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Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 1 avr. 11, 19:13
par cinephage
En science-fiction, le postulat spéculatif peut porter, comme c'est souvent le cas, sur une invention technologique ou sociale.

Mais il peut aussi porter sur une transformation psychologique, soit que ce personnage futur soit plus intelligent, soit qu'il soit plus maitre de lui qu'un contemporain, soit, pourquoi pas, qu'il aie été conçu dans un cadre précis, pour une raison précise, qui est sa raison d'être et qu'il accepte, même si parfois avec difficultés (mais on constate que ces difficultés sont bien faibles). Conditionnement par l'éducation, résignation morale, ou déterminisme génétique, ce n'est pas clairement dit dans le film, mais il est clairement exposé que ces jeunes gens sont incapables de se révolter, que leur sort est admis par tous, à commencer par eux-mêmes. C'est le spectateur qui s'indigne et se révolte, en homme du XXI° siècle, devant cette société future qui lui est proposée...
Les personnages, eux, n'aspirent qu'à deux années de plus, et uniquement pour vivre leur histoire d'amour (autrement, ils auraient accepté leur sort, comme tout le monde).

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 1 avr. 11, 19:31
par AtCloseRange
cinephage a écrit :En science-fiction, le postulat spéculatif peut porter, comme c'est souvent le cas, sur une invention technologique ou sociale.

Mais il peut aussi porter sur une transformation psychologique, soit que ce personnage futur soit plus intelligent, soit qu'il soit plus maitre de lui qu'un contemporain, soit, pourquoi pas, qu'il aie été conçu dans un cadre précis, pour une raison précise, qui est sa raison d'être et qu'il accepte, même si parfois avec difficultés (mais on constate que ces difficultés sont bien faibles). Conditionnement par l'éducation, résignation morale, ou déterminisme génétique, ce n'est pas clairement dit dans le film, mais il est clairement exposé que ces jeunes gens sont incapables de se révolter, que leur sort est admis par tous, à commencer par eux-mêmes. C'est le spectateur qui s'indigne et se révolte, en homme du XXI° siècle, devant cette société future qui lui est proposée...
Les personnages, eux, n'aspirent qu'à deux années de plus, et uniquement pour vivre leur histoire d'amour (autrement, ils auraient accepté leur sort, comme tout le monde).
Pourquoi 2 années changeraient quelque chose s'ils sont résignés d'avance?
Et en quoi la résignation peut être un ressort dramatique?
Elle entraîne immanquablement un récit du surplace.

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 1 avr. 11, 19:40
par Demi-Lune
AtCloseRange a écrit :Pourquoi 2 années changeraient quelque chose s'ils sont résignés d'avance?
Mais parce que la possibilité concrète d'un sursis intervient précisément au moment où Cathy et Tommy se retrouvent, donc peuvent former un couple ! Et s'ils peuvent s'aimer, alors ils peuvent peut-être obtenir un sursis.
Et en quoi la résignation peut être un ressort dramatique?
Elle entraîne immanquablement un récit du surplace.
C'est lors de leurs retrouvailles à tous les 3 que Ruth leur donne le nom de cette femme qui peut peut-être leur accorder une rémission.
Deux ans de sursis, ça ne représenterait donc rien pour un couple qui s'est toujours aimé mais qui peut enfin, pour la première fois, vivre leur amour contrarié pour de bon, même si c'est pour deux ans ? La morale du film nous interroge pourtant sur la valeur du temps et à la manière dont on le met à profit.
Quant à voir un "récit du surplace" découlant de cette résignation, je ne comprends pas très bien, et je dirais que le récit est suffisamment riche pour que cette idée telle qu'elle est présentée soit contestable.

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 1 avr. 11, 20:02
par AtCloseRange
C'est donc juste parce qu'ils sont apathiques (et donc fainéants) qu'ils ne s'en sont pas préoccupé avant?
Et est-ce que l'amour en lui-même est vraiment compatible avec des personnages aussi soumis à leur destin de victime?
Et comme en plus cette contrainte de jouer le rôle de victime n'est finalement symbolisée que par un bip lorsqu'ils entrent ou sortent de leur logement, difficile de la prendre pour argent comptant.

