Re: True Grit (Joel & Ethan Coen - 2011)
Publié : 15 mars 11, 18:45
Le True Grit des frères Coen ne mérite ni excès d'éloges ni indignité.
Toutefois, le jugement que l'on peut porter sur le film diverge selon le critère de comparaison choisi. Commençons par juger ce True Grit là à l'aune du film d'Hathaway, dont il est un remake fidèle : le film d'Hathaway est meilleur ; il est mieux photographié, porté par un John Wayne qui prête à son Rooster Cogburn une personnalité plus marquante et plus chaleureuse que celle plus dure de Jeff Bridges, plus intéressant aussi dans ses notations sur la vie d'une petite ville de l'ouest américain de la fin du 19e siècle, et plus équilibré dans son rythme. Deuxièmement, où se situe le True Grit des Coens par rapport aux canons du western classique ? True Grit est un film sobre et sérieux, fort bien joué par le trio Steinfeld/Bridges/Damon (ce-dernier, en particulier, est parfait). Le bât commence à blesser visuellement : bien que la lumière du film soit parfois très travaillée, les Coens ne parviennent pas à se hisser au niveau de beauté plastique des grands westerns classiques américains, en particulier du point de vue des cadrages et du choix des paysages. C'est une déception après la beauté de certains plans désertiques de No Coutry for Old Men. Sans doute alors faut-il comparer True Grit aux autres films des Coens pour mieux l'évaluer ? La déception est plus cruelle encore : on peine à déceler dans ce bon western de studio la patte des Coens, soit qu'ils aient souhaité s'effacer devant les canons du genre, soit qu'ils aient préféré adapter avec le plus de fidélité possible le livre de Charles Portis.
L'adaptation du livre de Portis, parlons-en justement. Certains critiques peu sérieux, se fiant au marketing du studio et aux interviews des Coens, ont avalisé l'idée selon laquelle ce True Grit là serait un retour aux sources du roman de Charles Portis, lequel aurait été adapté trop librement par Hathaway ou vampirisé par John Wayne.
C'est une fumisterie, une de plus, de la machinerie du marketing qui emballe parfois les films hollywoodien comme des paquets cadeaux aux motifs trompeurs. D’abord, le film des Coens ressemble énormément, dans sa structure, son déroulement, ses bavardages, au film d’Hathaway. Il est singulier de prétendre se départir d’un film qui sert si souvent de modèle. Ensuite, et surtout, le film d’Hathaway est au moins aussi fidèle à Portis, si ce n’est davantage, que celui des Coens. Pour comparer une adaptation cinématographique au livre dont elle est tirée, il faut, avant de s’intéresser à l’intrigue, regarder si le style du livre s’accommode du style du cinéaste. Charles Portis appartient à l'école behavioriste de la littérature américaine. Son style est sec, sans fioriture, exempt d'adjectifs ; il rend compte sans juger. Son True Grit est ainsi un livre qui ne vaut pas par son style neutre et journalistique, mais pour son histoire d'une fillette implacable traquant l'assassin de son père et reconnaissant dans Rooster Cogburn presque son double masculin, endurci par la vie et les épreuves, individualiste et misanthrope. A cette aune, le style de découpage sec et limpide d'Hathaway offre une meilleure transposition au cinéma du style de Portis que le style et l'inspiration habituellement plus libres et plus brutaux des Coens. D'ailleurs, en réalisant leur True Grit, ces derniers, allant contre leur nature d'artiste, ont perdu de leur puissance créatrice.
