La Chevauchée de l'Honneur (Streets of Laredo, 1949) de Leslie Fenton
PARAMOUNT
Sortie USA : 11 mai 1949
Leslie Fenton, réalisateur décidément trop peu connu en France, est celui qui avait signé cette petite merveille qu'était
Whispering Smith avec Alan Ladd l'année précédente.
Streets of Laredo est son western suivant, un remake d'un film de 1936,
La Légion des damnés (The Texas Rangers) de King Vidor. Au scénario, Charles Marquis Warren qui signe son premier travail pour un western, genre dans lequel il va quasiment se cantonner aussi bien en tant que scénariste qu'en tant que cinéaste, pas toujours pour le meilleur d'ailleurs ; nous reverrons donc son nom réapparaitre à de nombreuses reprises tout au long de ces pages. En tout cas, son scénario adapté d'une histoire de Louis Stevens est agréablement troussé même s'il n'arrive jamais vraiment à faire décoller le film vers les hauteurs espérées au vu du thème central, une amitié entre trois hommes et au souvenir ému du précédent film de Leslie Fenton.
Au Texas en 1878, les inséparables Jim Dawkins (William Holden), Wahoo (William Bendix) et Lorn Reming (Macdonald Carey), d’inoffensifs et sympathiques pilleurs de diligence, sauvent Rannie (Mona freeman), une jeune fille, après que son oncle ait été tué par une dangereuse bande de hors-la loi emmenée par l’impitoyable Calico (Alfonso Bedoya). Poursuivis par ce dernier, ils sont contraints de se séparer afin de rester en vie. Malgré eux, Jim et Wahoo se voient engager dans les Texas Rangers ; quant à Lorn, ayant continué du mauvais côté de la loi en multipliant les hold-up, la valeur de la mise à prix de sa tête ne cesse d’augmenter. Au nom de leur amitié passée, nos trois héros vont tout faire pour que leurs chemins ne se croisent pas jusqu’au jour où Jim reçoit pour mission d’arrêter son ancien camarade ; la confrontation semble désormais inévitable, rendue encore plus difficile par la présence aux côtés du hors-la-loi, de Rannie, tombée entre-temps amoureuse de lui...
En 1936, King Vidor réalisait donc
The Texas Rangers, honnête western (mais qui ne méritait pas de rester dans les annales) dont treize ans plus tard, le même studio (Paramount) allait mettre en chantier le remake que voilà et qui ressemble énormément à l’original, les producteurs ayant semblé jusqu’à choisir les acteurs personnifiant les trois personnages principaux en fonction de leurs ressemblances physiques avec Lloyd Nolan, Jack Oakie et Fred McMurray. Le réalisateur Leslie Fenton venait l’année précédente de réaliser cette petite pépite méconnue qu’est
Smith le taciturne ; que l'on vous prévienne d’emblée pour éviter de trop fortes désillusions, même si certains aspects de l’histoire sont proches - comme ce bel attachement entre un policier et un hors-la-loi, le pénible choix à faire entre l’amitié et son devoir, etc. - ce
Streets of Laredo est loin d'arriver à la cheville de son magnifique prédécesseur.
Néanmoins, nous nous trouvons devant un western de série tout à fait honorable et jamais ennuyeux, grâce surtout à l’efficacité de la mise en scène (on peut le vérifier dès la première séquence de l’attaque de la diligence expédiée en à peine deux ou trois plans, dont le premier est un beau et long plan d’ensemble éloigné), au ton agréable de l’ensemble et à de belles performances d’acteurs, notamment celle d’un MacDonald Carey que l’on n'attendait certes pas à ce niveau (beaucoup sauront de qui il s'agit quand je leur aurais dit qu'il incarnait l'inspecteur de police amoureux de Teresa Wright dans
Shadow of a Doubt d'Alfred Hitchcock) ; il faut dire qu’il joue le protagoniste le plus intéressant de l’histoire, celui qui restera du mauvais côté de la loi tout en demeurant extrêmement attachant et charismatique. Déjà dans la version de King Vidor, c’est Lloyd Nolan dans le même rôle qui tirait toute la couverture à lui ; il en est donc de même pour Macdonald Carey dans
Streets of Laredo malgré les très agréables performances du jeune William Holden (qui n'en était pas à son premier western mais dont la carrière explosera surtout l’année suivante grâce à
Sunset Boulevard de Billy Wilder) et de William Bendix (vous savez, cet acteur enrobé extrêmement attachant qui incarne la même année le policier qui poursuit Robert Mitchum tout au long de
The Big Steal de Don Siegel).
