Le Déserteur de Fort Alamo (The Man from Alamo, 1953) de Budd Boetticher
UNIVERSAL
Avec Glenn Ford, Julia Adams, Chill Wills, Victor Jory, Hugh O' Brian, Neville Brand,
Scénario : Steve Fisher et D.D. Beauchamp d’après une histoire de Niven Busch et Oliver Crawford
Musique : Frank Skinner
Photographie : Russell Metty (Technicolor)
Un film produit par Aaron Rosenberg pour la Universal
Sortie USA : 07 août 1953
Petite minute nostalgique principalement pour les gens de ma génération (les quarantenaires) puisque, après avoir suivi assidument et passionnément pendant plus de 16 ans l'émission présentée par Eddy Mitchell, '
La Dernière séance', nous avons appris qu'elle avait décidé de s'arrêter (pour notre plus grand malheur) ce 28 décembre 1998 avec comme film de première partie, le western qui nous concerne à cet instant,
Le Déserteur de Fort Alamo. Ce ne devait pas être de gaieté de cœur que nous l'avions regardé ce jour là.
Le Déserteur de Fort Alamo vient clôturer la première salve de western réalisée par Budd Boetticher avant la fructueuse et célèbre collaboration qui le liera avec Randolph Scott. Moins célèbre que celle à venir, cette première série de western tournée pour le studio Universal aura néanmoins contribuée à révéler en Boetticher un des cinéastes les plus talentueux à œuvrer dans le genre.
Un corpus de quatre films assez différents par leurs thèmes ainsi que par les lieux et époques évoquées mais toutefois déjà sacrément intéressant et dans l’ensemble formidablement réussi si l’on excepte le décevant
Seminole, pas déplaisant pour autant. On y trouve tout d'abord deux films narrant les vies tourmentées de ‘hors-la-loi’ malgré eux :
The Cimarron Kid mettant en scène Bill Doolin (Audie Murphy), bandit relâché pour bonne conduite puis obligé de replonger par la faute de la jalousie d'un homme de loi ;
Horizons West décrivant l’ascension d’un homme à l’ambition démesurée (Robert Ryan) n'ayant pas pu digérer la défaite de son camp lors de la Guerre de Sécession. Deux meurtriers dont on ne peut pardonner les crimes mais qui ont des circonstances atténuantes et que Boetticher faisait en sorte de nous rendre extrêmement attachants. Les deux suivants entrent un peu plus de plein pied dans la grande histoire sans cependant emprunter la voie de la fresque, trop éloignée des préoccupations de Boetticher :
Seminole narrait un fait peu connu des Guerres Indiennes se déroulant du côté de la Floride ; enfin ce
Man from Alamo dont l'intrigue se déroule quasiment au même moment, en 1836, l'année qui marque l'indépendance de la République du Texas, le futur état s'étant extrait du joug militaire du Mexique qui se faisait de plus en plus pressant. Et encore une fois des 'héros' pour lesquels il est aisé de ressentir de l'empathie à leur égard.
Pendant la guerre d’indépendance du Texas, alors que la célèbre bataille de Fort Alamo fait rage, cinq combattants originaires de la ville d’Oxbow, prennent d’un coup conscience de la menace qui pèse aussi sur leurs familles restées en arrière, l’invasion des troupes mexicaines s’étant étendue vers le Nord. Dans le but d’aller mettre à l’abri leurs femmes et enfants avant qu’il ne soit trop tard, ils décident de tirer au sort celui d’entre eux qui devra quitter Fort Alamo avant que la forteresse ne tombe aux mains du généralissime Santa Anna. Le destin choisit Johnny Stroud (Glenn Ford) et celui-ci abandonne les lieux sans donner d’explications. Mais en arrivant sur place, il se rend compte qu’il a accompli tout ceci pour rien, les familles ayant déjà été toutes décimées. Un jeune mexicano, seul survivant des massacres, lui apprend que ces exactions n’ont pas été commises par des mexicains mais bel et bien par des mercenaires américains, menés par le Colonel Jess Wade (Victor Jory). Johnny n’a plus qu’une idée en tête : se venger de ces assassins. Mais entre-temps, Fort Alamo est tombé, tous les Texans y sont restés. Personne ne connaissant vraiment la raison de sa ‘désertion’, on considère dorénavant Johnny comme un couard et un traître qui ne mérite que de se faire lyncher. Alors que les femmes et enfants évacuent la ville de peur de voir arriver les troupes mexicaines, voici donc maintenant Johnny en cellule avec (le hasard faisant bien les choses) l’un des ‘massacreurs’. Il décide de profiter de cette 'aubaine' pour infiltrer le gang de Wade…
…et nous n’en sommes qu’à peine à 20 minutes de film !
