Hop je remet ici également, réalisateur découvert récemment et que j'apprécie beaucoup.
Razzia sur la chnouf (1955)
Après un séjour aux États-Unis, Henri Ferré, alias "Le Nantais", revient à Paris pour restructurer le réseau de drogue. Son correspondant, Paul Liski, lui trouve une couverture pour traverser les mailles policières en lui offrant le bar "Le Troquet", qui a pour caissière la très belle Lisette. Celle-ci va très vite tomber amoureuse de Ferré. Pendant que le Nantais découvre tous les rouages de cette filière de la drogue, la police, bien décidée à démanteler ledit réseau, n'hésite pas à employer les grands moyens pour parvenir à ses fins...
Le touche à tout Henri Decoin réalisait avec
Razzia sur la chnouf l'un des plus remarquable et atypique polar de son temps. Adapté d'un roman d'Auguste Le Breton (à qui le polar français doit une fière chandelle au cinéma entre Du rififi chez les homme,
Le Clan des Siciliens et quelques autres tous issus de ses livres) le film donne à découvrir un univers angoissant et fascinant pour les spectateur de l'époque, celui de la drogue. Jean Gabin incarne ainsi un truand chevronné convoqué des Etats-Unis pour réguler le fonctionnement d'un réseau de trafiquant sur Paris. Amorcée durant les années quarante dans le cinéma américain, l'idée d'un monde du crime géré comme une véritable entreprise (et qui aboutira bien plus tard au
Parrain) trouve là une incarnation française en tout point crédible.
Tout les aspects logistiques et commerciaux inhérents au trafic de drogues sont donc traités en profondeur, au gré des pérégrinations de Gabin qu'on suit lorsqu'il souhaite remonter tout les éléments de son business afin de les évaluer. on découvre ainsi les différents mode de transport vers la France (un malheureux cheminots joué par Jean Sylère qui finira très mal) où vers l'étranger notamment par le port du Havre. Ce dernier point décrit une réalité sur la France comme point de jonction du trafic de drogue mondial entre les Etats-Unis, le Moyen-Orient et l'Asie et le film est en avance sur son temps pour dépeindre ce qu'on connaîtra sous le nom de la
French Connection concrètement abordé bien plus tard dans le classique de William Friedkin entre autre. La revente locale et ordinaire se dévoilera elle lors d'une longue et surprenante séquence nocturne où Gabin traverse points différents de ventes et échanges, du restaurant le plus huppé au bouge le plus sordide ou encore le métro les méthodes les plus discrètes et raffinées côtoyant les plus directes. On est pas loin du documentaire tant Decoin va loin dans la description des junkies (un panneau au générique entend pourtant bien nous montrer comme la drogue est néfaste...) que ce soit celle jouée par Lila Kedrova où les vrais fumeurs de marijuana aperçus dans un sordide bar créoles et dont les spasmes de transes hantent longtemps.
On sent une influence manifeste tout au long du film du
Touchez pas au grisbi de Jacques Becker qui a fait sensation l'année précédente. Decoin y reprend le duo Gabin/Ventura et surtout le même chef opérateur Pierre Montazel. Decoin (qui reprend presque à l'identique un moment du Becker lors d'une courte scène de bouffe commune entre Gabin et Ventura) y reproduit le rythme nonchalant et l'atmosphère parisienne nocturne du film de Becker où un faux sentiment de lenteur se voit régulièrement brisé par d'inattendues explosion de violence. A ce titre le duo de tueurs joués par Lino Ventura et Albert Remy s'avère particulièrement menaçant dans son détachement et sa brutalité comme cette terrible scène où il passe le chimiste à tabac. Gabin fait preuve de sa prestance et autorité naturelle, rendant plutôt sympathique un personnage aux actes répréhensibles qui s'expliquera lors d'une surprenante conclusion où une nouvelle fois le film s'avère très novateur. Très belle réussite donc, un des sommet du policier français. 5/6
La Vérité sur Bébé Donge (1952)
Elisabeth Donge dite: "Bébé Donge" a empoisonné son époux, François Donge. Ce dernier, sur son lit de souffrance revit les moments clés de sa vie avec Bébé, qui l'ont amené dans cette chambre de clinique. Gros industriel et collectionneur de jolies femmes, François a épousé Elisabeth d'Onneville, plus par lassitude que par amour. Bébé, jeune fille idéaliste et passionnée, n'a pu trouver en lui ce qu'elle attendait. Dix ans plus tard, cruellement déçue, elle a empoisonné son mari.
La Vérité sur Bébé Donge est la troisième adaptation de Simenon pour Henri Decoin (après
Les Inconnus dans la maison en 1942 et
L'Homme de Londres en 1943) qui signe là un de ses meilleurs films en plus de relancer la carrière de celle qu'il contribua à lancer (et qui fut un temps son épouse), Danielle Darrieux. Un construction audacieuse entre passé et présent va contribuer à nous dépeindre le désagrégement d'un couple formé par Jean Gabin et Danielle Darrieux. Le présent nous montre un Gabin agonisant sur son lit d'hôpital empoisonné par son épouse et loin de lui en tenir rigueur, c'est au contraire le regret de son attitude passée envers elle qui s'amorce en flashback et nous fait comprendre comment on en est arrivé là.
François Donge (Jean Gabin) est donc un riche industriel provincial, farouchement indépendant et amateur de femme. Séduit par la candeur de sa future belle soeur Bébé (Danielle Darrieux) il finit pourtant par l'épouser sans changer d'un pouce ses habitudes. Le scénario dépeint de manière grinçante les moeurs de cette bourgeoisie provinciale pour qui tout n'est qu'apparence. Les mariages les plus stables sont ceux arrangés par l'entremetteuse jouée par Gabrielle Dorziat et ceux qui s'unissent pour de réels sentiments finissent broyés par leur contexte. Jean Gabin incarne ainsi cet homme tout puissant et égoïste pour lequel le mariage n'est qu'une formalité de façade qui va briser les élans romantiques d'une Danielle Darrieux constamment en demande d'affection. Entre adultères, répliques cinglantes et indifférence le quotidien finit par installer le couple dans l'habitude (superbe montage sur dix années se faisant au rythme des soirées d'anniversaires de mariage) mais cela ne peut suffire à la passionnée Bébé qui va alors commettre l'impensable.
Le présent inverse le rapport avec une Bébé désormais insensible et distante envers cet homme qui l'a tant déçue alors que la flamme se ranime chez François Donge enfin conscient de son attitude et qui souhaite la reconquérir. Danielle Darrieux est également captivante en jeune mariée lumineuse et folle d'amour qu'en femme mûre austère (la quasi tenue de deuil du présent répondant aux robes stylisée aperçues dans les flashback) tour à tour aimante et vive puis d'une retenue guidée par la rancoeur tenace. Gabin est déploie tout son registre pour nous intéresser à ce personnage fort détestable et imbu de lui-même, sa rédemption finale s'avérant très touchante dans son inutilité. Le portrait se fait tout aussi féroce en toile de fond avec cette communauté (y compris les proches) prête à étouffer le crime pour maintenir l'illusion intacte sauf pour narguer l'adversaire (
Le malheur vous va bien...). La mise en scène de Decoin, sobre et précise n'en est pas moins doté de belles idées comme ses effets de flous amorçant étonnamment les retours en arrière où cette séquence finale où la voiture transportant Bébé disparait dans la nuit noire. Malgré quelques petites longueurs un pur diamant noir et sans espoir (le fait de ne jamais voir leur enfant n'est sans doute pas innocent) qui rappelle pas mal certaines futures atmosphères qu'on verra chez Claude Chabrol . 4,5/6