Quelques autres critiques
Posté par
Julien Léonard
The return of doctor X (
Le retour du docteur X) - Réalisé par Vincent Sherman / 1939 :
Depuis la sortie couronnée de succès de
Son of Frankenstein au tout début de l’année 1939, les majors compagnies hollywoodiennes se sont emparées du phénomène afin de bénéficier de ce réel regain d’intérêt du public pour le cinéma Fantastique. Le rythme de production est encore partiellement timide, mais annonce d’ors et déjà une année 1940 quantitativement plus dense, ce qui est une tendance qui va manifestement se vérifier par la suite. La Warner ne semble pas très intéressée par ce genre, mais n’était-ce pas déjà le cas durant la décennie précédente où, parallèlement aux autres firmes profitant généreusement de la mode, elle n’avait produit que des essais, certes très réussis, mais à une cadence sporadique ? Paresseusement, plus par opportunisme financier que par intérêt artistique, la puissante Warner propose donc une série B sympathique, surfant sur les succès du genre qu’elle obtint plusieurs années plus tôt. Paresseux, parce que le scénario tente de bâtir une intrigue originale autour d’un personnage (le docteur Xavier) déjà usité dans un autre film, mais sans disposer de lui avec efficacité. Opportuniste, parce que ce personnage surajouté au récit n’a strictement aucun rapport avec celui que l’on connaissait dans le film de Curtiz, et que son utilisation ne donne ici lieu qu’à des situations factices et banales : en deux mots, la Warner vend son film sur un titre à moitié mensonger, espérant rentrer dans ses frais grâce à l’aura dont dispose encore le film de 1932. Car mis à part le nom de Xavier, rien ne relie
Doctor X à ce soi-disant retour.
Mais la Warner va encore plus loin dans la négligence qu’elle porte au Fantastique, affectant ainsi à la confection du film des artefacts tout droit sortis du genre qu’elle commence à créer et qui fera sa gloire dans les années 1940 : le Film Noir. Entre deux eaux, c'est-à-dire entre le film de gangsters qui, depuis 1931, commence à s’essouffler sérieusement, et le Film Noir qui n’apparaitra définitivement qu’en 1941 (dès le superbe
The maltese falcon de John Huston), la Warner conçoit donc un film Fantastique aux relents techniques appartenant à ces deux courants cinématographiques. Le film de gangsters se voit ici représenté par un flic incompétent, une course poursuite en voitures vraisemblablement filmée dans les rues de la ville, la présence d’Humphrey Bogart (alors très habitué au genre depuis sa contribution remarquée dans
The petrified forest en 1936) et enfin par la mort par balle du docteur Xavier, encerclé par la police (topos bien connu du gangstérisme au cinéma). Le Film Noir est par contre partiellement annoncé par un noir & blanc plus lisse, la photographie ne permettant guère de procéder à la déformation ou au contraste des objets et visages, et cela même si le Film Noir sera la plupart du temps visuellement bien plus esthétique que
The return of doctor X (rendons effectivement pleine justice à ce courant aussi prolifique qu’artistiquement exigeant). Enfin, parmi les deux personnages principaux se détache le médecin qui décide de mener son enquête, tel un détective privé qui n’aurait aucune accointance avec la police. A la différence qu’il ne subsiste ici aucune femme fatale.
