
La 317ème section
Dans les années cinquante, Schoendoerffer était opérateur au Services cinématographiques des armées en Indochine, où il fut prisonnier puis correspondant de guerre. Il puise de cette expérience la force d’une évocation saisissante de réalisme, qui brosse des portraits de combattants frappés du sceau de l’authenticité et montre, loin des clichés faciles, la lutte quotidienne du militaire en opération, en pleine déroute de l’armée française. On crapahute dans la jungle avec un mourant sur le dos, on manœuvre pour éviter les embuscades, on tombe dans des escarmouches ou on agonise dans un trou perdu. Pas d’alibi romanesque, d’envolée patriotique ni d’hommage pontifiant : juste une réalité sèche qui use les nerfs et noue le ventre. Perrin et Cremer sont formidables, apportant tout leur quotient d’humanité. 5/6
Le crabe-tambour
Dans le vent, la neige et les tempêtes au large de Terre-Neuve croise le Jauréguiberry, escorteur d’escadre et bâtiment d’assistance à la grande pêche. Malade, hanté par un sombre tourment, son commandant poursuit une quête toute personnelle. À bord le médecin et le chef-mécanicien évoquent le souvenir d’un homme qui a traversé les points chauds du globe, là où naissent les légendes. Le récit nous fait revivre l’Algérie, l’Indochine, les brumes de l’opium, les grandes et petites misères d’une gloire déçue, privilégiant les visages marqués par le doute et la solitude. Il y a quelque chose ici de l’amertume des aventuriers voyant leur passé s’effilocher au vent de l’Histoire, un sentiment de vertige et de perte à la Conrad. Un beau film noble, digne, un peu austère, porté par de brillants comédiens. 4/6
L'honneur d'un capitaine
Dans le précédent film, Jean Rochefort parcourait les mers à la recherche d’une dignité perdue. C’est l’honneur de son mari, mort en Algérie et accusé de torture et de forfaiture, que défend ici Nicole Garcia. Coupable ou non coupable ? À cette question brûlante, minant une société française écartelée dans sa débâcle de conscience, le cinéaste tente de répondre avec sincérité sans se laisser submerger par sa subjectivité. L’exemplarité du cas Caron ne semble lui faire aucun doute et laisse un goût d’équivoque qui atteindra jusqu’à la veuve du capitaine. Employant un procédé dramaturgique ayant largement fait ses preuves (procès, plaidoyers, joutes verbales entre avocats, interrogatoires et contre-interrogatoires étayés par des flashbacks), le film impose son honnêteté mais reste idéologiquement discutable. 4/6
Diên Biên Phu
La célèbre bataille, qui a sonné l’adieu de la France en Indochine, fut aussi le crépuscule des illusions pour des engagés idéalistes qui se sont sacrifiés alors qu’ils savaient la partie perdue. La reconstitution du bourbier des tranchées, du feu des coups de mortiers, du quotidien vécu par une fraternité de pauvres types cloués au plus près du sol, dans un enfer d’abandon, de peur, de pluie, de boue et de sang, souffre peu de reproches. Mais les plages situées à Hanoi, où un simili-Graham Greene consigne les soubresauts d’une guerre arrivée à son épilogue, sont plus futiles. L’articulation des deux registres accouche d’une œuvre sans réelle nécessité interne, sans principe de causalité définie, sans point de vue donc sans idéologie, sans inquiétude donc sans morale, qui a tendance à se figer en geste commémoratif. 4/6
Mon top :
1. La 317ème section (1965)
2. Le crabe-tambour (1977)
3. L'honneur d'un capitaine (1982)
4. Diên Biên Phu (1992)
Les films de Pierre Schoendoerffer sont nourris de ses expériences (l’Orient, l’Asie centrale, la mer, la guerre) et d’un attachement sentimental à l’image d’une France militaire et coloniale qui font sa singularité autant que son ambiguïté. Ce qui ne l’empêche pas d’offrir aussi, dans le meilleur cas, le chant nostalgique, sinon funèbre, d’une société raidie dans son anachronisme.