Le calvaire de Lena X (1929)
Une jeune fille fuit sa campagne natale et un mariage dont elle ne veut pas pour Vienne. Elle est séduite par un jeune officier de bonne famille et va être amené à lutter vainement pour son honneur et son indépendance.
Sternberg termine sa période muette avec un film atypique et essentiel à plusieurs titres.
Tour d'abord c est son premier film de femme. Bien sûr, les femmes dont au cœur de ses films précédents mais les histoires contées sont celles des hommes (le garçon dans Salvation Hunter, Georges Bancroft ou Emil Janning). Le film est donc en quelque sorte le prototype originel des films avec Marlène.
D autres part, le film est l’occasion pour Sternberg de faire revivre le Vienne de sa jeunesse. On retrouve la force de cette intimité dans les scènes de fêtes nocturnes au Prater (le grand parc central de Vienne), avec sa population bigarrée, ces attractions, ces bars /dancing ou la boisson et la drague sont les activités principales. On peut aussi probablement voir dans le portrait de la société bourgeoise, rigide et oppressante un peu de ce qu’a pu subir le jeune Sternberg âme d’artiste exaltée.
Enfin la construction du film est atypique. D’abord, curieusement flanqué d’un prologue et d’un épilogue situé une quinzaine d’année après l'action décrite, le récit est présenté comme un long flash back, un peu dans Last Command mais dans ce dernier le parallèle entre les deux époques est au cœur de la dynamique du récit. Ici les quelques minutes au début et en fin sont la pour enfermer Léna dans son destin.
De plus durant toute la première partie du film, Sternberg et son scénariste instaurent une ambiance et un suspense curieux, en ne nous livrant pas les éléments clés des relations entre les protagonistes. Après sa séduction par Frantz le jeune officier, Lena se retrouve domestique dans la demeure familiale de ce dernier mais Frantz et Lena agissent comme s'ils étaient des inconnus.
L'ambiguïté règne en maître, portée par la science des regards et des silences de Sternberg, jusqu’à la révélation des ressorts de cette situation de Lena.
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- On découvre que Lena à un enfant de Frantz puis que celui-ci l’a bien épousée mais que cette vérité ne peut être dévoilée sans ruiner la carrière de Frantz et l honneur de sa famille. Lena va donc passer pour une fille perdue et se voir arracher son fils.
Dernier aspect atypique, la charge sociale. Il y a ici comme une réminiscence de Salvation Hunter.
Les personnages sont oppressés par leur environnement social. Si dans Salvation Hunter cette misère sans fin est symboliquement incarnée par la Drague qui fouille la vase du port, ici c’est plus prosaïquement la société viennoise qui condamne Lena à son statut de sous prolétaire sous la forme de domestique, puis de femme de mauvaises mœurs condamnée dans la prison et enfin, alors qu’elle arrive à s'enfuir, dans le statut de paysanne servile, épouse de l'homme qu’elle a fuit au début du film.
Peu enclin aux grandes envolées idéologiques, Sternberg n’en dépeint pas moins avec violence l'oppression et le déterminisme social qui sont à l’origine du Calvaire de Lena. Mais alors que Salvation Hunter montre nos jeunes héros marchant vers la lumière, le carton final du film sonne comme le glas.
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- Lena voit son fils qu’elle a réussi à récupéré partir mourir à la guerre. Le carton indiqué que finalement elle n’aura pas réussi à sauver son fils.
Ce violent pessimisme est singulier dans l’œuvre de Sternberg et comme indiqué plus haut trouve peut être des racines dans des rancunes de jeunesse.
A noter l'incroyable lâcheté des hommes du film dont pas un n’aidera Lena. Ils sont soit des ayatollas obsédés par la morale et des bonnes mœurs, soit des cyniques prêt a tout par peur du scandale, soit simplement des laches incapables d’assumer leurs existante superficielle.
En fait The case of Lena Smith est un film profondément féministe, comme une version sombre et dramatique de Blonde Venus.
Si le début du fil --prologue, introduction campagnarde, scènes de liesse et séduction au Prater-- nous montre un Sternberg au sommet de son art mais sans surprise, c’est dès que la tension et le drame pointent qu’il signe ses plus belles scènes : confrontation muette entre Lena et Frantz dans le vestibule de la demeure familiale, la confrontation de Lena avec ses « juges »,
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- le suicide de Frantz
Et surtout lors de la longue et intense séquence d’évasion où Lena méconnaissable se cache dans la boue, affronte des barbelés puis, figure expressionniste, hante les couloirs de l’orphelinat pour enlever son fils.
On peut citer aussi la courte scène d’une incroyable sècheresse où Sternberg dépeint le sort de l’enfant abandonné à l’orphelinat : il rejoint habillé de noir un groupe d’enfants assis.
Sternberg au plus haut!
Coté interprétation, Esther Ralston, plutôt à contre emploi car abonnée aux rôles de comédie (chez Lubitsch par exemple), porte le film sur ses épaules.
On retrouve aussi Gustav von Seyffertitz, dejà vu dans Dock of New York dans le role du prêtre, excellent ici dans le role du père de Frantz, Responsable du bureau des Mœurs (il jouera encore pour Sternberg dans X27 et Shanghai Express).
Pour terminer, une piste à explorer, les connections avec Von Stroheim: société viennoise ou Middle Europa telle qu’en La veuve joyeuse, fétichisme du fouet hérité de Queen Kelly ou Merry Go Round, ... Manque de temps pour creuser et un souvenir bien trop ancien de l œuvre de Von Stroheim.
Structure atypique, propos social et féministe feroce, maestria plastique et cinématographique, film éminemment personnel, apothéose du cinéma muet, tout concours à faire du Calvaire de Lena X une œuvre essentielle.
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- Essentielle mais bien sûr invisible!
Ce n’est pas les 4 minutes existantes qui nous permettent de deviner ce que nous pourrions ressentir à la vision du film.
Pour savoir à quoi il pouvait ressembler et quel accueil il a eu à l’époque, il faut se pencher sur l’excellent ouvrage d’Alexander Horwath et Michael Omasta:
J’en ai tiré les infos ci dessus ainsi qu'un rêve de ce qu'ont peut être été les grandes scènes du film.
Il presente notamment un découpage complet style "avant scène cinéma" de plus de la moitié du film, issu d un magazine japonais de l époque !
Avec les nombreuses photos de plateau et une connaissance intime de l’œuvre de Sternberg, on préfigure sans peine ce qu'il pouvait y avoir sur l’écran. Mêmes si elles ont discuté la structure du film, les critiques de l’époque ont toutes loué la réalisation, les qualités plastiques et pour les plus enthousiastes la puissance du film.
La grande inconnue demeure la qualité de l'interprétation telle que nous la percevrions aujourd’hui. Il est malheureusement probable que nous n’ayons jamais d’éléments pour statuer.