Août 1572. Paris est en ébullition. Le protestant Henri de Navarre, futur Henri IV, s'apprête à épouser Marguerite de Valois, dite Margot, catholique, fille de France, fille de Catherine de Médicis et sœur de l'instable roi Charles IX. Les deux époux ne s'aiment pas. Il s'agit d'un mariage politique, orchestré par Catherine de Médicis, destiné à apaiser les haines et les rivalités entre catholiques et protestants et à ménager les susceptibilités du pape Grégoire XIII et de l'Espagne d'une part, des états protestants d'autre part. Chacune des parties cherche à en découdre et la maladresse de la reine mère, couplée avec les ambitions contraires des divers protagonistes, sans oublier le goût du pouvoir des princes, fera basculer le pays tout entier dans un terrible massacre, six jours seulement après le mariage.
Quel film, mes aïeux ! N'ayant pu tourner une adaptation des
Trois mousquetaires d'Alexandre Dumas, Patrice Chéreau, sur le conseil de Danièle Thompson avec laquelle il signera pendant plusieurs années le scénario du film, se rabat sur celle de
La Reine Margot (épais roman feuilletonesque de 1845 dont la rareté était telle, à l'époque, qu'il était difficilement trouvable dixit les deux comparses) et dégaine, durant plus de 2h30, une hallucinante fresque pleine de fureur et de sang, d'une ambition et d'un accomplissement qui laissent pantois et soufflé. Tentant de concilier à la fois la vérité historique, les écrits de Dumas et sa propre vision du projet (très marquée par un contexte d'intolérance religieuse en Iran), Chéreau accouche d'une œuvre d'une barbarie sourde et constante, s'éloignant du style humaniste et haut en couleurs de Dumas pour lui préférer la peinture étouffante d'un véritable Enfer, celui du Royaume de France du XVIe siècle, miné par les guerres de religion intestines entre les Catholiques et les Protestants, par les intrigues machiavéliques de la Reine mère Catherine de Médicis, par la décadence de la famille royale des Valois, promise à une chute inexorable. Baignant tout entier dans une frénésie suffocante qui traduit, avec une acuité pleine d'audace, le climat politique et religieux chaotique de cette époque,
La Reine Margot suit l'entrecroisement des destins de personnages historiques mus pour la plupart par une folie rampante. La direction d'acteurs est à ce titre absolument prodigieuse : qu'ils soient illuminés (Anglade en Charles IX, Virna Lisi en Catherine de Médicis, impériaux - il faut voir leurs regards de fous), fanatiques (Coconas, le duc d'Anjou ou le duc de Guise), ou terrifiés (Marguerite de Valois et Henri de Navarre), l'interprétation générale nage dans une sorte de transe collective, rendant le film extrêmement viscéral, aussi bien dans ses séquences graphiquement violentes (le massacre de la Saint-Barthélémy, les charniers, les innombrables assassinats que compte le film) que dans son enfermement de Cour, où la mort peut surgir à tout moment. Adjani, Auteuil, tous les acteurs sont époustouflants ; j'ai rarement vu un casting aussi uniformément inspiré. La mise en scène de Chéreau, qui évite volontairement de s'attarder sur les décors et les dorures pour mieux aborder l'Histoire de façon moderne et réaliste, est d'ailleurs toute entière focalisée sur ses acteurs. Le cinéaste les enferme, ne leur laisse aucun échappatoire. Il impose par là une atmosphère irrespirable et très violente (toute l'atmosphère du film est contenue dans sa fascinante affiche), ainsi qu'une mécanique narrative aux accents inéluctables - comme une épée de Damoclès pesant autant au-dessus de la tête des personnages que de ses spectateurs. Bien que les scènes véritablement sanglantes soient numériquement limitées, il règne sur tout le film un véritable goût de sang, suintant de tous les pores comme sur le visage agonisant de Charles IX. Il règne également une effervescence quasi mystique, qui explose en un déchaînement de passions, de fanatisme et de sauvagerie incontrôlable. Chéreau et ses acteurs donnent tout, vont jusqu'au bout de leur démarche, ne concèdent rien. Représentation historique crue et unique,
La Reine Margot, descente aux Enfers de toute une monarchie dans une violence qu'elle a elle-même provoquée, se lit plus largement comme un torrent de larmes sur le tombeau de la barbarie humaine, capable des pires atrocités en tous temps (les corps nus et empilés des Protestants massacrés renvoient aux charniers de l'horreur des dictatures).
Comme dirait Alcatel, du sang + du cul + Auteuil + Adjani = chef-d'œuvre.