Franc Jeu (Honky Tonk, 1941) de Jack Conway
MGM
Sortie USA : 01 octobre 1941
Franc Jeu fait partie de ces westerns découverts un mardi soir à la télévision alors que je devais avoir entre 10 et 12 ans ; mais alors que
Le Réfractaire ou
Les Pionniers de la Western Union m’avaient durablement marqués, le film de Jack Conway ne m’avait pas laissé un grand souvenir. Et pour cause ! Alors qu’à l’époque j’attendais surtout du western de l’aventure, des chevauchées, des duels, des bagarres et autres séquences en plein air, je n’avais rien de tout cela à me mettre sous la dent. Revu aujourd’hui, même si l’intrigue n’a rien d’exceptionnelle ni de passionnante, il s’agit pourtant d’un pur et délectable divertissement reposant uniquement sur les dialogues et les acteurs ; les premiers étant éblouissants, les seconds parfaits, le spectacle est brillant et de tout premier choix mais possède plus d’éléments propre à la comédie dramatique et romantique qu’au western. Ceux qui sont à la recherche de grands espaces et d’action peuvent donc faire demi-tour sachant qu’il s’agit avant tout d’un film de studio, d’un western en chambre extrêmement bavard, sorte de jeux de dupes ayant pour toile de fond une petite ville de l’Ouest enfiévrée par la ruée vers l’or, la majeure partie de son histoire se déroulant dans les saloons enfumés et dans la maison tenue par Marjorie Main où ont pris place les personnages de Lana Turner et de son père, ce dernier interprété par Frank Morgan, très connu entre autre pour avoir joué
Le Magicien d’Oz dans le film de Victor Fleming.
Candy Johnson (Clark Gable) et Sniper (Chil Wills) sont en mauvaise posture mais ils en ont l’habitude : comme à chaque fois qu’ils se trouvent depuis un certain temps dans une ville, ces deux aventuriers sont démasqués pour leurs escroqueries et sont tout prêts d’être enduits de goudron et de plumes. Et comme à l’accoutumée, grâce à leur roublardise, ils arrivent à se dépêtrer de cette délicate situation. Les voici s’enfuyant en courant, attrapant in-extremis le train qui quitte la ville pour se rendre dans l’Ouest. Là, Candy fait la connaissance de la belle bostonienne Elisabeth Cotton (Lana Turner) qui est en partance pour rejoindre son père (Frank Morgan) à Yellow Creek (Nevada) où il officie en tant que juge de paix. Candy en a assez de traîner ses guêtres de place en place ; il pense que cette ville regorgeant de monnaie sonnante et trébuchante suite à la découverte du métal jaune dans les montagnes alentours, est l’endroit idéal pour se poser et s’y remplir les poches d’autant qu’il est tombé amoureux d’Elisabeth. Il connait en fait très bien son père qui n’a pas tout le temps été le modèle d’honnêteté et de vertu décrit par sa fille mais l’a autrefois aidé dans quelques unes de ses filouteries. Tant qu’à s’y installer et puisque qu’Elisabeth a réussi à s’en faire épouser, Candy décide d’ avoir la mainmise sur la ville et met tout en place pour y arriver quitte à prendre dans son équipe des gens peu fréquentables dont Brazos (Albert Dekker), l’ex-shérif corrompu et au contraire se faire des ennemis de ses anciennes amitiés telle Gold Dust (Claire Trevor),la Saloon Gal au grand cœur, Mrs Varner (Marjorie Main) qui l’a aidé à monter sa salle de jeux ou le père d’Elisabeth qui ne supporte pas l’idée que sa fille soit mariée à un escroc. Candy étant au fait de ses frasques passées, le juge Cotton lui voue désormais une haine d’autant plus tenace qu’il sait que sa fille en a été informée, elle qui ne voyait auparavant en son père qu’un homme foncièrement noble…
Hormis le fait de voir comment une ville sans loi pouvait facilement tomber sous la coupe d’un aigrefin, l’intrigue assez artificielle n’a pas grand intérêt historiquement et thématiquement parlant. Il faut néanmoins signaler qu’on y voit apparaitre des éléments encore rarissimes à l’époque et au moins jamais vus dans une production de prestige, le fameux passage au goudron et aux plumes (plus célèbre grâce aux histoires de Lucky Luke qu’à travers le cinéma), le jeu de la roulette russe ainsi que le personnage du Gambler en tant qu’antihéros principal (il y avait eu le personnage de John Carradine dans
Stagecoach mais il n’était pas en situation). La MGM a mis tout en œuvre pour mâtiner aux petits oignons ce divertissement luxueux aux dialogues abondants (mais quand ces derniers sont aussi réussis, on en redemande) ; le casting est prestigieux et les équipes techniques s’y sont donnés à cœur joie pour nous octroyer des costumes et décors rutilants. Et, plus qu’un film de réalisateur, c’est avant tout une œuvre de dialoguiste et de scénariste, la description des relations entre les différents personnages étant ce qu’il y a de plus délicieux. Avec de tels comédiens pour les interpréter, il était difficile de ne pas tomber sous le charme d’autant que le couple formé par Clark Gable et Lana Turner est un des plus glamours jamais vu sur un écran de cinéma.
