Le Cinéma japonais contemporain
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
Sennan Asbestos Disaster (Kazuo Hara - 2016)
Alors que son The Emperor's Naked Army Marches On vient de sortir en blu-ray en Angleterre, le rare Kazuo Hara refait parler de lui avec la projection le mois dernier à la MCJP de son dernier documentaire consacré à des ouvriers ayant travaillé dans des usines d'amiante et qui intentent un procès contre le gouvernement japonais pour ne pas avoir imposé des réglementations sanitaires durant les années 80-90 alors que les autorités étaient au courant du risque.
Les 11 ans d'inactivité du cinéaste s'expliquent donc par le suivi sur plusieurs années des plaignants pour accoucher d'un documentaire de pas moins de 3h40.
Tourné en numérique avec une épique des plus réduites - voire sans équipe du tout -, Kazuo Hara ne cherche pas à donner une forme très cinématographique à son film mais plutôt à donner la parole à ces victimes et à décrire leur douloureux combat contre un Etat insensible, pour ne pas dire cynique dans sa volonté de jouer le chronomètre en multipliant les procédures et les appels. Car la maladie condamne irrémédiablement une grand partie des intervenants qui ont été en contact, ou à proximité, de la matière cancérigène.
Le documentaire déploie à ce titre un rare sentiment d'impuissance et d'inéluctabilité, justifiant sa durée conséquente. Durant 8 ans, Hara a accompagné les protagonistes dans tous les sens du terme : au tribunal, dans la recherche d'autres victimes, à l’hôpital et à la morgue. Avant cet ultime étape, on avait fait leur connaissance, appris dans quelle circonstance ils avaient contracté la maladie, fait face à la dégradation de leur état de santé et leurs états d'âme durant cette longue période. Le film donne aussi l'occasion d'évoquer le sort des travailleurs coréens qui ont aussi été en contact avec l'amiante, tout en évoquant leur place dans la société avant même d'aller en Corée pour interroger les ouvriers de mines locales.
Sans chercher à tendre vers le pathos ni le misérabilisme, Kazuo Hara montre avant tout des êtres humains face à une profonde injustice, cherchant à lutter contre le système ou essayant simplement d'affronter leur dépérissement et agonie. Sans écarter des moments drôles ou légers, on est rapidement pris à la gorge face à des séquences souvent poignantes et graves où sont exprimées les incertitudes, les doutes, la douleur, l’abattement et bien-sûr la mort.
Quand on arrive à mi-chemin, le nombre de décès des intervenants commencent à devenir presque vertigineux et leur combat apparaît de plus en plus futiles et perdues d'avance. Le cinéaste en est lui-même conscient puisqu'il ne tarde pas à exprimer ses doutes sur son propre projet et la marche à suivre pour la suite du procès. Une partie des victimes aussi, dont un groupe "dissident" qui décide d'aller directement manifester devant les ministères. De la passivité, on passe alors à une forme d'action, ce qui permet à Kazuo Hara de mettre en avant une figure qui le fascine et le stimule : celle du rebelle révolté qui 'hésite plus à rentrer frontalement dans les représentants de l'autorité, ici les secrétaires et adjoints du gouvernement qui ne connaissent clairement pas le sujet et n'ont aucun pouvoir, des pantins envoyés par les ministres pour ne pas avoir à aller au charbon.
La pugnacité des plaignants qui semblent se retourner contre eux un instant finit tout de même pas faire bouger les lignes et aident à faire reconnaître la responsabilité de l'état. Cependan même ces victoires laissent un goût amer puisque beaucoup d'individus ne sont désormais plus là pour s'en réjouir et que certains dossiers n'ont pas aboutis. D'ailleurs plusieurs procès sont encore en courts et le gouvernement de Shinzo Abe fait plus ou moins pression pour que Sennan Asbestos Disaster ne circule pas trop à l'étranger, y compris à la MCJP. Directement ciblé par certaines interdictions, les événements semblent avoir remotivé Kazuo Hara qui viendrait de terminer un nouveau projet.
Alors que son The Emperor's Naked Army Marches On vient de sortir en blu-ray en Angleterre, le rare Kazuo Hara refait parler de lui avec la projection le mois dernier à la MCJP de son dernier documentaire consacré à des ouvriers ayant travaillé dans des usines d'amiante et qui intentent un procès contre le gouvernement japonais pour ne pas avoir imposé des réglementations sanitaires durant les années 80-90 alors que les autorités étaient au courant du risque.
Les 11 ans d'inactivité du cinéaste s'expliquent donc par le suivi sur plusieurs années des plaignants pour accoucher d'un documentaire de pas moins de 3h40.
Tourné en numérique avec une épique des plus réduites - voire sans équipe du tout -, Kazuo Hara ne cherche pas à donner une forme très cinématographique à son film mais plutôt à donner la parole à ces victimes et à décrire leur douloureux combat contre un Etat insensible, pour ne pas dire cynique dans sa volonté de jouer le chronomètre en multipliant les procédures et les appels. Car la maladie condamne irrémédiablement une grand partie des intervenants qui ont été en contact, ou à proximité, de la matière cancérigène.
