Requiem pour un massacre (Elem Klimov - 1985)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
Nestor Almendros
Déçu
Messages : 24414
Inscription : 12 oct. 04, 00:42
Localisation : dans les archives de Classik

Message par Nestor Almendros »

gnome a écrit :l'acteur expliquait que dans la scène avec la vache, on lui tirait dessus à balles réelles!!! :shock: :lol:
Oui oui, le réalisateur en parle aussi dans son interview. Et même visuellement ça se voit, ça ne fait pas "trucage". Le réalisateur parle aussi de ses comédiens qui, dans la scène du marécage, manquaient de se noyer. Quand j'ai parlé de "dévouement" c'était en pensant très fort au cinéma mainstream classique où tout est souvent clean et où les caprices d'ego doivent faire légion. Rien à voir avec les acteur du Klimov, quoi...
Randolph Carter
Accessoiriste
Messages : 1520
Inscription : 26 févr. 06, 08:53
Liste DVD
Localisation : Kadath

Re: LIMOV

Message par Randolph Carter »

Joe Wilson a écrit :Va et regarde (la référence biblique m'a semblée tellement marquante que je ne peux utiliser le titre français pompier et sursignifiant)
Bah,ce n'est qu'un exemple parmi d'autres de la putasserie ambiante et du racolage éhonté auquel se livrent éditeurs et distributeurs.
Image
Avatar de l’utilisateur
Ender
Machino
Messages : 1153
Inscription : 6 janv. 07, 15:01
Localisation : Mizoguchigrad

Message par Ender »

Bon, la scène du massacre du village. Elle est terrassante, insupportable. C'est aussi le moment où je trouve le film glisse un peu de la représentation du grotesque et de l'horreur au grotesque de la représentation. La participation active et joyeuse de tous les soldats allemands, les portraits de filles maltraitées et violées en saintes souillées (des gros plans plein cadre qui ressemblent vraiment à des images pieuses), il y a dans cette séquence des représentations tendancieuses, presques instrumentalisées, qui ne sont pas à la hauteur de l'horreur de l'événement, dont la gravité est telle que montrer des soldats impassibles, appliqués dans leur tâche, n'aurait que renforcé l'horreur véritable, en même temps que la monstruosité n'aurait pas été surlignée. C'est mon seul reproche majeur à un film que je trouve d'autre part extrêmement intelligent, un film qui comme le souligne la signature de Gnome développe un réel art du portrait pour signifier l'immersion dans l'horreur. Une horreur meurtrière à la fois omniprésente et progressive dans son extrêmité et l'incrédulité qu'elle suscite : les yeux écarquillés de Flora sont tout aussi bien ceux du spectateur qui est pris à témoin à plusieurs reprises par son regard.
Puisque c'est bien semble-t-il le grand projet du film : dans la limite de ce que notre entendement peut percevoir, et peut-être un peu au-delà, mais en acceptant la limite structurelle de ce dont est capable la représentation (et en cachant donc dans le champ le génocide, à la fin du film, car il n'y a pas d'image pour cela sinon dans le regard des victimes - qui est éteint par le meurtre) faire participer le spectateur à l'insécurité, la terreur de la guerre et lui faire éprouver la proximité de la folie, le franchissement de son seuil même (à ce titre la bande son est ahurissante)... Une sorte de terreur sans catharsis, car il n'y a pas de retour possible de cette tourbe de Biélorussie... Klimov dans les boni dit que son désir initial était de titrer le film Tuez Hitler ! - "Hitler" entendu dans un sens quasi-métaphysique : "tuer Hitler en soi" aurait en partie été le sens de ce titre. C'est donc bien une terreur et une horreur dont on ne vient pas à bout par sa seule représentation, une horreur inhérente et intégrée à l'humanité, contre laquelle il faut faire face inlassablement.
Avatar de l’utilisateur
Boubakar
Mécène hobbit
Messages : 52292
Inscription : 31 juil. 03, 11:50
Contact :

Message par Boubakar »

Que dire ?