En ce qui concerne sa structure Fantastique, le film aligne les laboratoires de chimie et les savants fous avec méthode, rappelant régulièrement au public qu’il a affaire à une histoire dont le point de mire ne peut être réaliste. Sang synthétique (référence probablement involontaire à la chair synthétique de
Doctor X) et docteur persuadé d’œuvrer pour l’humanité sont donc de la partie. Le débutant Vincent Sherman nous gratifie d’une mise en scène très propre, sans aucun talent particulier, mais porteuse de l’efficacité habituelle du style Warner. Il parvient à servir correctement le scénario, arrangeant quelques petits instants de frayeur, tout en ne parvenant pas non plus à sauver les dix dernières minutes qui concluent le film d’une façon aussi prévisible que mécanique. La musique souligne l’ensemble avec savoir faire, faisant ressortir quelques malices de Max Steiner préfigurant le travail qu’il exécutera sur
The big sleep d’Howard Hawks en 1946. Restent les décors, très simples et réalistes, et le casting : Wayne Morris joue le journaliste aventurier un peu simplet de rigueur (agréable, surtout quand il cesse d’imiter vainement Lee Tracy dans
Doctor X), Dennis Morgan est un jeune médecin sans charisme mais au jeu très convenable, John Litel est un savant fou finalement gentil et oubliable, et Rosemary Lane échoue dans un rôle féminin méprisé par le récit à chaque instant. Bien sûr, remplaçant l’excellent Lionel Atwill dans le rôle de Xavier, Humphrey Bogart est étonnant. Bien loin des personnages de « bad guys » qui l’on enfermé dans un type de rôles desquels il désire s’échapper, il n’est pas encore la superstar hollywoodienne mythique que consacreront rapidement
High Sierra de Raoul Walsh,
The maltese falcon de John Huston (tous deux en 1941) et
Casablanca de Michael Curtiz en 1942, ainsi qu’une multitude d’autres films qu’il tournera par la suite. C’est une expérience unique que d’observer Bogart déambuler l’espace de quelques séquences comme un monstre de la Universal, le teint blafard et une mèche blanche terrassant sa chevelure sombre, à l’image de Boris Karloff dans
The walking dead de Michael Curtiz en 1936, également labellisé Warner. Le rôle ne lui convient pas, inutile de tergiverser sur cet élément. Acteur sous contrat avec la firme durant les années 1930 et 1940, on devine aisément qu’il accepta ce rôle pour gagner sa vie, à l’heure où sa carrière n’était pas encore solide comme un roc. Doté d’un professionnalisme à toute épreuve, il ne ridiculise pourtant pas le personnage, se contentant de l’incarner avec retenue, conscient qu’il n’est pas à sa place. Heureusement pour ce très grand acteur, les années difficiles seront bientôt un souvenir. Place, alors, au détective privé en gabardine et chapeau sur la tête, au résistant anti allemand malgré lui et à l’aventurier imparfait.
The return of doctor X est un aimable petit film d’épouvante qui n’offre au spectateur qu’un simple moment d’évasion. N’évitant pas toujours l’ennui, l’habileté bien connue de la Warner lui donne toutefois une stature convenable. Malgré tout, sa présence ne bouleverse en rien la production d’épouvante du moment.
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Adventures of Don Juan (
Les aventures de Don Juan) - Réalisé par Vincent Sherman / 1948 :
Certes, la grande époque de
Captain Blood et de
L'aigle des mers est terminée. Vincent Sherman n'est pas Michael Curtiz, et la magie n'est plus la même. Du souffle, de l'épique, des affrontements de géants, une mise en image unique... tout cela a disparu. Du côté des films de capes et d'épées, Flynn est désormais rentré dans le rang. Mais d'un autre côté, le film est tout de même très divertissant, très coloré, avec son lot de duels et de courses poursuites. Sherman est de toute évidence un très solide artisan, concoctant chaque séquence avec un certain sens de l'emphase (décors, couleurs, personnages). On ne peut pas dire que tout ceci soit toujours fin, d’autant que certains tics (notamment dans la direction de Flynn) ont un peu vieilli, mais ça tient plus que bien la route.
Qualitativement, je range ce
Adventures of Don Juan aux côtés du
Vagabond des mers (avec Flynn également), c'est à dire dans les divertissements honorables, bien fichus, au scénario limpide et pas trop complexe, et privilégiant le rythme autour de quelques scènes d'action bien pensées. Les deux films partagent également le fait d'avoir un budget plutôt conséquent (on est à la Warner), car personnellement, je n'ai jamais pu croire que
Le vagabond des mers était une série B... Vous avez vu les décors, les figurants, les détails en arrière plan ? On reste, quoiqu'on en pense, dans du cinéma dit "prestigieux" (au contraire d'un
A l'abordage, produit par la Universal en 1952, bien plus limité). Bref, Flynn bouge bien et conserve sa vivacité, avec à ses côtés (et pour la dernière fois) l'excellent Alan Hale, acteur et personnage haut en couleur. On s'amuse, et c'est bien là l'essentiel. Un très bon film d'aventures.