Et puis, l'amour, ça demanderait une force de vie qu'ils n'ont effectivement pas. Le film (et/ou le roman) essaie de jouer avec des choses qui me semblent contradictoires.

Mais je serais vraiment curieux de voir si le livre s'affranchit de tout ça.

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 1 avr. 11, 20:12
par Demi-Lune
AtCloseRange a écrit :C'est donc juste parce qu'ils sont apathiques (et donc fainéants) qu'ils ne s'en sont pas préoccupé avant?
Et est-ce que l'amour en lui-même est vraiment compatible avec des personnages aussi soumis à leur destin de victime?
Excuse-moi, mais je ne comprends plus tes arguments, j'ai l'impression qu'on s'écarte de plus en plus de ce dont parle le film.
J'en resterai donc là pour ma part.

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 1 avr. 11, 20:19
par AtCloseRange
Demi-Lune a écrit :
AtCloseRange a écrit :C'est donc juste parce qu'ils sont apathiques (et donc fainéants) qu'ils ne s'en sont pas préoccupé avant?
Et est-ce que l'amour en lui-même est vraiment compatible avec des personnages aussi soumis à leur destin de victime?
Excuse-moi, mais je ne comprends plus tes arguments, j'ai l'impression qu'on s'écarte de plus en plus de ce dont parle le film.
J'en resterai donc là pour ma part.
Tu as raison, c'est plus simple comme ça.

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 1 avr. 11, 20:22
par Demi-Lune
AtCloseRange a écrit :
Demi-Lune a écrit : Excuse-moi, mais je ne comprends plus tes arguments, j'ai l'impression qu'on s'écarte de plus en plus de ce dont parle le film.
J'en resterai donc là pour ma part.
Tu as raison, c'est plus simple comme ça.
J'estime avoir dit ce que j'avais à dire pour défendre ce film, et de l'avoir fait de façon suffisamment argumentée.
Merci pour ta condescendance.

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 1 avr. 11, 20:42
par hansolo
Demi-Lune a écrit : Deux ans de sursis, ça ne représenterait donc rien pour un couple qui s'est toujours aimé mais qui peut enfin, pour la première fois, vivre leur amour contrarié pour de bon, même si c'est pour deux ans ? La morale du film nous interroge pourtant sur la valeur du temps et à la manière dont on le met à profit.
Très juste!
C'est exactement ce que j'ai ressenti.
Par bien des aspects, le réalisateur réussit de manière subtile à nous impliquer dans l'histoire et nous faire nous interroger sur le sens de la vie et la valeur du temps.
(d'ailleurs - dans un tout autre registre - Romanek avait adopté un point de vue tout aussi original et iconoclaste en s’écartant des récits habituels très explicatifs dans son précedent film, le superbe One hour photo :!: )

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 2 avr. 11, 00:47
par cinephage
AtCloseRange a écrit :C'est donc juste parce qu'ils sont apathiques (et donc fainéants) qu'ils ne s'en sont pas préoccupé avant?
Et est-ce que l'amour en lui-même est vraiment compatible avec des personnages aussi soumis à leur destin de victime?
Et comme en plus cette contrainte de jouer le rôle de victime n'est finalement symbolisée que par un bip lorsqu'ils entrent ou sortent de leur logement, difficile de la prendre pour argent comptant.

Et puis, l'amour, ça demanderait une force de vie qu'ils n'ont effectivement pas. Le film (et/ou le roman) essaie de jouer avec des choses qui me semblent contradictoires.

