Pour continuer la redécouverte du génial Capellani, la Cinémathèque de Bologne vient de publier un DVD comprenant 12 courts-métrages de 1905 à 1911, qui complète parfaitement le coffret Pathé sans aucun doublon. Ce
DVD est accompagné d'un excellent petit livret trilingue (Français, anglais, italien) qui détaille chaque court-métrage. Le choix offre un panorama très large de tous les genres abordés par Capellani: féérie, mélodrame, film policier, suspense, adaptation littéraire avec à la clef quelques découvertes sensationnelles. Les copies issues de différentes cinémathèques européennes sont superbes. Voici le premier lot de courts-métrages que j'ai pu voir.
L'épouvante (1911, Albert Capellani) avec Mistinguett et Emile Milo
Un actrice (Mistinguett) de retour du théâtre découvre un voleur caché sous son lit...
Ce court-métrage de Capellani offre de nombreux aspects inattendus pour un film réalisé à la fin de 1910. Sur une trame fort simple, Capellani varie les points de vue et réussi à créer le suspense. L'actrice se couche et allume une cigarette. A ce moment-là, la caméra réalise un travelling arrière révélant la présence du voleur sous son lit. Elle jette une allumette et voit, avec effroi, une main sortir sous son lit et s'en saisir. Le plan est réalisé en plongée et en gros-plan, offrant déjà une sorte de vue subjective ce qui est fort rare à l'époque. Puis, le suspense s'accroit alors que le voleur s'échappe par la fenêtre et grimpe sur le toit. Accroché à une gouttière, il risque de mourir quand sa victime compatissante l'aide à remonter à l'aide d'un rideau. Tout cela est filmé avec un montage fort habile et élaboré pour l'époque. Mistinguett est parfaitement naturelle et occupe l'écran avec son charisme habituel. Un cout-métrage qui montre la très grande maîtrise de Capellani chez Pathé.
Le Pain des petits oiseaux (1911, Albert Capellani) avec Stacia Napierkowska et Edmond Duquesne
Un vieux monsieur qui va donner du pain aux petits oiseaux dans un parc y rencontre une jeune fille affamée (S. Napierkowska). Il décide de l'héberger. Il est pianiste et accompagne une danseuse. La jeune fille montre des dispositions à la danse...
Stacia Napierkowska était une célèbre danseuse de l'Opéra-Comique lorsque Capellani l'embaucha pour jouer dans plusieurs de ses films. Si dans
Notre-Dame de Paris (1911) du même Capellani, elle surjoue son Esmeralda, elle est bien plus convaincante dans ce court-métrage. Sa jeune fille des rues se transforme en star de la danse avec conviction et naturel. La rencontre entre son bienfaiteur et elle se déroule dans un parc parisien, sur un banc. Capellani prend même le temps de nous montrer le champ et le contre-champ du vieux pianiste sur son banc. Le reste de l'histoire nous montre l'ascension de la nouvelle étoile de la danse où évidemment le corps gracile et agile de Stacia fait merveille. Puis, après une longue séparation, elle retrouve son bienfaiteur sur le même banc et cette fois-ci, c'est elle qui va prendre soin de lui. On retrouve les mêmes gestes: elle lui offre son manteau comme lui l'avait fait lors de leur première rencontre. C'est à nouveau un petit film parfaitement équilibré et superbement réalisé.
L'intrigante (1911, Albert Capellani) avec Catherine Fonteney et Georges Coquet
La préceptrice (C. Fonteney) d'une petite fille ne songe qu'à se débarrasser d'elle pour épouser son père veuf et fort riche...
Cette intrigue semi-policière montre une odieuse préceptrice, jouée par Catherine Fonteney, qui songe à devenir la femme de son patron tout en flirtant outrageusement avec un autre homme. La petite fille martyrisée va réussir à sortir son père des griffes de l'intrigante grâce à un stratagème fort habile. Alors qu'elle a été enfermée dans une cabane dans le jardin, en punition, elle y observe par un guichet de la porte, les agissment de sa préceptrice avec son amant. Un appareil photo qui se trouve sur place lui permet de prendre un cliché qui confondra l'odieuse créature. A nouveau, le montage et les différents champ et contre-champ nous donne une vision complète de l'intrigue et de la montée du suspense. Un film superbement réalisé.
L'Homme aux gants blancs (1908, Albert Capellani) avec Marguerite Brésil, Henri Desfontaines et Jacques Grétillat
Un gentleman-cambrioleur dérobe le collier d'une femme dont il a fait la connaissance peu de temps auparavant. Mais, en s'enfuyant, il perd ses gants blancs. Il sont ramassés par un apache qui va lui aussi voler la même femme...
Ce court-métrage de 1908 montre déjà une maîtrise de la grammaire filmique absolument remarquable. En 1908, DW Griffith commence à peine à réaliser des films alors qu'Albert Capellani est réalisateur depuis 1905. L'intrigue est déjà incroyablement complexe. Le héros du film, ou plutôt l'anti-héros, est un voleur mondain très distingué qui ne sortirait pas sans gants blancs. C'est cet excès de coquetterie qui le perdra. Alors qu'il séjourne dans un hôtel, il fait commander par un employé des gants blancs qui lui sont livrés sur place. La gantière lui coud elle-même le bouton requis (en gros-plan). Alors que l'employé de l'hôtel appelle au téléphone la gantière, l'écran offre un triptyque, un exemple de triple écran divisé assez incroyable pour 1908 ! Puis, le voleur mondain rencontre une femme dans un restaurant et lui donne rendez-vous. Une fois chez elle, il s'empare de son collier ans qu'elle s'en apperçoive et s'en va tranquillement. Malheureusement pour lui, un 'apache' a repéré la même maison et s'y introduit peu après. Il provoque la mort de la femme. Le voleur est immédiatement suspecté car ses gants blancs récupérés par l'apache sont retrouvés sur place. Il est emmené par la police vers un fourgon hippomobile alors que le véritable meurtrier contemple la scène sur le trottoir au milieu des badauds. Voilà un film de 1908 très en avance sur son temps aussi bien du point de vue de l'intrigue que de sa structure. (Nous assistons à une erreur judicière !) Le choix des angles de prise de vue sont très habiles et les 17 minutes ont un rythme soutenu. Voilà un film absolument remarquable qui montre l'avance de Capellani sur d'autres réalisateurs de l'époque.