A noter qu'en France, ce film demeure l'un des plus gros succès d'Errol Flynn, avec plus de 3 700 000 entrées ! Un bien beau score.
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Posté par
Nestor Almendros
L'AMOUR IMPOSSIBLE (OLD ACQUAINTANCE) de Vincent Sherman (1943)
Suite du coffret métal Warner avec ce mélo des familles plutôt irritant à la longue.
Première curiosité, si je puis dire: le duo féminin central oppose Bette Davis à Miriam Hopkins. On sait que les deux femmes ne pouvaient se supporter or elles jouent ici les meilleures amies du monde dans ce film. Déjà pas mal de cynisme, donc, surtout si l'on observe les caractères dépeints. Car le personnage à la personnalité écrasante, à la démesure palpable, celle qui devient assez vite mal vue et inspupportable n'est pas Davis mais bien Miriam Hopkins, qui prend donc les travers aujourd'hui connus de sa rivale. Et qui laisse à Bette Davis le soin d'incarner le personnage plus honorable, l'amie patiente et dévouée.
Autre subtilité, mais moins encourageante à la longue: le scénario. Très vite le personnage de Miriam Hopkins agace. Il est fait pour cela: on accentue à loisir son comportement clichesque, caricatural, insupportable, avec ses mimiques cartoonesques et sa psychologie d'adolescente dans un corps d'adulte. Miriam Hopkins, personnage que personne ne voudrait avoir dans son entourage, écrit des romans qui nous sont très vite suggérés comme intellectuellement assez pauvres, se résumant à de simples romans de gare, romans à succès mais au contenu très limité. Double cynisme, là aussi, d'Hollywood qui ne cache pas le désaveu quotidien du public pour des oeuvres moins faciles d'accès et qui, en plus, se permet de faire un mélo dans la plus pure tradition de ce qu'il dénonce.
Car, si la première moitié du film se laisse à peu près suivre sans trop d'ennui, on découvre très vite que les enjeux dramatiques seront aussi ambitieux que ceux des romans écrits par Miriam Hopkins. Tous les ingrédients sont là, des personnages esseulés aux époques qui passent. Mais, malheureusement, aucune originalité dans le traitement, peu d'enjeux, on change d'amour comme de chemise (on décide d'épouser quelqu'un et, la seconde d'après, de le laisser à une autre) ou on retrouve sa fille perdue de vue depuis dix ans comme si l'on se croisait dans un café (scène incroyablement ratée).
Cela sent parfois tellement l'absence de motivation, niveau scénario/jeu d'acteurs/mise en scène, qu'on dirait vraiment du second degrès, je ne sais pas si c'est intentionnel. Mais vu l'époque et le public ciblé, ceux qui l'ont compris ne devaient pas être légion.
Ajoutons, pour couronner le tout, des performances d'acteurs toutes aussi oubliables. En particulier John Loder (le mari de Miriam Hopkins dans le film), au visage sympathique mais au jeu à revoir. La palme revenant à Dolores Moran (Deirdre adulte) qui aurait largement mérité un Razzie d'honneur s'il avait existé à l'époque.
Pour l'anecdote, le film sera "remaké" dans les 80's par George Cukor sous le titre RICHES ET CELEBRES. Pas vu, mais, désormais, pas motivé
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ECHEC A LA GESTAPO de Vincent Sherman
L'exemple type d'un projet assez mineur au final, mais qui reflète le travail d'enrichissement de tout un studio. D'une histoire d'espionnage rocambolesque, la Warner en a fait une sorte de comédie policière assez enlevée où le rythme reste très soutenu, les scènes d'action assez récurrentes, et l'humour toujours présent. On ne peut que remarquer ces nombreux passages de comédie, où l'on sent l'énorme travail d'écriture en ce qui concerne les répliques qui font mouche. Parfois, on se croirait vraiment dans une comédie, ce travail, même s'il reste un peu vain, étant très efficace et intéressant à observer.
Il est aussi très inhabituel de voir Bogart évoluer dans la comédie, même si, dans ECHEC A LA GESTAPO, c'est mélangé au suspense. Il reste quand même quelques scènes de pure comédie avec lui qui valent au moins le coup d'oeil.