Clark Gable, encore tout auréolé de son rôle de Rhett Butler, a de nouveau l’occasion de nous offrir un personnage à peu près équivalent, roublard et menteur mais d’une élégance et une classe folle usant de ses charmes pour rouler son monde dans la farine sans aucun remords (la fin immorale au possible est foncièrement réjouissante) ; difficile de lui résister et d’ailleurs le personnage de Lana Turner lui avoue franchement que malgré sa droiture, il arriverait à lui faire faire n’importe quoi, même des choses répréhensibles. Parlons en de Lana Turner ! Magnifiée par une photographie qui la rend encore plus belle si c’était possible, elle rayonne et son visage hypnotise. Si certains la critiquent en tant qu’actrice, c’est peut-être à cause de la sobriété de son jeu qu’ils prennent pour de la paresse ; et si c’est elle qui avait inventé ‘l’under-playing’ ? [C’est clair que son jeu contraste singulièrement avec celui de Gene Tierney que l’on vient de voir dans Belle Starr (d’ailleurs Lana aurait été pas mal du tout dans ce rôle) !] En ce qui me concerne, je la trouve tout simplement parfaite, la pondération de sa prestation contrastant richement avec le cabotinage impérial de son partenaire moustachu avec qui elle forme un duo inoubliable ; heureusement d’ailleurs que l’alchimie entre les deux fonctionne à merveille car leur histoire d’amour occupe pas loin de la moitié de la durée du film. Voulant lui changer sa mentalité, Elisabeth va plus loin que lui dans la tricherie puisqu’elle se fait épouser sans qu’il s’en soit rendu compte après qu’elle l’ait enivré. Si leurs relations sont majoritairement vues avec humour, tendresse et romantisme, le mélodrame fait son apparition vers le final lorsqu’Elisabeth fait une fausse couche. Ce changement de ton est assez inattendu mais presque tout aussi réussi et prouve que Clark Gable était tout aussi doué pour l’émotion et que, contrairement à beaucoup d’actrices, Lana Turner savait pleurer (elle le prouvera à nombreuses autres reprises notamment dans
Les 3 Mousquetaires de George Sidney et dans
Les Ensorcelés de Vincente Minnelli). A leurs côtés, une tripotée de seconds rôles tous génialement typés.
Si Elisabeth est consciente de ses faiblesses, Gold Dust est consciente de ses défauts. «
Ca donne soif de faire la peau de vache » dira-t-elle à sa rivale en amour après qu’elle ait tentée de discréditer son futur époux pour se le réapproprier. Malgré cette jalousie, Gold Dust est une femme résolument gentille ; Claire Trevor semble tout droit descendue de la diligence de John Ford, son personnage étant quasiment identique et une fois de plus l’actrice se révèle excellente tout comme Marjorie Main dans un personnage parfaitement rôdée de vieille femme qui ne s’en laisse pas compter, aussi adroite avec la parole qu’avec un rouleau à pâtisserie. En ‘barbu’, Chil Wills, qui était de presque tous les westerns de ces deux dernières années, trouve peut-être jusqu’à présent son personnage le plus truculent, celui du partenaire loyal de Clark Gable. Frank Morgan est très attachant en père alcoolique ne supportant pas son gendre qui connait tous ses secrets inavouables et Albert Dekker possède une sacré prestance dans le rôle du méchant de service ; sa partie de roulette russe avec Clark Gable est mémorable.
Bref, une mécanique parfaitement huilée pour un film à la direction d’acteur impeccable ; Jack Conway sait cadrer un visage, sait rythmer un long dialogue et sait peaufiner un plan ; il s’acquitte parfaitement de sa tâche, à savoir, sans idées précises, mettre en image au mieux de ses possibilités un scénario peaufiné pour de grandes stars de l’écran. Certainement pas un western important mais en tout les cas un divertissement revigorant et joyeusement amoral.