(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
Quartet
En apparence seulement,
Quartet est un joli bibelot inutile, où rien ne manque ni ne dépasse dans la peinture des intellectuels anglo-saxons du Paris cosmopolite des Années folles, et qui joue sur l’anachronisme et l’ambigüité des rapports humains. Mais cette surface dissimule l’essentiel : le balancement entre deux mondes et le désespoir de n’appartenir à aucun. Éternelle errante, étrangère à tous les milieux, l’héroïne fidèle à son cœur continue seule sa course infinie et son destin vagabond, trouvant en Isabelle Adjani une interprète intense et très touchante. C’est sa sincérité qui fait mal, et c’est l’ironie tendre dont témoigne Ivory envers tous ces paumés du petit matin, se réfugiant sous la gomina et les fards pour dissimuler leur vide et leur ennui, qui offre au film sa belle identité.
5/6
Chambre avec vue
Là encore, tout est sa place et brille d’un sens consommé de la disposition : les Anglaises victoriennes pour qui un baiser volé est symbole d’infamie, les vieilles gouvernantes bavardes, les beaux jeunes gens avec la mèche en désordre qui barbotent gaiement dans un étang pendant que ces dames leur glissent des regards troublés. Un petit ver dans le fruit, et cette mise en scène oxygénée aurait un air du
Messager de Losey. Une nouvelle fois, le cinéaste s’intéresse donc aux conventions sociales et à leurs rapports contrariés avec la petite musique des sentiments, aux impressions juvéniles accompagnant les premiers émois, à la lutte entre les élans du cœur et l’éducation... Une délicate chronique de mœurs où germent toutes les composantes des grandes réussites à venir.
4/6
Maurice
Ivory enroule son tableau social autour d’un jeu subtil sur un transfert passionnel : à la veille de la Grande Guerre, un jeune homme de la haute bourgeoisie anglaise devient un petit monsieur vite effrayé par son idylle homosexuelle, qui se réfugie dans la chasteté puis le mariage de convention, tandis que son amant sincère et entier finit par assumer toutes les conséquences de sa nature. Il poursuit ainsi sa dénonciation de l’hypocrisie et de la mesquinerie morale d’une société lisse et policée, où à la crainte constante du scandale s’ajoutent le comportement d’exclusion et le mépris de ceux qui "savent". Le héros devra franchir la barrière de classe et transgresser pleinement les interdits pour pouvoir enfin gagner la paix avec lui-même – issue d’un très classique mais beau drame de l’amour contrarié.
4/6
Retour à Howards End
Ivory poursuit son exploration d’une Angleterre corsetée à travers le choc de deux cultures, l’attirance entre des êtres que tout oppose, les drames qui se nouent dans des ambiances feutrées. Il montre comment la classe bourgeoise intellectuelle désargentée triomphe sur la bourgeoisie possédante, au prix du sacrifice des classes laborieuses en plein dérapage de leur ascension sociale. Il capte le caractère des personnages, les remous qui affleurent en sourire, l’élégance de la phrase qui dissimule sans nier, la faute pardonnée pour en tirer profit : tout le mécanisme de la diplomatie familiale de caste. Son raffinement, sa subtilité psychologique, son mariage subtil d’humour, de satire au vitriol et d’études de mœurs confèrent à ce tableau du grand monde londonien une vraie perfection harmonique.
5/6
Les vestiges du jour
Le remords et les ruines : voilà ce qu’il reste d’une vie consacrée à une fausse idée de l’existence, gâchée par le souci de l’étiquette et le poids des conventions. Retrouvant précisément sa veine d’entomologiste minutieux, le cinéaste fait l’autopsie d’un échec amoureux, d’une relation et d’un bonheur manqués, en une analyse subtile d’une aristocratie trompée par ses bonnes intentions. Un monde clos, où le rituel quel qu’il soit et son respect peuvent créer un aveuglement coupable. Si la beauté de l’exécution décorative et historique s’exprime à chaque plan, témoignant d’une précision d’orfèvre, jamais elle n’étouffe la tangibilité d’un drame psychologique tout en retenue émotionnelle et douleur à peine perceptible, qui trouve en Anthony Hopkins et Emma Thompson des interprètes plus que parfaits.
5/6
La fille d’un soldat ne pleure jamais
Le plus british des cinéastes américains quitte la haute société anglaise du début du siècle et retrouve sa ville d’élection, Paris, pour une adaptation du roman autobiographique de la fille de James Jones, auteur de
La Ligne Rouge et
Tant qu’il y aura des hommes. Son récit adolescent, avec ses émois et ses doutes, devient une espèce de plaidoyer sensible pour l’exil désiré, une petite chronique familiale de la fin des années 60 dont la discrétion même est gage de sincérité. D’une facture très appliquée, celle-ci aligne les saynètes mi-tendres mi-nostalgiques en témoignant d’une certaine fraîcheur, mais la ténuité du propos et des portraits de caractères, prétexte à brosser un pan de l’histoire contemporaine par le côté anecdotique (et un peu Art déco) de la lorgnette, en font un film tout à fait oubliable.
3/6
Mon top :
1.
Les vestiges du jour (1993)
2.
Retour à Howards End (1991)
3.
Quartet (1981)
4.
Maurice (1987)
5.
Chambre avec vue (1985)
Tenant d’un classicisme qui pourrait aisément tirer vers l’académisme décoratif, James Ivory a signé quelques très beaux films d’époque qui en font un réalisateur plus qu’appréciable à mes yeux : une sorte de maître en sa partie. Mais il est vrai que je n’ai pas vu ses films sans doute plus mineurs.