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Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 5 juil. 16, 08:14
par Profondo Rosso
Nelly et Monsieur Arnaud (1995)

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Pour surmonter des difficultés financières et gagner son indépendance, une jeune femme, Nelly (Emmanuelle Béart) fait plusieurs petits boulots. Par l'intermédiaire d'une amie, Jacqueline (Claire Nadeau), elle rencontre dans un café un riche retraité, Pierre Arnaud (Michel Serrault), qui lui propose de dactylographier ses mémoires. Nelly accepte. Elle quitte son mari Jérôme (Charles Berling) et passe de plus en plus de temps avec Monsieur Arnaud. Elle entre ainsi en rapport avec Vincent (Jean-Hugues Anglade), qui se propose d'éditer le livre.

Avec cette œuvre sensible, troublante et feutrée, Claude Sautet conclut sa filmographie en apothéose avec Nelly et Monsieur Arnaud. Sautet avait exploré sous toutes ses formes la thématique de l’homme mûr indécis entre vulnérabilité et machisme traditionnel dans la société française en mutation des 70’s (Les Choses de la vie (1969), César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul... et les autres (1974), Mado (1976), Une histoire simple (1978)). Il parvint à totalement se réinventer dans les 80’s en capturant cette fois les tourments d’une jeunesse écorchée vive et en manque de repère dans les superbes Un mauvais fils (1980) et Quelques jours avec moi (1988) où il bousculait le ton austère et la forme maîtrisée de ses films précédents par une touche d’excentricité et de fougue où la sensibilité du drame ne s’estompait pas. Nelly et Monsieur Arnaud apparait à la fois comme une nouvelle mue tout en étant un aboutissement de ces deux axes de sa filmographie, représenté par les personnages-titres.

A travers l’amitié trouble se nouant entre la jeune Nelly (Emmanuelle Béart) et le riche retraité Monsieur Arnaud (Michel Serrault), c’est tout un pendant des personnages emblématiques de Sautet qui renaît sous une forme plus sobre. Pierre Arnaud représente ainsi au soir de la vieillesse les figures masculines ambitieuses et handicapées sentimentalement des 70’s. La biographie qu’il rédige retrace ainsi un parcours qui le vit passer du magistrat idéaliste à l’homme d’affaire froid pour aboutir à une vieillesse en solitaire, séparé de son épouse et voyant rarement ses enfants sans que cela ne semble l’affecter outre mesure. Nelly quant à elle, entre deux boulots précaire et une vie sentimentale sans but aboutissant d’entrée par une séparation d’avec son mari (Charles Berling) reprend la résignation en plus et la folle énergie en moins le relai des Patrick Dewaere et Daniel Auteuil pour cette jeunesse sans but. Nelly comme Monsieur Arnaud se satisfont, l’une par l’apathie, l’autre par l’indifférence, de leurs solitudes respectives. La reconnaissance polie de Nelly répond ainsi à la philanthropie détachée de Monsieur Arnaud lorsque ce dernier la secoure financièrement. L’évolution se fera lorsqu’ils se verront au quotidien pour rédiger les mémoires de Monsieur Arnaud.

La simple dictée de départ devient plus impliquante pour Monsieur Arnaud, tout comme la rédaction pour Nelly à travers leurs échanges. Michel Serrault alterne ainsi bonhomie et détachement de plus en plus forcé, perturbé qu’il est par cette jeune femme opaque. Sautet les oppose par leur positionnement à l’image, par le dialogue et par le jeu très différent de Michel Serrault et Emmanuelle Béart. Monsieur Arnaud arpente son bureau en tous sens quand Nelly reste figée à son bureau, soliloque sur sa vie tant dans la dictée de ces mémoires que dans des anecdotes plus personnelles qui n’y figurent pas alors que Nelly garde ses distances et est peu diserte. La construction du film inverse d’ailleurs en partie cette approche, les éléments du quotidien de Monsieur Arnaud n’intervenant presque toujours que dans le cadre de son appartement et sous le regard de Nelly (les coups de fils de sa femme, les visites étranges de Michael Lonsdale, la rencontre avec sa fille) quand cette dernière voit son quotidien bien plus fouillé (ses amis, son divorce, sa romance naissante) comme pour offrir un contrepoint à cette apparente froideur. Au fil des entrevues, le rapport change et l’ouverture à l’autre de chacun répond à cette caractérisation initiale. Monsieur Arnaud moins centré sur lui-même questionne sans succès Nelly sa vie et celle-ci par ses critiques et réflexion sur l’ouvrage qu’elle tape laisse deviner un intérêt, une proximité et finalement un attachement pour le vieil homme. Sautet procède par esquisses, l’évolution de Monsieur Arnaud faisant évoluer son caractère gentiment bougon par un semblant de jalousie quand Nelly nouera une liaison avec son éditeur (Jean-Hugues Anglade). Pour Nelly cela passe par le regard (on a le sentiment qu'elle lève soudainement enfin les yeux sur Monsieur Arnaud) d’Emmanuel Béart perdant peu à peu de sa nature indéchiffrable pour se faire plus tendre et finalement par le geste quand un massera Arnaud victime de douleurs lombaires. Le sommet de cette complicité sera une belle scène de dîner où Sautet traduit subtilement la reconnaissance et l’affection pour l’autre qui remplis si bien sa vie.