Mais je serais vraiment curieux de voir si le livre s'affranchit de tout ça.
Ta position est vraiment indéfendable à mes yeux : il n'est pas besoin d'aller chercher dans un hypothétique avenir pour trouver des gens qui acceptent leur destin sans broncher, parce que la contrainte sociale ou culturelle le leur impose. Combien de jeunes gens, en Asie ou au moyen-orient, voire en Europe, acceptent d'épouser une personne dont ils ne savent rien, qu'ils n'aiment pas, parce que ça a été décidé et que c'est comme ça ?? La révolte, l'héroïsme qui remet tout en question au nom d'une pseudo-idéalisation de la liberté individuelle, bien que très populaire au cinéma, surtout américain (Land of the Free, of course), n'a rien d'une règle ou d'une norme dans la vraie vie. Les personnages du film ne sont ni apathiques, ni fainéants, ils ont grandi dans un paradigme qui fixe de façon précise leur role dans la société, et ils n'ont pas vocation à tout remettre en question. Dans le monde réel aussi, ça arrive, ce genre de personnes. Ils sont même, et tu sembles l'ignorer, plus courants que les héros qui refusent le rôle qu'on leur attribue.
Ca n'empêche ni la réalité des sentiments, ni l'émergence d'envies et d'aspirations en conflit avec ce rôle. Mais ce n'est pas forcément la soif de liberté qui gagne la partie.

Bref, pour des raisons qui ne sont pas explicitées, mais n'ont pas besoin de l'être, parce que là n'est pas le propos du film, ces personnages acceptent leur position dans la société. C'est cette situation qu'examine le film. Il est paradoxal qu'en tant que public conditionné au héros défendant la liberté et la tarte aux pommes, tu en viennes à considérer leur position comme inconcevable ou non crédible.

Tiens, je lis par hasard un article de presse sur le Bengladesh, dont je peux citer ici quelques lignes :
L'ONU estime que presque la moitié des femmes bangladaises endurent des violences domestiques et qu'elles sont nombreuses à se faire violer, battre ou même tuer à cause du système patriarcal de leur pays.

Dans le cas de Hena, l'affront l'a poursuivie même après son décès: à l'hôpital, les médecins ont noté dans son rapport d'autopsie qu'elle s'était suicidée. Dans ce pays, il est courant que les femmes qui se sont fait violer se suicident pour éviter le déshonneur à leur famille.
Parle-t-on de femmes apathiques et fainéantes ?? Pourquoi n'envoient-elles pas balader les vicelards, ne refusent-elles pas le mariage, ne s'associent-elles pas contre l'injustice ?? Elles semblent l'accepter comme faisant partie de leur vie, de leur destin. La contrainte culturelle et sociale est une composante majeure de la personnalité d'un individu, et il faut une position bien extérieure et dénuée d'empathie pour considérer qu'il est "facile" de s'en extraire. Never let me go ne fait que s'intéresser aux victimes d'un système possible, quoique, certes imaginaire et futuriste. Mais l'attitude des "donneurs" ne me parait aucunement invraisemblable ni absurde, aussi tragique que cela soit (et c'est sans aucun doute une des composantes de la tragédie que décrit le film).

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 2 avr. 11, 01:49
par AtCloseRange
cinephage a écrit :
AtCloseRange a écrit :C'est donc juste parce qu'ils sont apathiques (et donc fainéants) qu'ils ne s'en sont pas préoccupé avant?
Et est-ce que l'amour en lui-même est vraiment compatible avec des personnages aussi soumis à leur destin de victime?
Et comme en plus cette contrainte de jouer le rôle de victime n'est finalement symbolisée que par un bip lorsqu'ils entrent ou sortent de leur logement, difficile de la prendre pour argent comptant.

Et puis, l'amour, ça demanderait une force de vie qu'ils n'ont effectivement pas. Le film (et/ou le roman) essaie de jouer avec des choses qui me semblent contradictoires.

Mais je serais vraiment curieux de voir si le livre s'affranchit de tout ça.
Ta position est vraiment indéfendable à mes yeux : il n'est pas besoin d'aller chercher dans un hypothétique avenir pour trouver des gens qui acceptent leur destin sans broncher, parce que la contrainte sociale ou culturelle le leur impose.
Je crois que moi aussi, je vais en rester là.
"indéfendable"... ah ben, ils sont beau le modos....

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 2 avr. 11, 09:06
par ed
C'est pas possible d'échanger avec Cinephage (ou un autre pseudo de couleur) sans lui coller l'étiquette de sa fonction ? Son dernier message n'avait pourtant rien à voir avec de la modération...