Faisons maintenant un sort à la narration du film, toujours dans le cadre de cette comparaison. Seuls trois éléments factuels se trouvant dans le film des Coens le rapprochent davantage du livre que le film d'Hathaway : le fait que Mattie soit jouée par une actrice plus jeune que dans le film d'Hathaway (Mattie a 14 ans dans le livre), le fait que film s'ouvre et se ferme avec la voix-off de Mattie (chez Portis, elle narre elle-même son histoire) et l'épilogue, très fidèle pour le coup, qui se situe 25 ans plus tard. A mon sens, aucun de ces éléments ne sont suffisants pour affirmer que le film des Coens est plus fidèle au roman de Portis que le film d'Hathaway. D'ailleurs, à l'inverse, plusieurs passages et péripéties du film des Coens ne se trouvent pas dans le livre de Portis (ni chez Hathaway), à savoir le passage avec le pendu, la rencontre avec l’homme-ours, la chevauchée éperdue dans la nuit pour sauver Mattie (chez Portis, comme chez Hathaway, cela se fait de jour avec emprunt d’un charriot), et le fait que Mattie tue elle-même l’assassin de son père, alors que chez Hathaway de même que chez Portis, c’est Rooster Cogburn, la figure protectrice, qui porte le coup fatal.
C’est un paradoxe à la fois amusant et révélateur que ces rajouts soient ce qu’il y a de mieux dans le film des Coens. Les passages avec le pendu et l’homme-ours, la chevauchée dans la nuit, contre un ciel étoilé tendu comme une toile de théâtre, relèvent du domaine du conte du XVIIIe siècle, et échappent aux mots de Portis et à la juridiction du western. Lors de la chevauchée nocturne, dont j’ai personnellement beaucoup aimé l’esthétique moirée, au seuil du fantastique et du royaume des ombres de la nuit baignées de lune, nous ne sommes plus dans un western, mais dans ce si beau poème de Goethe qu'est Le Roi des Aulnes : « Quel est ce chevalier qui file si tard dans la nuit et le vent ? C'est le père avec son enfant… Le père frissonne d'horreur, il galope à vive allure, Il tient dans ses bras l'enfant gémissant, Il arrive à grand-peine à son port… »
C’est donc lorsque les Coens échappent à l’ombre portée des codes du western avec lesquels ils semblent moins à l’aise, comme pétrifiés de respect, qu’on a bien voulu le dire, qu’ils parviennent à faire leur ce True Grit, qu’ils parviennent à faire entendre leur propre voix. Fumisterie du marketing hollywoodien décidément, tout fier de prétendre à un retour aux sources, quand c’est justement par un démarquage clair et net du True Grit de Portis, et partant de celui d’Hathaway, que les Coens seraient parvenus à faire un grand film, un film portant leur marque !
Toutefois, le jugement que l'on peut porter sur le film diverge selon le critère de comparaison choisi. Commençons par juger ce True Grit là à l'aune du film d'Hathaway, dont il est un remake fidèle : le film d'Hathaway est meilleur ; il est mieux photographié, porté par un John Wayne qui prête à son Rooster Cogburn une personnalité plus marquante et plus chaleureuse que celle plus dure de Jeff Bridges, plus intéressant aussi dans ses notations sur la vie d'une petite ville de l'ouest américain de la fin du 19e siècle, et plus équilibré dans son rythme. Deuxièmement, où se situe le True Grit des Coens par rapport aux canons du western classique ? True Grit est un film sobre et sérieux, fort bien joué par le trio Steinfeld/Bridges/Damon (ce-dernier, en particulier, est parfait). Le bât commence à blesser visuellement : bien que la lumière du film soit parfois très travaillée, les Coens ne parviennent pas à se hisser au niveau de beauté plastique des grands westerns classiques américains, en particulier du point de vue des cadrages et du choix des paysages. C'est une déception après la beauté de certains plans désertiques de No Coutry for Old Men. Sans doute alors faut-il comparer True Grit aux autres films des Coens pour mieux l'évaluer ? La déception est plus cruelle encore : on peine à déceler dans ce bon western de studio la patte des Coens, soit qu'ils aient souhaité s'effacer devant les canons du genre, soit qu'ils aient préféré adapter avec le plus de fidélité possible le livre de Charles Portis.
L'adaptation du livre de Portis, parlons-en justement. Certains critiques peu sérieux, se fiant au marketing du studio et aux interviews des Coens, ont avalisé l'idée selon laquelle ce True Grit là serait un retour aux sources du roman de Charles Portis, lequel aurait été adapté trop librement par Hathaway ou vampirisé par John Wayne.
