Demi-Lune a écrit :Personnellement, je n'ai pas été follement enthousiaste à l'égard de The Social Network justement parce que Fincher ne parvient pas à lui donner du coffre, ce supplément d'âme qui peut s'apparenter à ta conception de l'implication émotionnelle.
Oui, j'ai lu ta critique du film. C'est un peu ce déficit d'incarnation qui empêche le film d'accéder au rang de film "important" pour moi. Je le trouve brillant et intelligent, mais rien d'autre que ça (c'est déjà beaucoup). En fait, je n'ai pas grand chose à reprocher au film, qui atteint largement les objectifs qu'il se fixe. Je n'ai pas non plus particulièrement envie d'en parler (puisqu'il ne m'a pas touché). Je voulais juste comprendre un peu mieux la réception de ceux qui le défendent parce que quasiment personne ne fait état de cette dimension "affective" qui me semble primordiale.
Strum a écrit :Cependant, de même qu'il y a plusieurs types de sensibilité, il existe plusieurs types
Je suis complètement d'accord avec tout ce que tu dis là. Il y a bien des façons d'aimer un film, bien des manières d'être ému, intéressé ou stimulé par un film - et heureusement ! Comme toi, mais de façon sans doute moins intense,
The Social Network m'a interpellé d'une façon intellectuelle : j'ai pris du plaisir devant le brio qu'il déploie, l'intelligence dont il fait preuve pour approfondir son sujet, sa narration, etc. Pour autant, j'aurai toujours plus d'affection pour un film moins "parfait" dans sa forme et son exécution mais qui me touchera davantage par ses personnages et son histoire. Encore une fois, mon message visait simplement à tester un peu la réception émotionnelle des gens ici, qui pour la plupart font de ce film l'un des plus importants (si ce n'est le plus important) de l'année, parce que je me suis rendu compte à la lecture des avis sur ce topic que le film ne semblait refléter aucun écho d'ordre émotionnel sans pour autant que ça pose de problème à personne.
Pour poser le problème autrement : as-tu vu cette année un/des film(s) qui t'a davantage ému, d'un strict point de vue intime/empathique, que
The Social Network ? Si oui, le(s) mettrais-tu au-dessus de ce Fincher dans ton classement des films de l'année ?
(pour moi, la réponse est oui dans les deux cas - le oui à la première question impliquant le oui à la seconde)
Nikita a écrit :Comme toi, souvent, il me faut de l'affectif pour vraiment adorer un film.
J'ai beaucoup aimé The Social Network, il n'est pas un de mes films préférés, mais je le trouve excellent.
Voilà, nous sommes d'accord. La nuance me semble importante, entre "beaucoup aimer" et "
vraiment adorer".
Je coupe sans doute les cheveux en quatre, mais quand je vois le plébiscite du film alors même que peu de monde semble impliqué émotionnellement... bref, je me répète.
Nikita a écrit :non seulement j'ai ri, donc éprouvé une certaine émotion, mais j'ai aussi été particulièrement touché par le personnage d'Eduardo et, dans une moindre mesure, par celui de "l'ex" - je n'ai plus le nom du personnage en tête - et même de Mark, sa grande solitude est assez bien rendue je trouve.
Je vois, et ces raisons me semblent plus proches de celles qui font que j'aime beaucoup un film, moi aussi.
Eduardo est en effet le personnage le plus touchant du film. Le temps de présence de l'ex (combien ? 3 minutes ?) m'empêche de vraiment m'attacher à elle. Quant à Zuckerberg, si sa solitude est assez bien rendue, il m’apparait couvert d’une espèce de carapace affective qui a plutôt tendance à me mettre à distance. Ca vient sans doute de moi, mais rarement ai-je eu l’impression, face à Mark, qu’il ressente quoi que ce soit. Il me donne le sentiment d’être un nerd déconnecté de toute sensibilité, un bloc de cérébralité froide, qui abandonne très vite toute affectivité ; et plus le film avance, moins j’ai l’impression qu’il est ému par quoi que ce soit. C’est comme s’il abandonnait la part sentimentale de son humanité pour atteindre ses objectifs : la réussite de son projet. Du coup, j’ai du mal à être touché par lui, parce que j’ai du mal à être ému par quelqu’un qui,
précisément, ne me semble pas éprouver d’émotion. Mais c’est bien ici que se situe une partie de l’intérêt du film, justement : dans l’auscultation précise de cette soustraction au monde, et dans l’étude des conséquences (humaines, entre autres) de la subordination d’un être à un système et à un projet qui l’isole dans sa bulle. Si je devais donner un comparatif-qu’est-ce-que-ça-fout-là-rien-à-voir, je renverrais au personnage de Michael Corleone dans
Le Parrain 2, qui suit lui aussi un processus de glaciation émotionnelle, presque de déshumanisation, mais que l’on sent constamment révulsé et horrifié par ce qu’il est en train de devenir. Sa trajectoire l’enferme en lui-même : et en lui-même, justement, il bouillonne. C’est ce bouillonnement intérieur que je ne ressens pas, ou si peu, chez Zuckerberg, et qui me fait défaut pour être touché par lui.