L’écart d’âge semble empêcher chacun d’envisager une possible romance ou en tout cas sa supposée attente se fera en décalage. Si Monsieur Arnaud lui fait retrouver confiance en elle, Nelly ira plutôt se jeter au bras de Jean-Hugues Anglade. Lorsque Nelly rompra (une scène de rupture glaciale et cruelle typique de Sautet) et fera enfin de son bienfaiteur un vrai confident, ce sera le moment où ce dernier décidera enfin de briser sa solitude casanière. Le désir et l’amour que ressentent les deux personnages ne s’expriment alors qu’avec ce mélange d’intimité et de recul. On pense à cette magnifique scène où Monsieur Arnaud observe Nelly dormir et n’ose toucher sa peau nue. La brusque séparation finale où les regards en disent plus que la timide étreinte est tout aussi poignante. La dernière scène inverse leur rapport à l’espace, en exprimant par l’image le regret de ce qui aurait pu être et le manque que l’on ressentira de l’autre. L’éternelle solitude se ressent avec cette fois un Michel Serrault figé en gros plan le regard perdu et cette fois Emmanuelle en mouvement arpentant d’un pas spectral une rue où le temps semble comme s’être arrêté. Entre amitié et romance inassouvie, Claude Sautet tisse un délicat entre-deux où ses héros ont toujours autant de difficultés se livrer. Magnifique. 5/6

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 7 juil. 16, 17:29
par Supfiction
Je me suis repassé Max et les ferrailleurs et Un coeur en hiver ces deux derniers jours. Cela m'a permis de constater des points communs entre les deux films, plus précisement entre les personnages du flic joué par Piccoli et celui joué par Daniel Auteuil. L'un comme l'autre séduisent froidement, avec détachement, manipulent même leur victime féminine mais refusent toute relation sexuelle (et même nie tout sentiment), ce qui suscite l'incompréhension de Romy (la prostituée) et d'Emmanuelle Béart (la violoniste).

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 7 juil. 16, 17:36
par Jeremy Fox
Par contre j'imagine que Daniel Auteuil fume moins que Piccoli :mrgreen:

Les choses de la vie

Publié : 26 janv. 17, 14:36
par Thaddeus
Texte déplacé ici.

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 26 janv. 17, 15:37
par Flol
Un film que j'aime d'amour, dont les quelques scories (jamais été fan du couple un peu caricatural qui s'engueule dans sa bagnole, le cascadeur en gants et casque intégral clairement visible pendant l'accident) ne sont finalement que bien peu de choses face à l'impact émotionnel qu'il a sur moi. C'est un de ces films qui me touchent au plus profond de mon être, qui me parlent directement au coeur (alors que je n'ai même pas de maîtresse !).
La scène du mariage rêvé qui devient cauchemardesque, la fin, la musique de Sarde, la voix-off de Piccoli...les larmes les larmes les larmes.
Très beau texte, Thad'.

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 26 janv. 17, 18:24
par Watkinssien
Ratatouille a écrit :Un film que j'aime d'amour, dont les quelques scories (jamais été fan du couple un peu caricatural qui s'engueule dans sa bagnole, le cascadeur en gants et casque intégral clairement visible pendant l'accident) ne sont finalement que bien peu de choses face à l'impact émotionnel qu'il a sur moi. C'est un de ces films qui me touchent au plus profond de mon être, qui me parlent directement au coeur (alors que je n'ai même pas de maîtresse !).
La scène du mariage rêvé qui devient cauchemardesque, la fin, la musique de Sarde, la voix-off de Piccoli...les larmes les larmes les larmes.
Très beau texte, Thad'.
Je suis avec vous, les gars. Pour moi, un chef-d'oeuvre du cinéma.

