La tentation de l'Humain
Loin des bondieuseries saint-sulpiciennes de Franco Zeffirelli, et ridiculisant au passage les boursoufflures gores de Mel Gibson, Martin Scorsese livre avec La dernière Tentation du Christ la bouleversante destinée d’un Christ tenté de d’infléchir sa trajectoire de Fils de Dieu…
…La tentation de l’Humain, de renoncer au sacrifice pour le Salut du monde. Mener une vie d’homme ordinaire, prendre femme et enfant, et mourir de vieillesse comme ses semblables et non sur la Croix. Un homme déchiré entre ses deux natures, humaine et divine.
Une version iconoclaste de la vie du Messie, qui a choqué les catholiques intégristes de tous bords, allant jusqu’à l’incendie criminel du cinéma Espace Saint-Michel à Paris qui projetait le film, faisant de nombreux blessés graves… De même que l’attentat contre le cinéma Le Building à Besançon, par un militant catholique intégriste… lié à l’Extrême-Droite.
Décidément l’obscurantisme religieux a la vie dure… Curieuses manières d’exprimer sa conviction en une foi. Une des polémiques les plus violentes de l’histoire du cinéma, sans doute la plus stérile. Il est plus facile de croire à une Icône qu’à un être de chair et de sang
De quel droit reproche-t-on à Martin Scorsese, lui-même croyant, d’exprimer ses doutes, sa conception différente d’une foi qu’il porte au coeur, en adaptant librement le livre de Nikos Kazantzakis, qui plus est par le biais d’un film, d’un geste artistique et d’en faire ce qui est pour moi une grande oeuvre ?
Car il s’agit bien d’un film marquant, un long voyage hypnotique dans les paysages décharnés du désert de Judée, qui scrute les errements d’un homme promis à une Destinée extraordinaire, se cherche, doute de sa mission sacrée…
Un film porté par l’interprétation littéralement exceptionnelle de Willem Dafoe, au visage émacié, à la frêle stature, au regard incandescent.
Un film qui offre un regard complètement inversé sur Judas (puissant Harvey Keitel), l’ami de toujours, qui n’est plus le traître, mais presque la conscience de Jésus.
Un film qui offre un superbe écrin au talent et à beauté de Barbara Hershey dans le rôle de Marie-Madeleine, à la sensualité féline et à l’amour inconditionnel – et incarné – pour le Christ.
Martin Scorsese use de la violence et d’images sanglantes pour traduire le martyre du Christ, l’image de Willem Dafoe ceint d’une couronne d’épines, portant sa croix sous les injures et les quolibets pour rejoindre le Golgotha possédant la force graphique d’un tableau de Maître.
Pour moi, La dernière Tentation du Christ est un chef d’œuvre. Une profession de Foi, en l’Homme et au cinéma.