Le documentaire déploie à ce titre un rare sentiment d'impuissance et d'inéluctabilité, justifiant sa durée conséquente. Durant 8 ans, Hara a accompagné les protagonistes dans tous les sens du terme : au tribunal, dans la recherche d'autres victimes, à l’hôpital et à la morgue. Avant cet ultime étape, on avait fait leur connaissance, appris dans quelle circonstance ils avaient contracté la maladie, fait face à la dégradation de leur état de santé et leurs états d'âme durant cette longue période. Le film donne aussi l'occasion d'évoquer le sort des travailleurs coréens qui ont aussi été en contact avec l'amiante, tout en évoquant leur place dans la société avant même d'aller en Corée pour interroger les ouvriers de mines locales.
Sans chercher à tendre vers le pathos ni le misérabilisme, Kazuo Hara montre avant tout des êtres humains face à une profonde injustice, cherchant à lutter contre le système ou essayant simplement d'affronter leur dépérissement et agonie. Sans écarter des moments drôles ou légers, on est rapidement pris à la gorge face à des séquences souvent poignantes et graves où sont exprimées les incertitudes, les doutes, la douleur, l’abattement et bien-sûr la mort.
Quand on arrive à mi-chemin, le nombre de décès des intervenants commencent à devenir presque vertigineux et leur combat apparaît de plus en plus futiles et perdues d'avance. Le cinéaste en est lui-même conscient puisqu'il ne tarde pas à exprimer ses doutes sur son propre projet et la marche à suivre pour la suite du procès. Une partie des victimes aussi, dont un groupe "dissident" qui décide d'aller directement manifester devant les ministères. De la passivité, on passe alors à une forme d'action, ce qui permet à Kazuo Hara de mettre en avant une figure qui le fascine et le stimule : celle du rebelle révolté qui 'hésite plus à rentrer frontalement dans les représentants de l'autorité, ici les secrétaires et adjoints du gouvernement qui ne connaissent clairement pas le sujet et n'ont aucun pouvoir, des pantins envoyés par les ministres pour ne pas avoir à aller au charbon.
La pugnacité des plaignants qui semblent se retourner contre eux un instant finit tout de même pas faire bouger les lignes et aident à faire reconnaître la responsabilité de l'état. Cependan même ces victoires laissent un goût amer puisque beaucoup d'individus ne sont désormais plus là pour s'en réjouir et que certains dossiers n'ont pas aboutis. D'ailleurs plusieurs procès sont encore en courts et le gouvernement de Shinzo Abe fait plus ou moins pression pour que Sennan Asbestos Disaster ne circule pas trop à l'étranger, y compris à la MCJP. Directement ciblé par certaines interdictions, les événements semblent avoir remotivé Kazuo Hara qui viendrait de terminer un nouveau projet.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
Hell Dogs : dans la maison de bambou (2022) de Masato Harada
Ce film (exclusivité Netflix en Occident si j'ai bien compris) réalisé par Masato Harada (Kamikaze Taxi, Bounce Ko Gals, Inugami, Sekigahara, ...), et avec Jun'ichi Okada (le diptyque The Fable) dans le rôle principal, est une adaptation du roman Les Chiens de l'enfer d'Akio Fukamachi.
Le livre, dont la trame n'est pas foncièrement originale, présente un policier infiltré chez les yakuzas dont la mission est d'assassiner le parrain du clan. Le bouquin dispose de deux atouts majeurs à mon sens : son ultra-violence et son côté sans concessions. Les yakuzas sont ici présentés comme commettant parfois de véritables boucheries, dont aucun détail (impliquant organes et fluides corporels, par exemple) ne nous est épargné. Le microcosme est dépeint comme un foyer de masculinité toxique (l'appelation n'est pas galvaudée), où la brutalité sera utilisée non seulement contre ses ennemis, mais aussi contre ses propres subordonnés, pour démontrer que l'on est le "mâle alpha". La police est quant à elle décrite comme ne valant pas mieux que les criminels qu'elle pourchasse, usant des mêmes tactiques que ces derniers.
Les gros problèmes du film résident selon moi dans le fait qu'il a, d'une part, totalement édulcoré la représentation de la violence par rapport à l'oeuvre d'origine. La barbaque fait place à un peu de sang et du hors-champ. D'autre part, le film a opéré des modifications scénaristiques* qui nuisent à la cohérence narrative, le tout amoindrissant le côté prenant du roman. Celui-ci est un page-turner, où l'on continue à lire en se demandant comment le protagoniste va faire pour s'en sortir dans ce monde d'une barbarie peu commune. Par contre, j'ai suivi le film sans me sentir véritablement impliqué par le sort du personnage principal. De plus, la police ressort à peine égratignée dans le film.