C'est une fumisterie, une de plus, de la machinerie du marketing qui emballe parfois les films hollywoodien comme des paquets cadeaux aux motifs trompeurs. D’abord, le film des Coens ressemble énormément, dans sa structure, son déroulement, ses bavardages, au film d’Hathaway. Il est singulier de prétendre se départir d’un film qui sert si souvent de modèle. Ensuite, et surtout, le film d’Hathaway est au moins aussi fidèle à Portis, si ce n’est davantage, que celui des Coens. Pour comparer une adaptation cinématographique au livre dont elle est tirée, il faut, avant de s’intéresser à l’intrigue, regarder si le style du livre s’accommode du style du cinéaste. Charles Portis appartient à l'école behavioriste de la littérature américaine. Son style est sec, sans fioriture, exempt d'adjectifs ; il rend compte sans juger. Son True Grit est ainsi un livre qui ne vaut pas par son style neutre et journalistique, mais pour son histoire d'une fillette implacable traquant l'assassin de son père et reconnaissant dans Rooster Cogburn presque son double masculin, endurci par la vie et les épreuves, individualiste et misanthrope. A cette aune, le style de découpage sec et limpide d'Hathaway offre une meilleure transposition au cinéma du style de Portis que le style et l'inspiration habituellement plus libres et plus brutaux des Coens. D'ailleurs, en réalisant leur True Grit, ces derniers, allant contre leur nature d'artiste, ont perdu de leur puissance créatrice.
Faisons maintenant un sort à la narration du film, toujours dans le cadre de cette comparaison. Seuls trois éléments factuels se trouvant dans le film des Coens le rapprochent davantage du livre que le film d'Hathaway : le fait que Mattie soit jouée par une actrice plus jeune que dans le film d'Hathaway (Mattie a 14 ans dans le livre), le fait que film s'ouvre et se ferme avec la voix-off de Mattie (chez Portis, elle narre elle-même son histoire) et l'épilogue, très fidèle pour le coup, qui se situe 25 ans plus tard. A mon sens, aucun de ces éléments ne sont suffisants pour affirmer que le film des Coens est plus fidèle au roman de Portis que le film d'Hathaway. D'ailleurs, à l'inverse, plusieurs passages et péripéties du film des Coens ne se trouvent pas dans le livre de Portis (ni chez Hathaway), à savoir le passage avec le pendu, la rencontre avec l’homme-ours, la chevauchée éperdue dans la nuit pour sauver Mattie (chez Portis, comme chez Hathaway, cela se fait de jour avec emprunt d’un charriot), et le fait que Mattie tue elle-même l’assassin de son père, alors que chez Hathaway de même que chez Portis, c’est Rooster Cogburn, la figure protectrice, qui porte le coup fatal.
C’est un paradoxe à la fois amusant et révélateur que ces rajouts soient ce qu’il y a de mieux dans le film des Coens. Les passages avec le pendu et l’homme-ours, la chevauchée dans la nuit, contre un ciel étoilé tendu comme une toile de théâtre, relèvent du domaine du conte du XVIIIe siècle, et échappent aux mots de Portis et à la juridiction du western. Lors de la chevauchée nocturne, dont j’ai personnellement beaucoup aimé l’esthétique moirée, au seuil du fantastique et du royaume des ombres de la nuit baignées de lune, nous ne sommes plus dans un western, mais dans ce si beau poème de Goethe qu'est Le Roi des Aulnes : « Quel est ce chevalier qui file si tard dans la nuit et le vent ? C'est le père avec son enfant… Le père frissonne d'horreur, il galope à vive allure, Il tient dans ses bras l'enfant gémissant, Il arrive à grand-peine à son port… »
C’est donc lorsque les Coens échappent à l’ombre portée des codes du western avec lesquels ils semblent moins à l’aise, comme pétrifiés de respect, qu’on a bien voulu le dire, qu’ils parviennent à faire leur ce True Grit, qu’ils parviennent à faire entendre leur propre voix. Fumisterie du marketing hollywoodien décidément, tout fier de prétendre à un retour aux sources, quand c’est justement par un démarquage clair et net du True Grit de Portis, et partant de celui d’Hathaway, que les Coens seraient parvenus à faire un grand film, un film portant leur marque !