Le film est très dur (certains moments, comme la maison où sont enfermés des civils, sont presque insoutenables), la transformation du jeune "héros" est vraiment incroyable (plus le film passe, plus ses cheveux blanchissent, tendant à montrer l'effroi de ce qu'il vit), le film a la force de ne jamais se détourner de son propos, de nous montrer la guerre dans toute son horreur.
Bon, va falloir prendre du recul, parce que je viens de me prendre une sacrée baffe...
Anorya
Laughing Ring
Messages : 11846
Inscription : 24 juin 06, 02:21
Localisation : LV426

Re: Requiem pour un massacre

Message par Anorya »

Revu récemment avec ma mère ce qui s'impose comme l'un des films de guerre les plus traumatisants. LE plus traumatisant ?
Klimov, avec intelligence et sans forcer le ton, livre un jeune innocent dans la tourmente monstrueuse de la guerre et par le biais des plans-séquence et de la steadycam (maniée de main de maître) nous fait voir par son regard les horreurs commises par les Allemands, mais pas que. Bien souvent, la caméra quand elle n'est pas neutre embraye un court instant sur le champ de vision d'un autre. Caméra donc neutre tout en étant subjective. Comment ne pas penser par exemple à ce moment où l'acolyte de notre "héros" décide d' "emprunter" une vache à l'habitant ? Le début du plan nous montre un paysan chez lui par la fenêtre (je tiens à dire que chaque plan est construit comme un tableau bien souvent, c'est magnifique et celà participe d'autant plus de la beauté traumatisante de l'esthétique mêlée à la guerre car ici, jamais la mort n'aura été aussi belle et glaciale), on se croirait la nuit avec des bruits de camions ou chars qui passent à côté, il n'en est rien. La caméra se recule alors que le paysan sort assouvir un besoin naturel : c'est en fait le petit matin et dehors c'est quasiment vide, seulement un chien qui aboit dans le levant (mais on sera à chaque fois désorienté tant par l'image que le son, c'est assez magistral et des plus interessant vu que Klimov nous met presque quasiment dans la même situation que le jeune Floria), pas plus. On suit (merci la steadycam) alors l'homme derrière et la voix-off qui surgit nous rappelle alors de la subjectivité de la caméra. Mais ce n'était pas le regard de Florian, seulement, l'échange nous a été quasiment imperceptible tant tout coule de source au montage.

Image

Mais "Va et regarde" n'est pas que composé de plan-séquences. La grande force du film, ce sont ses formidables gros-plans de visages, véritable palette de toutes les émotions humaines, qui renvoient aux formidables visages chargés de force qu'on peut voir tant chez Eisenstein que Dreyer (le Jeanne d'Arc...), voire Tarkovski, quitte à citer un autre maître russe même si, je l'accorde, la citation est facile. Encore qu'ici, celà semble légitime de citer le maître tant l'esthétique hyper-réaliste semble renvoyer aux tableaux icôniques que nous offrait le réalisateur d'Andréï Roublev et Stalker. On pourrait penser à L'enfance d'Ivan pour le même sujet d'un enfant plongé dans l'enfer de la Guerre mais la comparaison s'arrêterait là : Floria n'a pas ses rêves pour tenir le coup et sa chute est proggressive. D'un jeune garçon jouant dans les décombres sablonneux du début, il deviendra pur forme quasi-inerte qui met le restant de sa force et de sa colère dans l'exutoire que procure l'acte de tirer sur une image, en l'occurence une photo du Führer, jaquette choisie pour le film par l'éditeur Potemkin.

Image

Et puis comment ne pas oublier le formidable travail sonore effectué ici ? On touche à un hyper-réalisme au délà du son, tellement le son, la musique nous semblent vivantes. Quand Glacha et Floria sont dans la forêt, pour une relative paix, l'accent est mis avec justesse sur le bruit de la pluie tombant, le cri des oiseaux. La nature reprend ses droits. Ici règne encore la paix. Pour combien de temps ? Plus loin, quand Floria arrive dans son village avec Glacha, on aperçoit des images de maisons vides, qui fument encore, des jouets éparpillés au sol. L'inquiétude monte progressivement chez le spectateur : Où sont-ils tous ? Seul indice qui lance un douloureux malaise, un bourdonnement de mouche quasi-naturel, quasi électronique, qu'on ne peut identifier précisément. La réponse, cruelle et douloureuse, nous en sera donné quelques secondes après. Quand à la musique, imperceptible, elle se fond dans un mélange ambiant et experimental avec les bruits de fond, créant un maëlstrom de perceptions hallucinantes. Tout comme Malick, Klimov choisit des extraits de Mozart mais la démarche n'est pas exactement la même : ici on fractionne, malaxe, coupe les extraits pour les mélanger au bruit de la pluie, du vent, les faire participer pleinement à la vie-même qui irrigue du film malgré l'enfer qui déferle et en faire une partie des sensations reçues. C'est clairement remarquable.