Reste la réalisation de Masato Harada (aidé par un budget apparemment conséquent), notamment ses scènes d'action lisibles, son côté internationalisant, avec l'emploi de musiques occidentales (musiques hispaniques, airs d'opéras italiens, rap, ...) dont un clin d'oeil à Bounce Ko Gals avec un yakuza entonnant L'Internationale en karaoké, ... Mais ça ne suffira pas à mon sens pour faire de Hell Dogs un film satisfaisant à mes yeux.
* Un long comparatif bourré de spoilers entre le roman (R) et le film (F), pour ceux qui aiment :
Ce film (exclusivité Netflix en Occident si j'ai bien compris) réalisé par Masato Harada (Kamikaze Taxi, Bounce Ko Gals, Inugami, Sekigahara, ...), et avec Jun'ichi Okada (le diptyque The Fable) dans le rôle principal, est une adaptation du roman Les Chiens de l'enfer d'Akio Fukamachi.
Le livre, dont la trame n'est pas foncièrement originale, présente un policier infiltré chez les yakuzas dont la mission est d'assassiner le parrain du clan. Le bouquin dispose de deux atouts majeurs à mon sens : son ultra-violence et son côté sans concessions. Les yakuzas sont ici présentés comme commettant parfois de véritables boucheries, dont aucun détail (impliquant organes et fluides corporels, par exemple) ne nous est épargné. Le microcosme est dépeint comme un foyer de masculinité toxique (l'appelation n'est pas galvaudée), où la brutalité sera utilisée non seulement contre ses ennemis, mais aussi contre ses propres subordonnés, pour démontrer que l'on est le "mâle alpha". La police est quant à elle décrite comme ne valant pas mieux que les criminels qu'elle pourchasse, usant des mêmes tactiques que ces derniers.
Les gros problèmes du film résident selon moi dans le fait qu'il a, d'une part, totalement édulcoré la représentation de la violence par rapport à l'oeuvre d'origine. La barbaque fait place à un peu de sang et du hors-champ. D'autre part, le film a opéré des modifications scénaristiques* qui nuisent à la cohérence narrative, le tout amoindrissant le côté prenant du roman. Celui-ci est un page-turner, où l'on continue à lire en se demandant comment le protagoniste va faire pour s'en sortir dans ce monde d'une barbarie peu commune. Par contre, j'ai suivi le film sans me sentir véritablement impliqué par le sort du personnage principal. De plus, la police ressort à peine égratignée dans le film.
Reste la réalisation de Masato Harada (aidé par un budget apparemment conséquent), notamment ses scènes d'action lisibles, son côté internationalisant, avec l'emploi de musiques occidentales (musiques hispaniques, airs d'opéras italiens, rap, ...) dont un clin d'oeil à Bounce Ko Gals avec un yakuza entonnant L'Internationale en karaoké, ... Mais ça ne suffira pas à mon sens pour faire de Hell Dogs un film satisfaisant à mes yeux.
* Un long comparatif bourré de spoilers entre le roman (R) et le film (F), pour ceux qui aiment :
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
Ultra moderne solitude.
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
Ultra moderne relou surtout. Vu avec une amie par son choix, d'une longueur pas possible avec la fin genre Emily in Italia.
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
T’as quand même mis 6,5/10. Avec ton commentaire j’aurai mis 2 ou 3.
Bon effectivement, je suis devant et heureusement qu’il y a l’aspect dépaysant ..
- Alibabass
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
Oh ah oui en effet, 'tain je suis pas légitime là ^^Supfiction a écrit : ↑24 mars 23, 13:48T’as quand même mis 6,5/10. Avec ton commentaire j’aurai mis 2 ou 3.
Bon effectivement, je suis devant et heureusement qu’il y a l’aspect dépaysant ..
En vrai, nous étions assez nuancé après la séance, parce-que avant le voyage en Italie, le film fait une tentative louable sur la solitude des grandes villes Japonaise ... mais le côté Kawaï-Pop (je pense complètement assumé par la cinéaste), vu de l'Europe ... mais bon, oui, c'est dépaysant et léger.
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
Freeze Me (2000) de Takashi Ishii sera proposé en DVD avec le magazine Mad Movies du mois de février (source).
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
Je ne connais pas, ça m'intrigue, donc je le prendrai.
Mais ça vaut quoi, précisément ?
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
Il est aussi prévu en BR.
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
Freeze Me fait partie des meilleurs rape 'n' revenge que j'ai vus (avec Intimate Confessions of a Chinese Courtesan et L'Ange de la vengeance). Mais bon, je n'en ai pas vu des masses non plus . Tourné par Takashi Ishii alors que son épouse agonisait du cancer, Freeze Me est soigné visuellement et aborde son sujet a priori scabreux avec un certain tact, épousant le point de vue de la protagoniste et n'omettant pas son traumatisme psychologique... même si n'on évite pas une scène de douche mettant bien en valeur la plastique de l'actrice principale ou bien certains éléments un peu grotesques :
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Sinon, d'autres critiques plus élaborées que la mienne :
Be Kind, Review!
Bulles de Japon
EastAsia
Fangoria
Merci pour l'info ! Une idée concernant l'éditeur ?
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Re: Le Cinéma Actuel du Japon
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