (l'appelation n'est pas galvaudée), où la brutalité sera utilisée non seulement contre ses ennemis, mais aussi contre ses propres subordonnés, pour démontrer que l'on est le "mâle alpha". La police est quant à elle décrite comme ne valant pas mieux que les criminels qu'elle pourchasse, usant des mêmes tactiques que ces derniers.

Les gros problèmes du film résident selon moi dans le fait qu'il a, d'une part, totalement édulcoré la représentation de la violence par rapport à l'oeuvre d'origine. La barbaque fait place à un peu de sang et du hors-champ. D'autre part, le film a opéré des modifications scénaristiques* qui nuisent à la cohérence narrative, le tout amoindrissant le côté prenant du roman. Celui-ci est un page-turner, où l'on continue à lire en se demandant comment le protagoniste va faire pour s'en sortir dans ce monde d'une barbarie peu commune. Par contre, j'ai suivi le film sans me sentir véritablement impliqué par le sort du personnage principal. De plus, la police ressort à peine égratignée dans le film.

Reste la réalisation de Masato Harada (aidé par un budget apparemment conséquent), notamment ses scènes d'action lisibles, son côté internationalisant, avec l'emploi de musiques occidentales (musiques hispaniques, airs d'opéras italiens, rap, ...) dont un clin d'oeil à Bounce Ko Gals avec un yakuza entonnant L'Internationale en karaoké, ... Mais ça ne suffira pas à mon sens pour faire de Hell Dogs un film satisfaisant à mes yeux.