Un chef d'oeuvre qui marque à chaque vision.

6/6
Image
Joe Wilson
Entier manceau
Messages : 5463
Inscription : 7 sept. 05, 13:49
Localisation : Entre Seine et Oise

Re: Requiem pour un massacre

Message par Joe Wilson »

Ta deuxième capture est magnifique (un des plans qui m'a le plus marqué, d'ailleurs).
Image
Nicolas Mag
Cadreur
Messages : 4015
Inscription : 25 avr. 03, 16:11
Localisation : Lille 59

Re: Requiem pour un massacre

Message par Nicolas Mag »

texte remarquable d'anorya sur un film qui malgré la dureté devrait être montré à des lycéens et collégiens, le film fait partie de ceux que l'on dit "essentiel" à voir
Grimmy
Régisseur
Messages : 3143
Inscription : 1 févr. 04, 11:25

Re: Requiem pour un massacre

Message par Grimmy »

Je viens de voir le film et j'avoue ne pas du tout partager ce concert de louanges. Suis-je le seul ? Suis-je complétement passé à côté de cet" énorme chef d'oeuvre " ? J'ai trouvé l'ensemble du film décousu, les scènes s'enchainant sans grandes logiques (on pourrait inverser de nombreuses séquences sas que cela gène la narration du film), mais surtout l'interminable scène de barbarie nazie est d'une telle complaisance (cris, meurtres, brûlés etc..) que j'aurais préféré non pas de la retenue, parce que j'imagine bien que cétait cela la folie nazie, mais quelque chose de plus subtil. Le réalisateur ne nous épargne rien, et franchement, à pas mettre mal à l'aise, je ne vois pas l'interêt. Ca hurle, ça braille pendant une heure pour nous dire voyez comme c'est dégueulasse, et puis après ?
Sinon oui les cadrages sont renversants et il y a un superbe boulot sur la bande son. Mais voir des gens humiliés pendant une heure, non.
Désolé mais des louanges mais ce genre de film, c'est sans moi.
:evil:
Avatar de l’utilisateur
Eusebio Cafarelli
Passe ton Bach d'abord
Messages : 7895
Inscription : 25 juil. 03, 14:58
Localisation : J'étais en oraison lorsque j'apprends l'affreuse nouvelle...

Re: Requiem pour un massacre

Message par Eusebio Cafarelli »

Je viens de revoir la scène du massacre. Le réalisateur ne nous épargne ni les cris ni "le bruit et la fureur" mais rien n'est complaisant. On ne voit en fait rien, sauf des coups, un cadavre, une personne tuée par balle dans la grange, une jeune femme traînée par les cheveux mais son viol est suggéré, pas filmé, tout comme l'extermination des villageois dans la grange est suggérée, pas filmée. Si je compare avec un autre film qui montre les crimes nazis, par exemple Le Vieux Fusil (que j'apprécie par ailleurs), le traitement est beaucoup moins, infiniment moins démonstratif. OK, ce type de comparaison ne vaut pas grand chose, c'est juste pour dire que Klimov n'est pas complaisant dans son traitement du massacre et pourtant la séquence est terrible et sidérante, par l'alternance des poins de vue, de plans larges et des gros plans, des plans fixes et des travelling, par le travail sur la bande son, qui nous place véritablement dans le tourbillon de folie inhumaine (on pense aux tableaux de Bosch pour l'accumulation de séquences et certaines figures inhumaines) qui emporte les villageois.
Avatar de l’utilisateur
Alphonse Tram
Réalisateur
Messages : 6943
Inscription : 7 juil. 03, 08:50

Message par Alphonse Tram »

C'est curieux que tu en parles Eusebio, car justement cette scène de massacre me fait invariablement pensé au vieux fusil, étant donné son anteriorité dans le visionnement (mais je ne voulais pas faire la comparaison).
Mais ce n'est pas la scène qui me marque le plus, je lui préfère nettement la scène suggérée de l'autre massacre dans le village vide :
Spoiler (cliquez pour afficher)
[arrivée des enfants dans le village]
.../... (son de mouches) .../...
La caméra steady-cam suit Floria. Il se met à courir...
La caméra le dépasse, se retourne, et on voit en arrière plan, légèrement flou, les corps entassés.
Souhaits : Alphabétiques - Par éditeurs
- « Il y aura toujours de la souffrance humaine… mais pour moi, il est impossible de continuer avec cette richesse et cette pauvreté ». - Louis ‘Studs’ Terkel (1912-2008) -
Grimmy
Régisseur
Messages : 3143
Inscription : 1 févr. 04, 11:25

Re: Requiem pour un massacre

Message par Grimmy »

Exactement. Ce plan furtif de corps entassés est une force incroyable. C'est fait de façon remarquable et la densité de l'émotion est d'une force rare. Rien à voir avec cet enchainement de brutalités nauséeuses et séquences chocs qui va suivre pendant tout reste du film.
Avatar de l’utilisateur
Eusebio Cafarelli
Passe ton Bach d'abord
Messages : 7895
Inscription : 25 juil. 03, 14:58
Localisation : J'étais en oraison lorsque j'apprends l'affreuse nouvelle...

Re: Requiem pour un massacre

Message par Eusebio Cafarelli »

Oui mais dans ce plan furtif il montre ce qu'il ne montre pas dans le passage de la grange. La force de la séquence du massacre, c'est de suggérer à l'imagination l'horreur qu'il ne montre pas mais fait entendre par les cris et les bruits (il montre la folie nazie - ivresse, fête macabre, applaudissements, chiens, pillage, etc. jusqu'à l'opossum, créature étrange qui a les mêmes yeux que le commandant -, la sidération de l'enfant, les larmes qu'essuie un soldat à lunettes qui tire sur la grange, les vomissements d'un autre soldat). Ce ne sont pas des séquences choc pour moi, au sens de séquence conçue pour choquer facilement en montrant (dans Le Vieux Fusil, on montre le viol, l'assassinat, la crémation de Romy Schneider au lance-flammes et son cadavre calciné), l'horreur est plus forte parce que le spectateur, guidé par le travail du cinéaste, la construit en lui-même, au lieu de lui rester extérieur en la voyant exposée. On imagine ce qui se passe dans la grange, on imagine le viol en voyant la horde de soldats tenter de monter dans le camion, mais il ne montre pas. On est dans ces moments à la place de l'enfant
Dans le plan furtif dont tu parles, tout aussi admirable, il me semble que l'enfant passe sans voir le charnier, qui se découvre furtivement au spectateur, à un moment du film où l'enfant est sur le chemin de la compréhension de l'horreur. Il y a une progression dans l'horreur, pour l'enfant qui passe à côté sans la voir vraiment (même s'il a conscience de quelque chose) avant de la vivre devant la grange (où il prévient les habitants de ce qui va arriver), mais aussi pour le spectateur, qui d'extérieur à l'horreur (il voit ce que l'enfant ne voit pas) finit par la vivre (en l'imaginant à partir des seules sensations possibles, visuelles et auditives) par les yeux et les oreilles de l'enfant (je le dis mal).
Aragorn Elessar
Accessoiriste
Messages : 1954
Inscription : 17 avr. 06, 13:18

Re: Requiem pour un massacre (Elem Klimov)

Message par Aragorn Elessar »

Le plan furtif en fait c'est le plan subjectif de la fille
Spoiler (cliquez pour afficher)
qui court, tourne sa tête, voit l'horreur furtivement et reprend sa course. Y a aussi un contrechamp sur son regard effrayé lorsqu'elle voit le charnier il me semble Et c'est vrai que c'est une des meilleurs séquences du Cinéma, enfin une qui m'a le plus marqué.
Image
Si la vie réelle est un chaos, en revanche une terrible logique gouverne l'imagination.
Ôtez le mensonge vital à un homme moyen, vous lui ôtez le bonheur, du même élan.
bronski
Touchez pas au grisbi
Messages : 17373
Inscription : 23 févr. 05, 19:05
Localisation : location

Re: Requiem pour un massacre (Elem Klimov)

Message par bronski »

30 euros le dvd sur Amazon... d'accord...
Nicolas Mag
Cadreur
Messages : 4015
Inscription : 25 avr. 03, 16:11
Localisation : Lille 59

Re: Requiem pour un massacre (Elem Klimov)

Message par Nicolas Mag »

bronski a écrit :30 euros le dvd sur Amazon... d'accord...
l'ayant en double j'en vends un :wink:

et c'est vrai que ce plan est extremment marquant, un de mes moments de cinema inoubliables :wink:
Répondre