Agréable, mais trop léger...
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L'ESCLAVE DU GANG de Vincent Sherman
J'entame avec ce film le coffret métal consacré à Joan Crawford paru chez Warner.
Un honnête film noir, teinté de mélodrame. Ce n'est pas un film désagréable mais l'ombre de la morale plane constamment. Normal, avec un personnage principal aussi déterminé dans ses ambitions, ne pensant qu'à l'argent et la réussite matérielle, et qui finit bien sûr par se frotter de trop près aux péchés, ce n'est pas si surprenant. Elle use de ses charmes pour arriver à ses fins, mais en cours de route elle ne peut s'empêcher d'éprouver des sentiments pour ses partenaires, aussi peu recommandables soient-ils.
Belle restauration malgré une pellicule parfois un peu tachée
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Posté par
Tom Peeping
Harriet Craig (Vincent Sherman, 1950)
Quand, dès la première scène, une nièce, une gouvernante et une femme de ménage sont prises de panique et courent dans tous les sens dans une grande demeure bourgeoise en lustrant les meubles d’un ultime coup de chiffon, en arrangeant les bouquets de fleur, en passant un dernier coup d’aspirateur sur le tapis persan et en polissant la boule de cuivre en bas de la rampe d’escalier… et qu’on sait qu’on est en train de regarder le début d’un film avec Joan Crawford, on ne peut que s’installer confortablement dans son canapé, les yeux rivés à l’écran et attendre avec impatience la grande entrée de la star, qui on s’en doute, ne saurait tarder.
Et ELLE entre, de dos (on découvre donc d’abord sa nuque et l’arrière de sa silhouette), traversant le décor du premier à l’arrière-plan en retirant ses gants et son manteau puis en faisant un rapide volte-face pour revenir vers le spectateur de pleine face et en gros plan, en lançant des remarques vexatoires à destination du personnel de maison (du genre, à une petite bonne qui descend précipitamment de l'étage : « Je vous ai dit mille fois de ne pas utiliser le grand escalier, ce n’est pas étonnant que le tapis soit tout élimé ! »). Lorsque le film passe dans les cinémas spécialisés de San Francisco, il paraît que cette introduction déclenche souvent des bravos et des hourras parmi le public, conquis à l’avance.
Harriet Craig étant un film de Vincent Sherman, vieux routard appliqué et souvent inspiré des Women’s Pictures en noir et blanc avec monstres sacrés (
Old Acquaintance,
Mr. Skeffington…), on se dit que les codes du mélodrame seront respectés à la lettre, que Joan Crawford mordra dans son rôle à pleines dents, que les autres feront de la figuration, que le savoir-faire sera au rendez-vous et que l’amateur de ce type de film se régalera de bout en bout. Pour ma part, qui ai découvert le film il y a peu de temps, le contrat a été respecté au-delà de mes espérances.
Evidemment, il faut à priori être adepte du genre. Le Women’s Picture (un drame dont l’histoire se focalise sur les turpitudes qui assaillent son héroïne) ne saurait être aimé de tous : les péripéties hautement improbables des scénarios, l’artificialité des décors, les partitions à base de piano et de violon et les numéros souvent outranciers des actrices peuvent aujourd’hui rebuter. Lorsque ces films étaient produits à la chaîne par Warner Bros., MGM ou Columbia entre le milieu des années 1930 et des années 1960, le public (majoritairement féminin comme le nom du genre l’indique) s’y précipitait pour déguster avec avidité les bonheurs et surtout les déboires de leurs personnages principaux, insectes vrombissants pris dans les toiles d’araignées tissées par les scénaristes à l’imagination débridée.
Harriet Craig est l’exemple parfait de ce type de film (c’est aussi un remake des deux films plus anciens
Craig’s Wife de 1928 avec Irene Rich et
Craig’s Wife de 1936 avec Rosalind Russell) : révélant comme souvent son origine théâtrale (ici une pièce de George Kelly), les personnages sont peu nombreux afin de laisser toute la place à la star ; les lieux de l’action sont limités à quelques décors d’intérieurs construits en studio ; le scénario est bavard, la parole étant le moteur principal des péripéties de l’histoire. Histoire qui n’est, au final, que l’étude de la personnalité complexe d’une héroïne et de ses capacités à résister à l’adversité.
Harriet (Joan Crawford, donc) est mariée depuis une quinzaine d’années à Walter Craig (Wendell Corey), un ingénieur plutôt introverti qui noie sa solitude dans le whisky. Emotionnellement frigide et monstrueusement égocentrique, elle se réalise dans l’aménagement et la maintenance impeccables de sa grande maison où tout semble fixé à sa place comme dans un musée. Seul un précieux vase Ming qui trône au-dessus de la cheminée semble parfois l’attendrir et la plonger dans des pensées profondes. La maison est aussi occupée par sa nièce d’une vingtaine d’années, qu’elle traite comme une domestique et deux domestiques, qu’elle traite comme des esclaves. Elle traite d’ailleurs son mari comme un cousin : si tous les objets de la demeure sont donc bien à leur place, les relations des personnages sont, elles, toutes faussées. Harriet Craig ne supporte pas les collègues de son mari (des ingénieurs sans conversation), le soupirant de sa jeune nièce (trop commun) ni le petit garçon et sa mère de la maison d’à-côté (trop familiers). Seuls quelques vieux notables et matrones de la ville, qu’elle invite lors de cocktails mensuels, trouvent grâce à ses yeux, Mais l’ordre glacial de la vie d’Harriet commence à se rompre quand le patron de son mari propose à celui-ci une mutation temporaire au Japon et que sa nièce se met à savourer de plus en plus son éveil amoureux. Harriet Craig va alors chercher à maintenir l’ordre quotidien de son existence en écrasant tout ce qui se met sur son chemin par une stratégie de mensonges, d'intimidations et de manipulations…
Harriet Craig est évidemment un festival Joan Crawford qui est de pratiquement toutes les scènes et qui, à 45 ans lors du tournage du film en 1950, commençait à devenir sa propre caricature. Tout, chez elle, semble s’hypertrophier : ses yeux, ses sourcils, ses lèvres, ses épaules. Ses coiffures et ses tenues se compliquent dans un crescendo d’artifice. La sublimement belle star des années 1930 devient l’étonnante créature de la seconde partie de sa carrière qui fait, plus encore aujourd’hui qu’hier, les beaux jours des transformistes cinéphiles. Un rôle comme
Harriet Craig, qu’elle reprendra d’ailleurs presque à l’identique en 1955 dans un autre formidable Women’s Picture,
Queen Bee, fascine parce qu’il fusionne dans l’imaginaire de nous-autres spectateurs, ce que l’écran nous montre et ce qu’on l’on nous a dit (à tort ou peut-être à raison) de Joan Crawford la femme à travers le livre à scandale de sa fille adoptive Christina et du film-culte qui en a été tiré :
Mommie Dearest. Pour avoir pas mal lu et vu de choses sur Crawford, je ne suis pas loin de penser que certains excès d’Harriet Craig reflètent quelque peu la personnalité borderline de l'actrice, notamment son obsession de l’organisation et de l’ordre et sa rage de rester en contrôle de chacune des minutes de son existence.
Dans le touchante eulogie que George Cukor a dite pour Joan Crawford lors de la soirée d’hommage à la star quelques semaines après sa mort, une anecdote est assez parlante : Cukor rappelle qu’avant les progrès techniques apportés aux caméras, les plans larges se terminant par un gros-plan de visage qu’Hollywood aimait tant nécessitaient l’utilisation d’imposantes grues qui portaient sur un plateau la caméra et l’équipe technique. Les travelings pour les gros-plan des actrices ou des acteurs demandaient donc à la machinerie de s’approcher, venant souvent de loin, au plus près de leurs visages. Cukor se souvient que seule Joan Crawford sentait la grue s’approcher d’elle sans broncher, ciller ni montrer la moindre appréhension. Qu’elle seule semblait toujours en contrôle total sur ses craintes et ses émotions face à un monstre mécanique en mouvement avant.