* Un long comparatif bourré de spoilers entre le roman (R) et le film (F), pour ceux qui aiment :
Spoiler (cliquez pour afficher)
- (R) Le roman emploie de nombreux noms et structures organisationnelles. Ainsi, un dénommé Mikuni dirige une famille yakuza appelée Mikami.
(F) Certains noms et structures organisationnelles ont été simplifiés. Ainsi, un des chef yakuzas et sa famille s'appelent tous deux Mikami.
- (R) Le clan yakuza infiltré par le protagoniste bannit l'emploi de la drogue et promeut la santé (par une alimentation saine et un exercice physique fréquent).
Ainsi, le flic, ex-pratiquant du kendo et ex-"CRS", n'a pas eu de mal à faire son trou dans ce contexte. Ou encore, certains des yakuzas sont d'anciens sumotoris, boxeurs, etc.
(F) Rien de tout ça n'est mentionné. Les yakuzas ont des physiques de Japonais lambdas. Jun'ichi Okada est d'ailleurs plus petit que la plupart des autres acteurs !
- (R) Le protagoniste a découvert, enfant, le cadavre d'une employée de supérette voisine (qu'il aimait bien), ce qui l'a motivé toute sa vie à lutter contre le crime. C'est un flic d'exception, ce qui explique qu'il soit choisi pour une infiltration.
(F) Le protagoniste, alors policier adulte en poste près de la supérette, a découvert le cadavre d'une employée de supérette avec laquelle il voulait sortir. Il a alors quitté la police et traqué pour les tuer pendant 11 ans les auteurs des faits. Il envoie régulièrement de l'argent à la fille d'une des victimes de la supérette en signant avec les initiales de son vrai nom.
- (R) Avant d'infiltrer le gang, le protagoniste a fait retoucher son visage par chirurgie esthétique. Ainsi, il passe parfois près de commissariats de police, mais n'est jamais reconnu par d'anciens collègues. Il est démasqué par le chef yakuza Mikuni (qui ne l'aime pas) parce que celui-ci l'a fait filer par un détective privé jusqu'à son point de rendez-vous avec la police chez une masseuse.
(F) Pas de chirurgie esthétique pour le protagoniste dans le film. Ce qui fait qu'en traînant près d'un commissariat, il est reconnu par ses anciens collègues et appelé par son véritable nom. Un yakuza à proximité entend ceci et le répète à son propre chef (Mikami).
- (R) Dans le roman, le jeune tueur psychopathe compère du protagoniste était, enfant, membre d'une secte, en raison de l'appartenance de ses parents. Il apprend vers la fin que son chef est un flic infiltré grâce au rapport du détective privé trouvé dans les archives de Mikuni.
(F) Le film ajoute des séquences où le jeune rencontre et couche avec une autre ex-membre de la secte. Elle l'introduit auprès d'un groupe de victimes, dont l'une d'elle est la fille précitée qui reçoit régulièrement de l'argent de la part du flic infiltré. Mikami (cf. supra) lui révèle ensuite que son ami est un policier de tel nom et le tueur psychopathe aboutit à la conclusion logique découlant de ces deux infos.
- (R) La femme du yakuza Kumazawa est une Japonaise lambda.
(F) La femme du yakuza Kumazawa est la patronne d'un club SM coiffée comme Elvis.
- (R) La tentative d'assassinat du parrain yakuza par une hôtesse par empoisonnement est due au supérieur hiérarchique dans la police du protagoniste (Anai).
(F) Elle est due à un autre clan yakuza.
- (R) Plusieurs chapitres montrent le flic infiltré devoir enlever et torturer Anai et la famille de ce dernier. Anai, averti bien au préalable par son subordonné, révèle sous la torture des infos bidons qui envoient les yakuzas dans une embuscade où le chef yakuza direct du protagoniste et Mikuni meurent. Le clan ainsi décimé, le protagoniste est nommé secrétaire du parrain, ce qui facilite grandement sa mission d'assassinat.
(F) Ces scènes n'existent pas. Le protagoniste est nommé secrétaire du parrain bien plus tôt, de manière assez incompréhensible. Mikami est tué de manière peu compréhensible par le jeune tueur psychopathe : en effet, à la fin du film, ce dernier reproche au protagoniste de ne pas avoir respecté le code yakuza ! L'ancien chef yakuza direct du protagoniste est tué plus tard dans le récit, par sa compagne.
- (R) Le flic infiltré n'a aucune aventure avec la compagne de son chef yakuza direct (une restauratrice plus âgée que le protagoniste).
(F) Le flic infiltré a une aventure avec la compagne de son chef yakuza direct (une jeune femme tatouée à cheveux teints en vert)... qui se révèle être une "flic" infiltrée qui veut lutter contre le trafic d'ivoire en Afrique auquel prend part le clan yakuza principal.
- (R) Vers la fin, le flic infiltré tue le jeune tueur psychopathe de manière ultra-violente dans un resto.
Puis, le parrain yakuza qu'il devait assassiner meurt suite à un carambolage et des tirs/coups dûs à Anai et aux protagonistes
(F) Le flic infiltré tue en premier le parrain yakuza dans son bureau (au pistolet), puis le jeune tueur psychopathe dans un hôtel désaffecté où il avait pris en otage la flic infiltrée.
- (R) La masseuse tue le parrain yakuza à l'origine de la mort de son fils (un gros bras de prêteur sur gages qui avait houspillé un yakuza endetté) de son propre chef, après la mort d'Anai.
(F) La masseuse tue le parrain yakuza à l'origine de la mort de son fils (qui avait osé sortir avec la fille du parrain) sur ordre d'Anai, concomitamment aux assassinats opérés par les flics infiltrés.
- (R) La fin ? Le protagoniste comprend que la police l'a manipulé et va l'envoyer en récompense dans un commissariat dans un trou perdu. Il envoie tous les documents relatifs au dossier aux médias et sait qu'il sera pourchassé par les yakuzas et la police, mais le fait parce que c'est ce qui est juste.
(F) La fin ? Le protagoniste envisage de se suicider après avoir tué le jeune psychopathe, mais la flic infiltrée l'en empêche.
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22221
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Supfiction »

Image

Ultra moderne solitude.
Sur Mycanal.
Avatar de l’utilisateur
Alibabass
Assistant opérateur
Messages : 2678
Inscription : 24 nov. 17, 19:50

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Alibabass »

Ultra moderne relou surtout. Vu avec une amie par son choix, d'une longueur pas possible avec la fin genre Emily in Italia.
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22221
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Supfiction »

Alibabass a écrit : 24 mars 23, 13:46 Ultra moderne relou surtout. Vu avec une amie par son choix, d'une longueur pas possible avec la fin genre Emily in Italia.
T’as quand même mis 6,5/10. Avec ton commentaire j’aurai mis 2 ou 3.
Bon effectivement, je suis devant et heureusement qu’il y a l’aspect dépaysant ..
Avatar de l’utilisateur
Alibabass
Assistant opérateur
Messages : 2678
Inscription : 24 nov. 17, 19:50

