La 317ème section (1965)
6 ans après son dernier film qui était une adaptation de
Pierre Loti, mais surtout 11 ans après la chute de Dien Bien Phu qui l'avait mené en captivité,
Pierre Schoendoerffer cherche un producteur pour son scénario : La 317 ème section. Les refus le forcent à revoir ses plans et pour ne pas voir disparaître son travail, il en fait un roman. Le succès est immédiat et
Georges De Beauregard décide alors de financer ce qui va devenir l'un des films de guerre les plus importants tourné en France, peut-être le meilleur. Seul Capitaine Conan sur une autre guerre me paraît avoir eu un impact aussi fort. D'ailleurs, petit aparté,
Bertrand Tavernier est au générique de la 317 ème section comme chargé de presse.
Le film est donc écrit et réalisé par
Pierre Schoendoerffer et recevra la palme du meilleur scénario à Canne en 1965, ex-aequo avec
Sidney Lumet pour La colline des hommes perdus.
Pierre Schoendoerffer rassemble une équipe de techniciens sous la houlette d'un chef image qui commence à faire parler de lui, et avec qui il a déjà travaillé plusieurs fois :
Raoul Coutard. Puis il emmène tout son petit monde au Cambodge où l'une de ses anciennes relations l'invite à tourner son film et met à sa disposition une section de militaires pour la figuration : le roi
Sihanouk lui-même. L'équipe technique sera rejointe par deux magnifiques acteurs,
Jacques Perrin et
Bruno Cremer, qui occuperont tous deux la tête d'affiche. Dans cette aventure, tout le monde va perdre des kilos car Schoendoerffer mène son monde comme un capitaine de compagnie. C'est à ce prix que la quête de vérité trouvera un écho favorable selon Schoendoerffer, une habitude qui ne le quittera plus dans ses œuvres approchant la chose militaire. Mais cela n'est pas tout à fait suffisant pour réaliser un bon film, le scénario doit être à l'avenant et sur ce point, pas de déception non plus.
Le film ouvre sur un plan de termites qui grouillent au sol accompagné par la musique de
Pierre Jansen. C'est la description d'un savant travail de sape qui est à l'œuvre, et rien ne pourra l'arrêter.
L'entrée en scène des deux principaux acteurs est magistral. L'essentiel est renseigné en deux plans qui trouvent Perrin enfournant le drapeau français sous sa veste de treillis, et Cremer au garde à vous saluant les couleurs d'une main aussi large qu'un battoir.

Cette section de l'armée française que nous découvrons est composée d'une quarantaine de supplétifs vietnamiens commandés par un sous-officier et un officier. Ils reçoivent l'ordre par radio de quitter le fortin avancée qu'ils tiennent à Luong Ba, et de rejoindre un camp retranché à Lao Tsaï. Pendant la marche forcée entre les deux camps, le groupe de français apprendra la chute de Dien Bien Phu. Tout un symbole pour nos militaires qui rendent coup pour coup malgré la fatigue et un moral déjà bien atteint. Arrivé en vue de Lao Tsaï, ils ne trouveront qu'un lointain panache de fumée indiquant que là aussi, le rapport de force inégal a contraint les défenseurs à la reddition. Le Sous-Lieutenant Torrens et l'Adjudant Willsdorf tenteront alors de rejoindre les montagnes...

Très vite, les rapports entre les deux hommes seront un des centres d'intérêt de cette histoire. Leur parcours si différent et que nous découvrons au détours des conversations au bivouac ou pendant leur confrontation signent sans doute deux archétypes de ce qui constituaient les effectifs engagés en Indochine. Jeune Saint Cyrien et vétéran de la seconde guerre mondiale, autant dire des morceaux de choix pour Schoendoerffer qui les fera finalement lier d'amitié malgré leur altérité.
C'est dans ce credo que l'auteur s'exprime finalement à cœur ouvert. Il a une profonde amitié pour ces types et il les fait s'exprimer et dire le fond de leur pensée. Même de façon abrupte, ou maladroite, on touche du bout du doigt des brides d'explications sur les raisons de leur engagement, de leur présence en Indochine. Willsdorf se voit bien acheter une paillote au bord de l'eau, se marier avec une Tonkinoise, il se sent bien dans ce pays. Ce ne sont pas des réflexions que l'on retrouve dans les films américains qui traiteront de la guerre du Vietnam, un peu plus tard.

De son côté, Coutard va tourner des images en noir et blanc absolument somptueuses, ponctuées de portraits qui mettent les âmes à nus. Autre grande qualité des images, elles sont toutes parfaitement compréhensives, on a une sensation de caméra à l'épaule au cœur de l'action, mais jamais les images brouillonnes que l'on semble devoir y accoler aujourd'hui. Les instructions de Schoendoerffer étaient clair à ce sujet. La caméra filme ce qu'un soldat peut voir, mise à part l'introduction et la fin du film qui sont des images de jungle prises d'un hélicoptère, la caméra ne quitte pas le groupe d'hommes. Le résultat est une part de véracité supplémentaire à l'expertise militaire de Schoendoerffer pour nous mener à des sensations proches du documentaire.
La 317 ème section restera une référence y compris pour les réalisateurs américains ; dont Coppola qui n'hésitera pas à rendre un hommage direct à Schoendoerffer dans son film Apocalypse now redux. Pour ce faire, il réutilisera l'anecdote métaphorique du blanc d'œuf qui fiche le camp à travers les doigts pendant que le jaune reste coincé au creux de la main.