Monta Bell (1891-1958)
Publié : 19 mai 12, 12:02
Lady of the Night - Monta Bell (1925)

Molly Helmer et Florence Banning (Norma Shearer) sont deux jeunes femmes aux vies différentes mais néanmoins liées. Au moment de leur naissance, le père de Molly est condamné à 18 ans de prison par le juge Banning, le père de Florence : la première grandit dans un établissement de redressement quand la seconde grandit au sein d'une école privée pour fille. A leur majorité, les 2 jeunes femmes aux physiques très proches choisissent des voies bien définies mais vont tomber amoureuse du même homme David Page (Malcolm McGregor)...








Lady of the Night arrive à une période charnière de la carrière de Norma Shearer : le succès de films comme HE who gets slapped ou The Snob, sortis en 1924, lui a permis de se faire une place au sein de la MGM - en prévision de la montée en puissance de Crawford et de l'arrivée de Garbo - et le film de Monta Bell lui offre l'occasion de démontrer son talent en interprétant un double rôle. Ce 3ème des 6 films muets que le réalisateur tourne avec l'actrice - entre 1924 et 1927 - est pourtant un film peu connu dans la filmographie de Shearer, un drame qui ne repose sur aucune scène forte et dont le scénario ne semble pas apporter de nouveautés. Mais la force du film de Bell ne réside justement pas dans la surenchère ou dans la complexité du scénario mais plutôt dans son traitement subtil et simple de l'histoire, dans la naïveté qui définit les enjeux de chacun des personnages et dans la beauté de sa mise en scène. Ici c'est la caméra qui raconte le film et de fort belle manière car elle suit idéalement le rôle double tenu par Norma Shearer : d'un coté, Molly, fille à la vie difficile, dont le maquillage lourd formate parfaitement le personnage; de l'autre, Florence, jeune fille fraiche, douce, élégante qui tranche radicalement avec la première. Ce contraste entre les personnages se voit également par un traitement de la lumière, de la photo spécifique à chacune des 2 femmes : photo et lumière douces pour Florence contrastant avec une lumière crue accentuant le maquillage de Molly et forçant son personnage de femme de la rue.



Monta Bell, qui partageait la vie de l'actrice avant qu'elle ne cède à l'appel d'Irving Thalberg, est amoureux de son actrice et on le ressent dans sa façon de filmer ses 2 actrices. 2 actrices car Norma Shearer crée et interprète réellement 2 personnages bien distincts, aux contours bien définis, aux ambitions et aux enjeux différents mais dont le but final reste le même : atteindre un bonheur qui leur manque depuis toujours, un bonheur synonyme de stabilité. Norma Shearer est de tous les plans, l'actrice se fond dans son personnage quel qu'il soit, interprétant à l'envie Molly et Florence, étant aussi à l'aise avec l'une qu'avec l'autre. La rupture qui existe entre les 2 personnages, entre leur 2 univers est marquée par la mise en scène de Monta Bell qui joue sur des fondus entre chacune des 2 vies - on passe du Kelly's Bar où officie Molly à un bal de la haute bourgeoisie où danse Florence, on voit Florence puis Molly attendre à leur fenêtre l'arrivée de David -. Ces 2 femmes sont à la fois opposées et équivalentes, et même si rien n'obligeait à ce que la même actrice joue les 2 rôles, cette particularité accentue ce contraste entre leur 2 mondes et leur 2 visions du bonheur. Mais au final, c'est le point qu'elles ont toutes les 2 en commun qui ressort, un manque d'amour prenant soudainement vie sous les traits du jeune David. Mais son choix - David est amoureux de Florence - va obliger une des 2 femmes à se sacrifier et à s'effacer devant l'autre. Cette fin, peut être convenue, est néanmoins dessinée avec beaucoup d'intelligence par le réalisateur qui va choisir de se placer du coté de Molly, qui cherche à se rendre plus respectable en essayant de devenir une lady comme Florence, mais qui va voir ses rêves se briser au fur et à mesure que David tombe amoureux de sa "rivale".


La dernière partie du film illustre cette confrontation et ce sacrifice lorsque les 2 jeunes femmes se retrouvent dans le petit atelier de travail de David, chacune d'elle ignorant la présence de l'autre et cherchant à conquérir, à leur manière, le coeur du jeune homme : Florence vient dire à David qu'elle est amoureuse de lui quand Molly rentre dans la pièce pour lui proposer d'aller danser au Kelly's. 2 univers bien différents se rencontrent mais l'amour des 2 femmes envers cet homme est sincère et passe outre les barrières sociales. Cette rencontre permet aux 2 jeunes femmes d'être placées devant la vérité : Florence découvre combien Molly est amoureuse de David et semble mériter cet amour, Molly comprend que l'homme n'a d'yeux que pour Florence et qu'elle n'est qu'une amie pour lui.







La réaction des 2 femmes est très proches là encore puisque Molly préfère quitter la pièce en voyant que David est amoureux de l'autre femme et Florence part en réalisant que sa rivale a besoin de l'amour du jeune homme. Les 2 femmes disparaissent de la pièce sans avoir réussi à atteindre leur but et vont se retrouver toutes les 2 dans la voiture de Florence. Molly réalise qu'elle ne peut rien contre cette union puisqu'elle n'est qu'une amie pour David et se sacrifie pour le bonheur de Florence dans un vrai face à face où Norma Shearer est le reflet de Norma Shearer...









...(ou celui de Joan Crawford car Lucille LeSueur est utilisée comme doublure de Norma Shearer pour cette scène)

Cette seule et unique rencontre entre les 2 jeunes femmes scelle la vie de Molly dont le sacrifice permet à son tour de sceller celle de Florence, l'une pleurant de joie à l'idée de retrouver David, l'autre à l'idée de perdre celui qui pouvait lui apporter son bonheur. Molly retrouve Chunky qui n'est autre que son équivalent masculin - celui qui est vraiment amoureux d'elle et qui a cherché à se transformer pour elle -, laisse partir David vers celle qu'il aime réellement - avec cette dernière marque d'amour où l'on voit Molly recoiffer une mèche de cheveux de David - et se contente du bonheur plus simple et modeste que Chunky veut lui apporter.









Le film de Monta Bell est riche non par son histoire mais par la présence de petits détails qui construisent les personnages ou tout du moins qui mettent en images ce qu'ils ressentent et qui apportent au film un petit supplément d'ame qui le rend si touchant. Preuve en est cette scène où le personnage de Chunky joue avec un rayon de lumière qui passe à travers un trou du rideau de la porte d'entrée et qui éclaire une page de livre sur laquelle est expliquée comment dresser une table. Il fait le tour du faisceau qui éclaire cette table en photo comme pour être le centre de cette attention, essaye, en vain, de l'attraper puis la lumière disparaît. David est à la porte et avec lui ce sont les rêves de vie avec Molly qui disparaissent et le retour à la réalité...







Norma Shearer trouve dans ce film un rôle très riche et très intéressant, de par sa dualité, où elle se montre à la fois douce et dure et arrive à rendre le personnage de Molly, aux premiers abords désagréable, finalement très humain. La direction de Bell est élégante, son utilisation des plans teintés apportent plus de force aux différentes scènes et le réalisateur se contente d'un matériau très simple pour créer une histoire touchante et finalement terriblement belle. Une fois de plus les dialogues ne semblent pas nécessaire tant les images suffisent à faire passer les émotions...



































...(ou celui de Joan Crawford car Lucille LeSueur est utilisée comme doublure de Norma Shearer pour cette scène)




















Norma Shearer trouve dans ce film un rôle très riche et très intéressant, de par sa dualité, où elle se montre à la fois douce et dure et arrive à rendre le personnage de Molly, aux premiers abords désagréable, finalement très humain. La direction de Bell est élégante, son utilisation des plans teintés apportent plus de force aux différentes scènes et le réalisateur se contente d'un matériau très simple pour créer une histoire touchante et finalement terriblement belle. Une fois de plus les dialogues ne semblent pas nécessaire tant les images suffisent à faire passer les émotions...