A la fin de
Harriet Craig, l’héroïne du film se retrouve dans sa grande maison vide et la caméra la suit de loin, montant lentement et en grande tenue le majestueux escalier, seulement accompagnée de son ombre projetée sur le mur incurvé et des accords lyriques de l’orchestre. C’est une scène extraordinaire, un sommet du genre (même si les Women's Pictures regorgent de scènes finales épatantes). Harriet Craig a foutu sa vie en l’air mais on ne s’en fait pas trop pour elle. On a compris pourquoi elle hait les hommes, les femmes, les enfants et la poussière. Comme Joan Crawford, elle a regagné le contrôle après un passage difficile et est prête à affronter une nouvelle phase de son existence.
Joan Crawford est morte à 72 ans dans son appartement de New-York, le 10 mai 1977, après une vaillante bataille contre le cancer. Loin de Hollywood mais près de son lit, il n’y avait ni ses enfants, ni ses proches mais seulement sa gouvernante et une fan de longue date qui avait su l’apprivoiser. Les affaires classées et les importuns évacués, Lucille LeSueur aka. Joan Crawford quittait la vie comme elle l'avait vécue : en ordre et en contrôle.
Harriet Craig est un film que je recommande vivement, d'abord parce que c'est une excellente distraction et aussi pour plein d'autres raisons dont la moindre n’est pas de voir comment un vase Ming réussit presque à voler la vedette à Joan Crawford, avec laquelle l'objet inanimé s'est mis en tête de livrer un combat sans merci.
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Posté par
Cinéphage
Mr. Skeffington, de Vincent Sherman (1944)
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- Pari osé pour la star de la Warner, puisqu'il s'agit pour elle d'incarner une coquette courtisée dont les appats résistent au temps, alors que Bette Davis n'a pas forcément le physique glamour. Pourtant, elle parvient à rendre crédible, de façon indéniable, son personnage, en portant son affeterie, son indifférence et sa vanité à un très niveau. On aboutit à un être qui oscille entre le monstrueux et la fragilité (on sent à quel point son équilibre repose sur peu de choses), qui parvient à choquer, mais aussi à toucher le coeur de son public. Il est d'ailleurs frappant, à la fin du film, lorsque Bette Davis se vieillit de façon extrême, d'y trouver cette faculté d'enlaidissement qui l'a tant suivie.
Grace à une interprétation sans faille (B.Davis est fabuleuse, mais elle est très bien entourée. Je suis par ailleurs surpris de découvrir un Claude Rains plus sensible et bon que dans les rôles pour lequel je le connaissais), une pléïade de seconds rôles succulents, héritée des films des années 30 (la floppée de ses courtisans, ses domestiques...), et c'est sans doute dans cette qualité de l'interprétation que réside le succès du film.
Ne connaissant Vincent Sherman que de nom (je le voyais un peu comme un tacheron), j'appréhendais un peu sa mise en scène, mais le film est suivi avec une certaine neutralité qui le nuit en rien à l'ambiance, bien au contraire. Le rythme est soutenu, le film porte quelques bonnes idées de cadrage et d'utilisation de la musique, bref, c'est bien fichu, rien à dire.
Au final, entre Eve, Baby Jane, Apple Annie et Mrs Skeffington (et, dans une moindre mesure, Elisabeth d'Angleterre), je retrouve chez cette comédienne un gout pour le risque et la remise en question de soi par l'enlaidissement et/ou l'incarnation de femmes au physique défaillant, contraintes par le temps ou leur position sociale à renoncer à l'amour des hommes, à la beauté ou à la gloire. Une comédienne qui, au dela de son impeccable cinégénie (elle mange vraiment l'écran), développe des rôles dangereux, se remet en question, et tire ses partenaires de jeux vers le haut. Une très grande dame.
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Posté par
Atcloserange
The Damned Don't Cry - Vincent Sherman (1950)
Bien aimé ce "mélo policier" (appellation faute de mieux) autour de l'ambition de Joan Crawford de s'élever au dessus de sa condition par tous les moyens (et notamment la manipulation des hommes). Bien sûr l'amour viendra contrecarrer ses plans. J'ai bien aimé la réalisation élégante de Sherman et découvert un acteur à la forte présence, David Brian.
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