"The Man from the Alamo était assez drôle mais pas très personnel. J’ai beaucoup aimé réaliser ce film : il y avait Julia Adams, qui est une fille merveilleuse, et Chill Wills, toujours aussi drôle… Il s’agissait de la véritable histoire d’Alamo… Néanmoins, nous avons voulu en faire un film drôle pour contrebalancer le côté pathétique de l’histoire…" En lisant cette bribe d’interview donnée par Budd Boetticher à Bertrand Tavernier en 1964 (soit seulement 11 ans après la réalisation du film) et ayant vu le film, l’inquiétude vous tenaille de savoir où a bien pu se volatiliser votre sens de l’humour ! Mais la conclusion s’impose vite à vous : à 48 ans, le fameux cinéaste commençait déjà à avoir de sérieux problèmes de mémoire. En tout cas, cet entretien prouve assurément que Boetticher, le prince de la série B 'westernienne' des années 50, n’a jamais tenu son film en haute estime pour en avoir un souvenir aussi faussé. En effet, après maintes visions consécutives, je peux vous affirmer que
The Man from the Alamo ne contient pas ne serait-ce qu’une ligne de dialogue humoristique, ce qui n’est d’ailleurs pas un mal au vu du sujet assez tragique, et que le personnage de Chill Wills n’est absolument pas utilisé comme faire-valoir comique comme il l'a souvent été. Mais personne ne pourra se plaindre de voir cette histoire semi-véridique alourdie par un comique pesant.
Au contraire, Boetticher a pris assez au sérieux cette épopée de la fuite en avant de texans poursuivis par des francs tireurs passés à l'ennemi, ce qui permet au spectateur de glaner en cours de route certaines indications historiques peu connues du commun des mortels sur cet épisode de l’histoire américaine. Attention, n’allez pas croire qu’il s’agisse d’un film historique bien documenté comme son illustre successeur, mais certains faits nouveaux viennent éclairer cette période. Après un premier quart d’heure se passant à Alamo (siège que le film de John Wayne narrera en long en large et en travers -et avec quel talent !-), l’intrigue bifurque sur l’aventure de ce ‘déserteur’ malgré lui et nous apprenons entre autre que Santa Anna offrait des terres aux texans afin que ceux-ci se rangent à ses côtés, que des bandits en profitaient pour piller, vêtus de tenues mexicaines afin que la faute retombe sur les seuls envahisseurs ; que les soldats ont tous été réquisitionnés par Sam Houston pour contrer les mexicains, laissant les colons sans défense se débrouiller seuls face aux 'massacreurs'… Bref, un postulat historique intéressant à l’intérieur d’une aventure surtout individuelle.
Dès le début du film, nous voyons apparaître le logo planétaire du studio Universal, suivi, un peu plus loin dans le générique, du nom de Aaron Rosenberg en tant que producteur. Ces deux éléments nous remémorant immédiatement les fabuleux westerns du duo Anthony Mann / James Stewart (
Winchester 73 ;
Les Affameurs), un sourire vient directement s’afficher sur nos lèvres. Mais il faut quand même vite remettre les choses à leur place car, s'il s'avère extrêmement plaisant,
The Man from Alamo est loin d'atteindre les sommets des précédents westerns d'Anthony Mann ni même ceux auxquels s'était élevé
Le Traître du Texas. On y retrouve cependant et avec grand plaisir tous les éléments 'boetticheriens' par excellence : le thème de la vengeance qui demeurera un leitmotiv chez lui ; des femmes toujours sublimement belles et touchantes (ici, Julia Adams déjà présente aux côtés de Rock Hudson dans
Horizons West) ; une intrigue à la fois dense et elliptique mais à l’arrivée un film ne dépassant que rarement les 75 minutes ; une volonté de ne surtout pas faire du 'sur-western', la psychologie n’intéressant pas trop le cinéaste, se préoccupant plus de l’histoire individuelle de ces héros que de la grande Histoire pourtant présente ici comme l’évoque son titre.