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 5 juil. 17, 23:17
par Jeremy Fox
Thaddeus a écrit :
Classe tous risques
En ce temps-là, pour faire ses preuves, un jeune réalisateur devait souvent débuter par un polar ; et Sautet, déjà connu dans la profession, se plie à la règle. Mais si elle est logiquement moins personnelle que les films suivants, si elle retrouve sans peine le climat et les principes du genre (code d’honneur des mauvais garçons, embourgeoisement néfaste pouvant porter à la trahison…), cette solide série noire n’en porte pas moins la marque de son signataire, par des petites choses insolites qui surgissent comme des clignotants. Ici l’hommage discret au cinéma américain rendu à travers telle silhouette, ailleurs la riviera ligure et ses petits villages d’arrière-pays, mais surtout la sûreté d’une mise en scène qui maintient le suspense et l’efficacité tout en faisant la part belle à la dimension humaine du récit. 4/6
Ca me convient tout à fait cet avis. Même si j'ai trouvé moins captivante toute la partie qui suit le long préambule de la traque (il faut dire que la première demi-heure est tellement géniale que du coup j'ai été un poil déçu par le reste), c'est néanmoins du tout bon : mise en scène, scénario, interprétation. Chapeau monsieur Sautet ; une filmographie sans presque un faux pas excepté parait-il son film précédent.

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 5 juil. 17, 23:49
par Rick Blaine
Jeremy Fox a écrit :Chapeau monsieur Sautet ; une filmographie sans presque un faux pas excepté parait-il son film précédent.
Fait moi confiance, ne verifie pas par toi même, tu te ferais du mal, et la mémoire de Sautet ne mérite pas que ce film soit vu. :mrgreen:

Perso je trouve Classe tous risques remarquable, un grand polar français du la période.

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 3 août 17, 12:02
par Jeremy Fox
Revu Vincent, François, Paul et les autres : en tout points d'accord avec la chronique de Rick. Ma séquence la plus marquante : celle de la tentative par Montand de récupérer sa femme au café. Bouleversant !!!

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 3 août 17, 13:17
par Rick Blaine
Jeremy Fox a écrit :Revu Vincent, François, Paul et les autres : en tout points d'accord avec la chronique de Rick. Ma séquence la plus marquante : celle de la tentative par Montand de récupérer sa femme au café. Bouleversant !!!
:D

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 3 août 17, 13:25
par Bogus
Lorsque j'ai découvert Vincent, François, Paul et les autres il y a peut être 2 ans j'ai étonnement eu la confirmation d'une chose: je n'aime pas les films de potes.
Pas que ça soit un mauvais film, au contraire! Rien à redire sur ses qualités propres.
Je croyais être simplement allergique au navets bien de chez nous qui se sont multipliés après le succès des Petits mouchoirs mais en fait non c'est simplement un genre que je ne supporte pas.
Ça m'a fait la même chose, à ma grande surprise, lorsque j'ai revu Mes meilleurs copains que j'avais pourtant adoré la première fois...

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 17 janv. 18, 20:37
par cinéfile
Je viens de découvrir Un Mauvais Fils, un des derniers Sautet qui me restait à voir, et ce fut un grande et belle découverte.
A ce titre, le film intègre sans forcer mon top 3 du cinéaste (aux côtés de Max et les Ferrailleurs et Les Choses de la Vie)
Le topic regroupe déjà quelques avis dithyrambiques auquel je me joins naturellement.

C'est une oeuvre pudique et tourmentée, probablement la plus sombre de Sautet, aux personnages constamment sur le fil du rasoir et débordants d'humanité.

Superbe casting (le choix d'Yves Robert pour interpréter le père est une idée géniale !).
Jacques Dufilho mérite 100 fois son César :


Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 26 juil. 18, 20:58
par Thaddeus
Sautet revient sur sa première rencontre avec sa muse. Non pas que cette courte vidéo ait une grande valeur pédagogique, mais il est tellement difficile de résister à Romy Schneider...


Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 27 juil. 18, 18:56
par Alexandre Angel
Thaddeus a écrit :Sautet revient sur sa première rencontre avec sa muse. Non pas que cette courte vidéo ait une grande valeur pédagogique, mais il est tellement difficile de résister à Romy Schneider...

Par contre Sautet est à la limite du compréhensible!

Re: Claude Sautet (1924-2000)

Publié : 27 juil. 18, 19:54
par Watkinssien
Il l'a toujours été. Son débit était toujours curieusement frénétique.