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 2 avr. 11, 11:08
par Cortez The Killer
AtCloseRange a écrit :
cinephage a écrit :
Ta position est vraiment indéfendable à mes yeux : il n'est pas besoin d'aller chercher dans un hypothétique avenir pour trouver des gens qui acceptent leur destin sans broncher, parce que la contrainte sociale ou culturelle le leur impose.
Je crois que moi aussi, je vais en rester là.
"indéfendable"... ah ben, ils sont beau le modos....

AtCloseRange défend son point de vue contre vents et marées et je le conçois parfaitement.
Cependant, je pense que Cinephage et Demi-Lune touchent un point très délicat qu'il est difficile de réfuter sans s'égarer du sujet.
Même si Cinephage s'est montré un peu "radical" avec les citations de l'article de presse dans le sens ou il a pris des cas extrêmes (mais malheureusement authentique), ses propos se révèlent fort pertinent.
En effet, le contexte culturel et social des protaginistes du métrage reflètent ce qui se passe un peu partout dans le monde. Et c'est justement sur ce facteur que le métrage bouleverse.

Après, que tu n'es pas ressenti cela de la même manière n'est aucunement désobligeant et prouve tu es quelqu'un d'intègre et qui reste fidèle à ses idées.
Sans jouer les médiateurs inopinés, il faut savoir accepter les arguments des autres et ce, même si l'on croit dur comme fer à son idée.
J'espère que tout ceci nous vous empêchera pas de débattre sur ce film qui le mérite tant.

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 2 avr. 11, 11:33
par cinephage
J'ai évoqué, certes, un cas extrême, mais à titre illustratif d'une situation qu'atcloserange affirmait comme étant non crédible ou irréaliste psychologiquement. Juste histoire de dire que des gens qui acceptent ce qui peut nous paraitre impensable, ça existe, et pas si loin que ça. Et qu'il m'apparait qu'en tant que spectateur, on est tellement conditionné par le schéma du personnage qui refuse l'ordre établi et l'injustice que la description d'un personnage qui l'accepte nous dérange. D'où des reproches adressés à ces personnages, que je trouve injustes et peu pertinents, sauf à s'en tenir au modèle du personnage classique de cinéma. Des gens qui acceptent leur sort, ce ne sont pas forcément, à mes yeux, des gens soumis à leur destin de victime au point d'être incapables d'amour, pour reprendre ses derniers termes.

Navré si mon ton a pu être trop appuyé, il était tard (et, comme ed, je ne vois pas bien en quoi mon rôle de modo intervient ici). Je ne pense pas avoir insulté quiconque ou quoi que ce soit de la sorte, j'ai dénoncé une position que je trouve indéfendable, parce que contraire à l'enseignement immédiat qu'apporte une simple observation du monde.

A mon sens, cette résignation des personnages est un des aspects les plus troublants du film, le plus inhabituel eu égard aux schémas narratifs courants. Ca rend le film d'autant plus émouvant qu'il ne m'est pas apparu que c'était faux, psychologiquement.

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 2 avr. 11, 12:26
par Karras
L'erreur d'interprétation est peut être de voir de la résignation la ou il s'agit d'abnégation. Le fait que l'auteur du scénario soit d'origine japonaise donne, à mon avis, des pistes pour une vision moins occidentale de la psychologie des personnages ( à rapprocher peut être du comportement global des japonais face aux événements récents qui semble susciter étonnement et admiration de par chez nous ).

Re: Never let me go (Mark Romanek - 2010)

Publié : 2 avr. 11, 12:37
par riqueuniee
Tout à fait. Un article sur le film allait dans le même sens, disant que ce qui nous semble aberrant (le "pourquoi ne se révoltent-ils pas ?") , d'autant plus que nous sommes "conditionnés" par nombre de films était plus normal dans d'autres cultures.L'article disait aussi qu'au Japon, réussir à bien tenir la place qui vous est assignée dans la société pouvait être considéré comme "héroïque". Ceci dit, culture non occidentale ou pas, le fait de voir dans un tel film (anticipation/SF ) des personnages qui ne révoltent pas reste quand même troublant.