Chromosome 3 (The Brood) (1979)
SPOILERS. D'une expérience personnelle particulièrement douloureuse (les déboires de sa séparation avec son épouse et la garde de son enfant), Cronenberg tire un de ses films les plus brutaux et désespérés.
The Brood (oublions l'idiot titre français) est, à ma connaissance, la première œuvre cronenbergienne à appréhender cet obsessionnel corps humain dans son indissociable combinaison organique
et psychique. En effet, si dans
Frissons et
Rage, l'extériorisation de troubles physiques découlait de facteurs externes (parasite viral dans l'un, greffe mal appréciée par le corps dans l'autre), ici la mutation est directement engendrée par la psyché d'êtres instables, en mal d'affection, en contentieux avec la figure parentale. Avec un cinéaste aussi obsédé par les dérèglements génétiques ou psychologiques, la psychosomatique thérapeutique trouve un écrin thématique de premier choix. Ici, la fascination de Cronenberg pour la chair se focalise sur les manifestations épidermiques ou carrément excroissantes de corps qui se rebellent contre eux-mêmes, poussés dans leurs retranchements psychologiques. Habité par une
rage incontrôlable, l'esprit commande à la chair d'évacuer ce sentiment de fureur qui, de l'ordre de l'émotionnel, de l'affect, se traduit instinctivement en phénomène organique. Cela préfigure totalement l'avènement de la nouvelle chair de
Vidéodrome en ce que ces extensions physiques deviennent des dérivés directs, des extensions, de la sphère mentale, avec cependant une marche de manœuvre bien plus grande que les contraintes du corps humain : en effet, la fameuse portée de Nola, reliée à leur Mère par un lien viscéral invisible, n'éprouve ni peur, ni remords, ni rien, en ce sens, cette "race" déshumanisée devient plus forte que la race humaine, puisqu'elle n'a rien à perdre. Les mutations physiologiques de
The Brood donnent naissance, au propre comme au figuré, à des aberrations de la science d'autant plus inquiétantes que le Canadien est foutrement doué lorsqu'il s'agit de créer une atmosphère aussi lourde qu'une chape de plomb.
The Brood est ainsi un film à nouveau particulièrement malaisant, sans échappatoire, traversé de séquences d'une brutalité qui laisse encore pantois (le meurtre de la maîtresse d'école a dû traumatiser les enfants de la scène). Comme l'indiquait Joe Wilson, le film baigne dans un horrible sentiment d'inéluctabilité, aboutissant à un plan final glaçant et, malgré tout, bouleversant.
Car il ne faudrait pas croire que la mise en scène et les obsessions chirurgicales de Cronenberg fasse du réalisateur un monstre d'inhumanité... sous la froideur clinique de ses sujets, existe en effet des idées très fortes d'un point de vue émotionnel. Les films de Cronenberg parlent très souvent d'amour, qu'il soit foutu en l'air (
La Mouche), charnel (
Frissons), fraternel (
Faux-Semblants), familial (
A History of violence). Ici, dans
The Brood, il était déjà question d'amour familial. Oh, certes, un amour perverti par l'imaginaire monstrueux du Canadien, où la figure matriarcale aurait régressé à un stade quasi animal (ne parle-t-on pas de Nola comme de la Reine des abeilles ?), où l'innocence de l'enfance se retrouve confrontée à des visions insoutenables - mais de l'amour quand même. L'amour ambivalent de Nola pour ses parents, entre colère, incompréhension, passion et ressentiment ; ne dit-on pas que la haine est le sentiment le plus proche de l'amour ? L'amour d'un père pour sa fillette, qu'il tente de protéger par tous les moyens. Ou encore, l'amour "fou" de Nola pour son noyau familial, dont elle expurge tous les éléments potentiellement déstabilisants. Au final : encore un très grand film de la part de cet auteur indispensable et passionnant.
The Brood est, encore une fois, une pièce du puzzle cronenbergien qui réalise le pont entre des films comme
Frissons et
Rage, et ceux à venir, comme
Scanners et
Vidéodrome. C'est également l'un des Cronenberg les plus malsains, qui, le temps d'une image inoubliable, dévoilant une intimité inhumaine, fait de l'enfantement un véritable cauchemar. On pourrait ainsi dire, et je conclurai là-dessus, que
The Brood est un film assez féministe : face au pouvoir de conception des femmes (ici montré de manière très dérangeante), les hommes ne peuvent rien.
The Brood est l'expérience cauchemardesque et masculine de ce que les femmes pourraient mener le monde.