Glenn Ford (que nous n'avions pas vu souvent récemment) incarne Johnny Stroud, un homme qui assume ses choix même si ceux-ci choquent et font jaser. Il ne cherche même jamais à se justifier étant certain de la légitimité de ses décisions : c’est pour cette raison que ce personnage, plus que par sa virilité ou sa bravoure, prouve sa force. Car il démontre rarement son courage, n’explique jamais ses faits et gestes mais va de l’avant sachant exactement où il doit se diriger pour arriver à ses fins. A plusieurs moments dans le courant de l’intrigue, il devra dévier de son chemin initial mais aucune indécision dans ses retournements ; en à peine une seconde, il décide de voler au secours du convoi quitte à être démasqué par les mercenaires de Jess Wade. Et là où le personnage acquiert une dimension humaine supplémentaire, c’est au cours du seul moment dans le film, en compagnie de la belle Julia Adams, où il se met à douter du bien fondé de sa décision n’ayant abouti que sur un échec : un petit coup de cafard qui sera cependant vite balayé, l’action venant reprendre ses droits assez vite et le moment n’étant plus à l’apitoiement.
Car comme vous avez du le pressentir, l’intrigue est riche en rebondissements et retournements de situations. Jugez plutôt par un rapide retour en arrière sur la suite de l’histoire narrée en tout début : Stroud, le 'lâche' ("
The man who left The Alamo"), en route pour la potence, la bande de Jess Wade qui écume la région fait justement son entrée dans la ville pour délivrer leur comparse et piller la banque. Cependant, le magot a disparu mais Stroud en profite pour les suivre et infiltrer ainsi le gang. Il se sert de son 'statut' de traître et de couard auprès de la population pour se faire accepter par les ennemis. Ayant appris que l’argent se trouve dans le convoi en fuite comprenant femmes et enfants, Wade décide de l’attaquer. Sans aucune hésitation et sans s’en cacher (le jeune mexicain qui travaillait chez ses parents massacrés et la pulpeuse jeune femme à qui il l’a confié, faisant tous deux partie de la caravane), Johnny avertit immédiatement le convoi, empêche ainsi le guet-apens de réussir avant de passer du côté des pourchassés quitte à perdre ses chances faciles de vengeance. Alors que les soldats qui convoyaient la caravane sont réquisitionnés en dernière minute pour pouvoir participer à une offensive contre Santa Anna, Stroud se retrouve le seul homme à défendre les chariots et leurs occupants… Nous n’irons pas jusqu’à dévoiler la fin même si elle ne possède rien de bien originale, allant dans le sens de ce qu’on attend d’un western traditionnel.
Tout ceci est très sympathique, se suit sans aucun ennui et même avec un certain plaisir car le métier du cinéaste est déjà très solide pour lui permettre de mener à bien son histoire sans bavures sur un tempo soutenu et avec un sens de l’ellipse qui lui est totalement personnel. La photo de Russell Metty, le chef opérateur attitré de Douglas Sirk mais aussi entre autres de
Spartacus,
The Misfits,
La Soif du mal (excusez du peu) nous offre une belle palette de couleurs, la partition de Frank Skinner est pleine d’allant et les décors naturels sont bien dépaysants même si ce sont toujours les mêmes malgré l’avance du convoi. Quant au casting, made in Universal, ce qui revient à dire à l'époque, parfaitement bien choisi. Aux côtés de Glenn Ford et Julia Adams, on peut voir Victor Jory dans la peau de l'inquiétant chef des mercenaires, un Chill Wills très sobre ou un Hugh O'Brian plutôt convainquant même s'il tient le mauvais rôle du soldat borné ne croyant pas à l'histoire du déserteur. Et si vous connaissez l'intrigue par cœur, amusez vous à essayer de repérer les apparitions de Guy 'Zorro' Williams, Dennis Weaver (Duel) ou Stuart Whitman.
De quoi se plaindre alors, allez vous me rétorquer ? La mécanique étant au départ parfaitement huilée et, à priori le personnage joué par Glenn Ford (même si celui ci manque un peu du charisme qu’il acquerra par la suite surtout avec Richard Brooks et Delmer Daves) recelant de formidables richesses psychologiques, nous ne pouvons cependant qu’être assez déçus par le traitement très conventionnel qu’a fait subir à cette intrigue passionnante le scénario de Beauchamp et Fisher qui se contente d’accumuler les scènes d’actions sans jamais vraiment faire décoller le film comme il aurait du. Les scénaristes exploitent moyennement et sans véritable rigueur tous les thèmes qu’ils avaient sous la main que ce soit au niveau historique ou purement narratif voire psychologique ; les personnages manquent donc un peu de consistance. Il en aurait certainement été autrement si Niven Busch, auteur de l’histoire et scénariste autrement talentueux, s’était attelé lui-même à l’écriture. Mais que ça ne nous empêche pas de savourer comme il se doit cette solide série B formidablement distrayante, aux scènes d’actions dégraissées et d'une redoutable efficacité, que ce soient les combats à poings nus, la mise à sac d'une ville ou les poursuites à cheval et chariots. Un très bon petit film mais un Boetticher mineur.