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Alibabass »

Supfiction a écrit : 24 mars 23, 13:48
Alibabass a écrit : 24 mars 23, 13:46 Ultra moderne relou surtout. Vu avec une amie par son choix, d'une longueur pas possible avec la fin genre Emily in Italia.
T’as quand même mis 6,5/10. Avec ton commentaire j’aurai mis 2 ou 3.
Bon effectivement, je suis devant et heureusement qu’il y a l’aspect dépaysant ..
Oh :( ah oui en effet, 'tain je suis pas légitime là ^^
En vrai, nous étions assez nuancé après la séance, parce-que avant le voyage en Italie, le film fait une tentative louable sur la solitude des grandes villes Japonaise ... mais le côté Kawaï-Pop (je pense complètement assumé par la cinéaste), vu de l'Europe ... mais bon, oui, c'est dépaysant et léger.
Avatar de l’utilisateur
Spike
Electro
Messages : 851
Inscription : 2 janv. 07, 13:07
Localisation : Belgique
Contact :

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Spike »

Freeze Me (2000) de Takashi Ishii sera proposé en DVD avec le magazine Mad Movies du mois de février (source).
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54832
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Flol »

Spike a écrit : 2 févr. 24, 13:14 Freeze Me (2000) de Takashi Ishii sera proposé en DVD avec le magazine Mad Movies du mois de février (source).
Je ne connais pas, ça m'intrigue, donc je le prendrai.
Mais ça vaut quoi, précisément ?
Avatar de l’utilisateur
Shinji
Accessoiriste
Messages : 1678
Inscription : 31 août 18, 21:06
Contact :

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Shinji »

Spike a écrit : 2 févr. 24, 13:14Freeze Me (2000) de Takashi Ishii sera proposé en DVD avec le magazine Mad Movies du mois de février (source).
Il est aussi prévu en BR.
Avatar de l’utilisateur
Spike
Electro
Messages : 851
Inscription : 2 janv. 07, 13:07
Localisation : Belgique
Contact :

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Spike »

Flol a écrit : 2 févr. 24, 16:18
Spike a écrit : 2 févr. 24, 13:14 Freeze Me (2000) de Takashi Ishii sera proposé en DVD avec le magazine Mad Movies du mois de février (source).
Je ne connais pas, ça m'intrigue, donc je le prendrai.
Mais ça vaut quoi, précisément ?
Freeze Me fait partie des meilleurs rape 'n' revenge que j'ai vus (avec Intimate Confessions of a Chinese Courtesan et L'Ange de la vengeance). Mais bon, je n'en ai pas vu des masses non plus :mrgreen: . Tourné par Takashi Ishii alors que son épouse agonisait du cancer, Freeze Me est soigné visuellement et aborde son sujet a priori scabreux avec un certain tact, épousant le point de vue de la protagoniste et n'omettant pas son traumatisme psychologique... même si n'on évite pas une scène de douche mettant bien en valeur la plastique de l'actrice principale ou bien certains éléments un peu grotesques :
Spoiler (cliquez pour afficher)
Je ne pense pas qu'une bouteille d'eau remplie puisse servir aisément d'arme létale...
Personnellement, je lui avais attribué la note de 7,5/10.

Sinon, d'autres critiques plus élaborées que la mienne :
Be Kind, Review!
Bulles de Japon
EastAsia
Fangoria
Shinji a écrit : 2 févr. 24, 20:22
Spike a écrit : 2 févr. 24, 13:14Freeze Me (2000) de Takashi Ishii sera proposé en DVD avec le magazine Mad Movies du mois de février (source).
Il est aussi prévu en BR.
Merci pour l'info ! Une idée concernant l'éditeur ?
Avatar de l’utilisateur
Shinji
Accessoiriste
Messages : 1678
Inscription : 31 août 18, 21:06
Contact :

Re: Le Cinéma Actuel du Japon

Message par Shinji »

Spike a écrit : 2 févr. 24, 20:23
Shinji a écrit : 2 févr. 24, 20:22 Il est aussi prévu en BR.
Merci pour l'info ! Une idée concernant l'éditeur ?
Extralucid
Répondre