Moustachu et tout de noir vêtu, très classieux un peu à la manière de Robert Taylor dans
Le Réfractaire (
Billy le Kid), MacDonald Carey mérite à lui seul que l’on jette un œil à ce sympathique western ; grâce à lui, la première demi-heure, celle décrivant l’amitié entre les trois hommes, est un pur régal, les dialogues ne manquant pas de piquant. A partir du moment où les routes de nos charmants "héros" se séparent et où Lorn apparaît moins à l’écran, l’intérêt retombe un peu car le scénario de Charles Marquis Warren demeure plutôt conventionnel et s’éparpille un peu trop ; à signaler aussi, l’aspect historique présent dans l'histoire de Louis Stevens a été complètement gommé. En effet, contrairement au film de King Vidor, on ne parlera jamais ici de la "pacification" du Texas par cette milice dont le générique semble vouloir rendre hommage ; pas non plus d’attaque indiennes ou autres épisodes héroïques à la gloire des Texas Rangers ; ce qui n’est pas forcément plus mal mais ce qui du coup évacue toute séquence susceptible de posséder un souffle épique.
Qu’à cela ne tienne, les scènes d’action ne manquent pas, Leslie Fenton montre qu’il sait se servir d’une caméra, nous octroie de superbes gros plans, nous étonne par la sécheresse de certains éclairs de violence et par une confrontation finale qui rehausse un film jusque-là un peu trop convenu. Parmi ses autres points positifs,
Streets of Laredo bénéficie aussi d’un beau Technicolor (malgré le recours trop fréquent à d’assez vilaines transparences ; le budget semble avoir été moindre que pour
Whisepring Smith), de splendides décors naturels filmés à la frontière du Nouveau Mexique et de l’Arizona, et d’un score assez enlevé de Victor Young. Intéressant de voir aussi que les ‘bandits’ du film utilisent la même méthode que pratiqueront plus tard les mafiosi, à savoir l’obligation sous la menace de se faire octroyer une certaine somme contre la promesse de les protéger ; et puis le coup de l'assassinat par un revolver tenu par une main cachée en dessous de la table, s’il sera utilisé jusqu’à plus soif notamment dans le western italien, je ne suis pas certain qu’on ne le remarque pas ici pour une des premières fois et avec d'ailleurs une redoutable efficacité puisqu’un des personnages principal en fait les frais. Les inconditionnels du genre devraient passer un très agréable moment et certains autres pourraient très bien tomber sous le charme de cette histoire d'amitié difficile entre trois hommes qui ont pris des chemins différents alors que dans le même temps deux des amis sont attirés par la même femme.
Si la première vision m'avait laissé un goût d'amertume, attendant probablement trop d'un deuxième film découvert du cinéaste Leslie Fenton, cette seconde tentative m'a beaucoup plus convaincu. Dommage que le cinéaste n'emploie pas des actrices à la hauteur de leurs partenaires masculins (Mona Freeman ne nous procure que peu d'émotions), qu'il n'ait pas été plus audacieux dans sa mise en scène et qu'il se soit contenté d'un bon scénario mais par trop inégal. En l'état, un film néanmoins fortement distrayant, assez attachant et se concluant sur dix dernières minutes vraiment superbes.