
Voici donc la chronique du Crabe tambour
Moderators: cinephage, Karras, Rockatansky
http://lexnews.free.fr/cinema.htmL'autre passion de votre vie, à côté de la mer, c'est l'armée. D'où vient cette fascination ?
Mon premier contact avec la guerre fut l'entrée du général de Lattre à Chamalières en 1940. On s'attendait à voir une armée française en guenilles, et on a vu des soldats d'une grande tenue. Je l'ai aperçu, lui, de loin, à l'occasion du défilé qu'il a organisé à Clermont-Ferrand, mais je n'imaginais pas l'influence qu'il aurait sur moi par la suite. Je n'ai jamais servi sous ses ordres en Indochine - il était décédé - mais il a dit deux ou trois choses qui m'ont influencé. Quand son fils unique est mort, en particulier, il a déclaré: «Bernard n'est pas mort pour la France, il est mort pour le Vietnam.» Et cela a donné le véritable ton de notre affaire. Nous n'étions pas des vieux colonialistes à la con; il y avait une vérité de notre engagement qui était bien plus noble.
Comment vous êtes-vous retrouvé en Indochine, une caméra sur l'épaule ?
Après mon service militaire, où j'avais montré plus d'enthousiasme pour les manœuvres que pour la vie de caserne, les portes du cinéma, malgré tous mes efforts, étaient restées fermées. J'étais désespéré, au point d'envisager de repartir en mer. C'est là que j'ai découvert, dans Le Figaro, l'annonce de la mort du cameraman Georges Kowal. Je me suis présenté pour le remplacer. Je voulais aller au front. Mes grands-pères avaient fait deux guerres, mon père également, et mon frère aîné, une. Je développais un complexe à leur égard. Je désirais cet examen de passage, l'épreuve du feu.
Vous êtes-vous posé la question de la légitimité de cette guerre ?
Bien sûr. D'autant plus que quand j'allais au Service cinématographique des armées, à la sortie du métro Mairie-d'Ivry, je lisais tous les matins ce slogan: «Halte à la sale guerre!» badigeonné sur le sol.
Vous sentiez-vous de droite, de gauche, ou bien votre morale était-elle ailleurs ?
Ailleurs. C'était probablement ma dernière chance de faire ce que j'avais envie de faire. Le reste, je n'en avais rien à foutre. Ma mère m'a envoyé voir notre pasteur, l'excellent Raoul-Duval. Je lui ai expliqué mon point de vue: «C'est quitte ou double: soit je meurs, soit je reviens, et alors je serai un grand du cinéma de reportage.» Il m'a mis en garde: «La guerre peut dégrader physiquement et moralement.» Quand je suis arrivé là-bas, j'ai eu le privilège d'avoir de très grands lieutenants, de très grands capitaines qui correspondaient à mon caractère, à ma nature. J'étais arrivé adolescent, bien qu'âgé de 23 ans, et j'en suis revenu adulte. «C'est quitte ou double: soit je meurs, soit je reviens, et alors je serai un grand du cinéma de reportage»
Dans votre œuvre, l'Indochine ressemble à un paradis perdu...
Nous sortions de quatre ans d'occupation allemande, qui avaient provoqué un sentiment de claustrophobie terrifiant. Et tout à coup nous avions la révélation de l'autre versant du monde! J'en ai la nostalgie, comme on a la nostalgie des endroits que l'on a connus quand on était gamin. Cela n'a rien à voir, je le répète, avec la volonté de possession, de colonialisme. Nous avions des camarades de combat vietnamiens, et c'était l'avenir de leur pays qui était en jeu. Et d'ailleurs, le résultat, ce fut quoi ? Les boat people.
Mais on a le sentiment que vous avez laissé votre âme là-bas, sur les hauts plateaux ?
Pas toute mon âme. Une partie. Pour peu que l'âme puisse se concevoir par morceaux.
A Diên Biên Phu, vous êtes fait prisonnier, non sans avoir, au préalable, détruit vos pellicules.
A l'exception de six bobines reprises par les Vietnamiens et qu'ils ont développées. Des années plus tard, le cameraman communiste Roman Karmen m'a assuré qu'il les avait visionnées. J'ai fait des démarches, mais on ne les a pas retrouvées. Peut-être sont-elles à Moscou.
Qu'avez-vous retenu de ce désastre ?
La honte. La rage d'avoir été abandonné par la France. J'ai passé quatre mois et demi dans un camp de prisonniers où les trois quarts de mes camarades sont morts. J'avais une solide nature; je ne suis pas mort. A ma libération, j'avais peur de rentrer au pays. Alors j'ai fait l'école buissonnière: je suis rentré par Hongkong, Taïwan, le Japon, Honolulu et l'Amérique. C'est à Hongkong que j'ai rencontré, pour la première fois, Joseph Kessel. Nous avons passé une nuit princière. Peu après, j'ai mis en scène La Passe du diable, sur un scénario de Kessel, qui était en fait la première esquisse de ce qui deviendrait son roman Les Cavaliers.
