Je commence avec le chef d'oeuvre Un éléphant ça trompe énormément. Film peu aidé par un titre ronflant, faisant plutôt penser à Pecas qu'à Sautet. Dommage. M'enfin, le titre porte bien son nom. Titre trompeur, énormément.
Un éléphant ça trompe énormément (Yves Robert, 1976) :

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Classique de la comédie française, ce film tellement dans le style et le goût d'Yves Robert fait preuve d'une belle maturité. Elle se teinte de noir, volontiers, à l'italienne. La comédie italienne sous des dehors de comédie burlesque se tord de douleur sociale, montre bien les crasses de la société italienne. Ici, Robert ne propose pas du tout ce regard corrosif sur la société française. Le noir de la vie n'est en rien le symptome d'un mal culturel, civilisationnel ou politique, il vient du quotidien, du banal, mais n'en fait pas moins souffrir ses sujets. Robert distille ici et là un regard plein d'humanité et de douceur.
Finalement, sans être une vraie comédie (on ne s'y poile pas tout le temps, loin de là), ce film est un condensé de vies, celles de quatre copains et leurs familles respectives. C'est une comédie de moeurs, joviale, tellement pleine de son temps, des ces années 70 qui laissent encore peu de place à l'angoisse sociale. On est encore dans l'insouciance des trente glorieuses. Bobos avant l'heure, ces moyens bourgeois vivent leur bonheur tranquillement et surtout restent soudés face aux évènements, plus ou moins tragiques de l'existence.
Le personnage principal, joué par Rochefort, ressemble bien à Rochefort lui même, ou du moins à l'idée qu'on s'en fait : gai, un peu guindé sur les bords à la manière d'un faux aristocrate, maladroit aussi, de mauvaise foi surtout, un peu lache également... en un mot, attachant.
Pourtant ce fieffé saligaud se met en tête comme en bite de tromper sa femme. Il l'aime, il n'y a pas de doute, mais un petit incident (une femme qui danse sur une bouche d'aération) le met dans un état second et change toute sa vie.
Le chef d'oeuvre du film est sûrement à mettre au compte du scénario (Robert et Dabadie), tellement bien écrit, avec des personnages fouillés, des dialogues piquants et un rythme ô combien millimétré.
Cet adultère donc forme en quelque sorte de fil rouge, de canevas central pour dépeindre les petits mondes satellites du personnage de Rochefort, qui l'occupent, l'astreignent, le tarabustent, l'enquiquinent pour finir par le colorer et lui donner tout son sens. Une belle vie quoi.
Ainsi découvre-t-on le personnage de Bouli, joué par un Lanoux rustre et macho qui s'en mord les doigts et les poils de moustache velue. Il trompe allègrement sa femme. Elle s'en va et le gorille s'effondre comme une bouse. Ses copains sont là pour le ramasser à la petite cuillère.
Il y a Brasseur dans son rôle à double face, mi-homme viril, qui ne dédaigne pas aller faire le coup de poing pour aider les copains et puis l'amoureux en larmes, parce qu'éconduit mais aussi à cause de son coming-out non maitrisé. Un homo qui refoule, évidemment plus mal que bien. Brasseur est étonnant parfois, jouant parfaitement de ces masques de virilité exagérée, de ces pacotilles, de ces costumes trop grands à porter tout seul, contre les autres.
Et puis on finit par Bedos assisté par sa mère Villalonga, la mère méditerranéenne, centrale, puissante, ultra présente, à deux portes l'un de l'autre, tout en gesticulations, la mamma, elle parle fort, lui aussi, ils s'entre-dévorent, s'aiment comme ça, avec un gros coeur et de gros poumons, à voix haute, avec les gestes de tempête qui vont avec. Un brin caricaturaux, ils nous offrent cependant quelques numéros de comédie pure, dans l'exagération, dans le paroxysme perpétuel.
Tout ce petit monde bouge, s'embrasse, se caresse, s'engueule, s'aime en quelque sorte dans un tourbillon de drôlerie mais aussi de tendresse, solidaires, unis. C'est une bande, une famille élargie où les personnages sont libres d'être seuls, où les amis ne sont pas loins. C'est justement le monde d'Yves Robert, les thématiques du lien, qu'il a déjà approché et travaillé, celle de Les Copains en 1964 ou de La guerre des boutons en 1962.
Cette glorification du plaisir, du bien commun, de l'humain, de la joie de vivre et de la force que l'on trouve chez l'autre, avec lui, pour soi et pour lui, toute cette justification de l'existence, cet hédonisme communicatif sont en soi une vision de la vie qui me plaît, un projet d'être auquel je souscris avec vigueur.
Ce qui me plait encore plus c'est que cette philosophie de vie est prononcée de manière très subtile et si juste, avec une grâce et une délicatesse que l'on ne retrouve guère que chez Sautet ou chez Monicelli. Ils sont peu nombreux les cinéastes à produire du plaisir avec tant de maîtrise et d'intelligence, en accord avec leurs propres principes, sans trop rien maquiller, sans grands artifices.
Il ne faudrait pas oublier un élément primordial du film, l'accompagnement musical soigneusement élaboré par Vladimir Cosma. Le thème principal, comme le petit morceau qui revient sans cesse quand Rochefort part dans ses rêveries érotiques avec comme sonorités les vagues et les mouettes, sont autant de partitions de bravoure en totale adéquation avec l'esprit qu'Yves Robert a voulu insufler à son film. Elément faisant partie intégrante du film et du scénario, la musique est largement un personnage à part entière.