Fort Invincible (Only the Valiant, 1951) de Gordon Douglas
WARNER
Avec Gregory Peck, Ward Bond, Barbara Payton, Gig Young, Lon Chaney Jr, Neville Brand, Jeff Corey, Steve Brodie
Scénario : Edmund N. North & Harry Brown
Musique : Franz Waxman
Photographie : Lionel Lindon
Une production William Cagney pour la Warner
Sortie USA : 13 avril 1951
Quatrième western de Gordon Douglas,
Only The Valiant atterrit dans les salles de cinéma américaines seulement une semaine après
Les Rebelles du Missouri (The Great Missouri Raid) du même réalisateur. Après avoir évoqué quelques années de la vie aventureuse de célèbres hors-la-loi (en l’occurrence les frères James), le cinéaste s’essaie au western de cavalerie, sous-genre né seulement trois années auparavant avec
Fort Apache de John Ford et qui commençait sérieusement à fleurir en ce début de décennie. Avec
Rio Grande, Ford venait de mettre un terme à son indispensable et insurpassable trilogie ; les autres pouvaient désormais s’y engouffrer, presque tous les grands spécialistes du genre allant en tâter un jour ou l’autre. Si la première demi-heure de
Only the Valiant est assez traditionnelle, nous plongeant dans la description du petit monde d’une garnison à la fin du 19ème siècle tout en narrant la situation conflictuelle entre l’armée américaine et la nation indienne (comme l’avaient déjà fait John Ford justement ou Sam Wood au travers du très bon
Embuscade), la seconde partie est plus originale, sorte de huis-clos en plein air comme l’avait été l’année précédente
La Révolte des Dieux Rouges (Rocky Mountain) de William Keighley. Seulement, même si le film de Gordon Douglas s’avère un peu plus captivant que ce dernier, on pourrait néanmoins lui faire en gros les mêmes reproches. Avant de les exposer, attardons nous deux minutes sur le pitch du film.
Au Nouveau-Mexique dans le dernier quart du 19ème siècle, un détachement de soldats arrive à Fort Invincible situé à la sortie d’un passage fréquemment utilisé par les Apaches lorsqu’ils décident de partir pour des raids meurtriers. Le bastion vient d’être mis à sac et brûlé, tous ceux qui s’y trouvaient, massacrés. Mais Tuscos, le chef indien est fait prisonnier par le Capitaine Richard Lance (Gregory Peck) qui, obéissant aux ordres de ses supérieurs au lieu d’écouter les conseils de l’éclaireur Joe Harmony (Jeff Corey), décide de le conduire à Fort Winston. En arrivant là-bas, le Colonel Drumm avoue à Lance qu’il aurait préféré voir le prisonnier mort car il craint maintenant que les Apaches viennent délivrer leur chef et qu’ils ne trouvent qu’une faible résistance, l’effectif des Tuniques Bleues étant limité à l’intérieur de ce fortin. Il prend alors la décision de faire conduire Tuscos dans une forteresse mieux défendue ; mais l’escadron chargé du ‘transfert’, commandé par le lieutenant Holloway (Gig Young), se fait décimer en cours de route. A Fort Winston, tout le monde fait reposer cette tragédie sur les épaules de Lance y compris la femme dont ce dernier est amoureux ; cette dernière croit en effet que c’est Lance qui a choisi Holloway pour commander la troupe dans l’intention d’éliminer son rival. Dénigré par tous, haï par ses hommes, il décide pour retrouver une certaine aura de monter une mission suicide : dans l’attente de 400 hommes en renfort, aller surveiller la passe située aux abords de Fort Invincible pour empêcher les indiens de repartir à l’attaque. Il établit une liste de six soldats qui devront l’accompagner ; il choisit les hommes qui le détestent le plus, la lie de l’escadron composée de soudards, poltrons, psychopathes en tous genres…
La première partie débute d’une manière fulgurante par de puissantes images du fort venant d’être pillé par les Indiens ; un soldat fiché par des flèches sur la porte d’entrée, un autre couché au milieu des flammes transpercé par une lance… Puis le scénariste ne tarde pas à nous brosser un portrait assez passionnant de l’officier qui commande l’escouade, le Capitaine Lance interprété par Gregory Peck qui a étrangement toujours affirmé qu’il s’agissait de son plus mauvais rôle. Refusant d’écouter l’éclaireur qui lui demande de tuer le chef indien, ce qui ferait selon lui cesser définitivement les combats, Lance, ne voulant pas désobéir aux injonctions de ses supérieurs, refuse au risque d’envenimer la situation. Très à cheval sur les principes et la discipline, il ne veut pas non plus quitter le fortin sans que ses hommes aient tout remis en ordre ; une excessive maniaquerie qui fait monter la colère chez ses soldats. De retour au fort Winston, il se fait réprimander par son supérieur qui lui explique qu’il ne faut pas être aussi obtus et que certains ordres ne doivent pas être suivis à la lettre si on estime qu’ils provoqueront plus de mal que de bien. Lance écoute mais ne 'moufte' pas et ne réplique rien ; tout comme lors de cette superbe séquence au cours de laquelle il veut s’expliquer à la femme qu’il aime qui croit qu’il a expressément envoyé son rival à la mort. Nous spectateurs savons qu’il n’en est rien et il nous est assez difficile de le voir se faire admonester par la jolie Barbara Payton sans qu’elle ne lui laisse la parole une seule seconde ; voyant qu’il n’arrivera pas à se faire entendre, il tourne les talons et sort de la pièce sans se retourner. A ce moment là, ayant également assisté à son dénigrement par ses propres hommes de troupe, on commence à le prendre en pitié même si on lui reconnait dans le même temps les torts exposés ci-avant dus à une trop grande rigidité. Lance, par sa raideur et son respect trop poussé des coutumes militaires, pourrait s'apparenter au personnage de Thursday (Henry Fonda dans
Fort Apache) mais contrairement à ce dernier très compétent ; un personnage avec ses défauts et faiblesses, un officier de cavalerie richement décrit et finalement très attachant. Certains trouveront Gregory Peck assez terne ; j’estime au contraire qu’il n’en finit pas de nous dévoiler un certain charisme à travers la sobriété de son jeu. Dans la peau de cet officier impopulaire, il me semble ici parfait tout comme dans n'importe quel autre de ses films. Un immense acteur !
Trois excellents premiers quarts d’heure parfaitement bien écrits même s’ils se révèlent sans grande surprise. Et paradoxalement, le bât blesse dès la plus originale seconde partie qui pourrait avoir été le modèle des futurs films de commandos dont le plus justement célèbre sera
Les Douze Salopards (The Dirty Dozen) de Robert Aldrich. Pour l’accompagner lors de sa mission suicide, Lance recrute des fortes têtes (blasés, lâches, ivrognes, déserteurs, meurtriers, violents, racistes…) qui tous pour diverses raisons souhaiteraient le voir mort et qui tous arrivent dans cette forteresse où ils vont rester cloitrés jusqu’à la fin du film dans une ambiance on ne peut plus crispante. Une ‘portion théâtrale’ au sein d’un film se devrait au moins de disposer de protagonistes fastueusement croqués, de leur faire subir une intéressante évolution psychologique, de leur mettre en bouche de percutants (ou tout simplement bons) dialogues pour arriver à passionner le spectateur qui se trouve enfermé à leurs côtés qui plus est dans un décor de carton-pâte assez cheap. Mais contrairement au personnage de Lance, les autres soldats seront dessinés à la hache, sans nuances, tout comme les indiens d’ailleurs. La meilleure façon de faire de ces derniers des ennemis implacables et inquiétants aurait peut-être été de ne jamais les montrer comme l’avait fait Raoul Walsh dans
Aventures en Birmanie (Objective Burma) qui possède d’ailleurs plus d’un point commun avec le western de Gordon Douglas ; au contraire, dans Fort Invincible, non seulement on les voit mais ils sont presque tous interprétés par des blancs assez mal grimés ce qui les rend caricaturaux et leur fait perdre de la vraisemblance. Pour en revenir aux soldats, certes les acteurs sont bien choisis, certes Ben Johnson est fabuleux dans le rôle de cette grande gueule dont le whisky est la passion première, certes Lon Chaney Jr a une trogne pas possible (mais quel vilain cabotinage le concernant), mais nous aurions aimé que leurs personnages aient été plus ‘dégrossis’ à l’écriture. Et puis le scénario devient lui aussi assez schématique à l’image de la scène la plus célèbre, celle ou Lance va réunir ses homme et leur dire chacun leur tour le motif de leur enrôlement pour cette dangereuse besogne. Enfin, alors que l’ambiance plantée avait réussie à être extrêmement tendue, alors que le cinéaste était arrivé à nous tenir en haleine, notamment lors d’une séquence d’attente et d’attaque nocturne qui n’a presque rien à envier au film de Walsh suscité, voilà que les scénaristes se mettent à nous proposer des séquences assez grotesques qui cassent involontairement tout le sérieux qu’ils avait réussi à mettre en place.
Un exemple : alors que deux des soldats ont été faits prisonniers par les indiens, liés ensemble à un poteau, ils se chamaillent puisque l’un étant un ex confédéré, l’autre un unioniste pur et dur, ils ne se supportent pas. Alors qu’on leur enlève leurs liens, voilà qu’ils se ‘mettent sur la gueule’ avec une fureur aveugle alors qu’ils auraient pu unir leur efforts pour faire face à la situation dramatique dans laquelle ils se trouvaient ou pour essayer de fuir. Et les indiens hilares de regarder ce navrant spectacle ! Et que dire des soldats semblant se réjouir derrière leur nouveau joujou qu’est la mitrailleuse (n’oublions pas que Charles Marquis Warren, auteur de l’histoire dont a été tiré le scénario, n’était pas franchement progressiste, réalisateur plus tard de quelques westerns parmi les plus racistes qui soient) ! Quant à l’improbable Happy End… Bref, le film n’a pas tenu toutes se promesses de départ. Quoiqu’il en soit, même s’il se révèle factice et schématique ce n’en fait pas un mauvais film pour autant. Outre tout un premier tiers excellent, Gordon Douglas nous démontre avec peu de moyens à sa disposition son savoir faire en terme de gestion de l’espace, de maitrise du cadre et d’instauration d’une atmosphère tendue ainsi que son efficacité lorsqu’il s’agit de filmer des scènes d’action. L’obsédante menace due à la proximité de la passe qui ressemble à un tunnel fantôme est assez bien rendue, aidée en cela par une magnifique photographie en noir et blanc assez ‘dure’ qui renforce le sentiment d’oppression de l’ensemble.
Non pas une grande réussite du genre mais un plaisant exercice de style parfaitement bien réalisé et interprété. Le cinéaste ne peut pourtant pas encore prétendre côtoyer les plus grands avec ce western auquel il est même pour l’instant permis de préférer, toujours de Gordon Douglas,
The Nevadan avec Randolph Scott. Mais le réalisateur qui avait fait ses armes dans le long métrage avec devant sa caméra Laurel et Hardy n’a pas dit son dernier mot. Il va falloir donc patienter encore un peu pour découvrir ses westerns les plus réussis. En attendant,
Only the Valiant est déjà une honorable entrée en matière.