LEXNEWS : "Le film Dien Bien Phu, c’est un désir de toujours ?"
Pierre Schoendoerffer : "Non, on me l’a demandé. C’est Kirshner, le producteur, qui en a eu l’idée. C’est quelque chose qui m’excitait, et en même temps me faisait très peur. Pour moi, c’était énorme ! On envisageait de le tourner en Thaïlande ou aux Philippines, et ce sont les Vietnamiens qui ont demandé que l’on tourne le film au Tonkin. Je pensais évidemment que ce serait formidable, mais je me méfiais des cocos. Je les connaissais !
On est parti à Hanoï. On a vu des personnages importants, beaucoup de commissaires politiques, et le général qui commandait le Tonkin. Je lui ai dit voilà, on va avoir besoin de votre armée, mais pas uniquement pour jouer le vietminh, aussi pour interpréter les Vietnamiens qui étaient avec nous, nos camarades de combats. Ceux que vous appeliez les fantoches. Il m’a répondu : « C’est un mot que nous n’utilisons plus. » J’ai pris ça comme un début de poignée de main…
Je leur ai également dit que je ne passerai pas de l’autre côté, je ne passerai pas la frontière de la ligne de feu. C’est l’histoire vue par un Français. Je ne voulais pas non plus de personnages historiques, pour ne pas avoir à leur faire dire des choses qu’ils n’auraient pas dites, parce que je ne suis pas biographe. On ne voit pas Bigeard par exemple !"
LEXNEWS : "On en parle pourtant !"
Pierre Schoendoerffer : "On en parle, mais je ne l’ai pas montré. Je ne voulais pas qu’on voie de Castres, ni même Cogny. On voit sa voiture, et l’on entrevoit un képi, mais on ne le voit pas. (Général Cogny, adjoint du général Navarre, commandant en chef en Indochine. Colonel, puis général de Castres : Chef du camp retranché de Dien Bien Phu.) Je ne voulais pas de personnages historiques, je voulais ma liberté. J’ai un capitaine, qui m’est inspiré d’un capitaine que j’ai connu, et qui a fait à peu près ce qu’il a fait. J’ai aussi un artilleur qui m’a inspiré."
LEXNEWS : "Il y a Geneviève de Galard !"
(Geneviève de Galard : Convoyeuse de l’air, engagée en Indochine. Elle sera la seule femme au milieu de 15 000 soldats pendant la bataille de Dien Bien Phu, et restera pour eux : « l’Ange de Dien Bien Phu ».)
Pierre Schoendoerffer : "Oui, et c’est ma fille qui joue le rôle. Quelqu’un dit juste : « Qui c’est celle-là ! » Et un autre répond : « C’est Geneviève. »"
LEXNEWS : "Et votre fils joue votre propre rôle."
Pierre Schoendoerffer : "Oui."
Pierre Shoendoerffer est mort à 83 ans des suites d'une opération à l'hôpital Percy à Clamart, dans les Hauts-de-Seine, ce mercredi matin, rapporte l'AFP
Merci pour le commentaire un peu plus constructif que le mien. Et je suis bien d'accord avec toi au sujet de La 317ème Section, c'est une œuvre majeure qui fait office de jalon dans le genre du film de guerre.Roy Neary wrote:J'ai toujours considéré La 317ème Section comme l'un des plus grands films de guerre jamais tournés, toutes époques et tous pays confondus.
RIP à ce grand cinéaste aventurier...
Bien d'accord. C'est un film unique, qui en outre ne ressemble pas à la resucée de films américains (ce qui dans le cinéma français de genre est déjà un exploit)homerwell wrote:Merci pour le commentaire un peu plus constructif que le mien. Et je suis bien d'accord avec toi au sujet de La 317ème Section, c'est une œuvre majeure qui fait office de jalon dans le genre du film de guerre.Roy Neary wrote:J'ai toujours considéré La 317ème Section comme l'un des plus grands films de guerre jamais tournés, toutes époques et tous pays confondus.
RIP à ce grand cinéaste aventurier...
Dien Bien Phu n'est pas une grande réussite, c'est un fait, "pas complétement nul" est par contre une approximation. Il est certain que par rapport à ses plus grandes réussites, Schoendoerffer a oublié le côté Entertainment au profit d'une volonté de montrer l'ambiance, d'expliquer le quotidien d'une multitude de personnages, de filmer ce qu'il avait vécu.Tancrède wrote:"Idéale" musique funéraire et accessoirement, ce pourquoi Dien Bien Phu n'est pas complètement nul: