Michael Curtiz (1886-1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Commissaire Juve
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Commissaire Juve »

UP !

Vu qu'il n'y a pas de topic "Péplum", je poste ici.

Hier, je me suis refait le BLU de L'Egyptien (1954).
Dernier visionnage en 2016 (et très content de voir qu'il fonctionnait toujours).

Et... euh... le film a quand même deux de tension !
J'ai eu du mal à aller jusqu'au bout. Mais j'y suis parvenu.

La présentation de Brion (que j'avais oubliée) est assez savoureuse.
Et je viens de découvrir que Bella Darvi -- après avoir échappé à
la déportation -- s'était suicidé par le gaz. Hem !

A un moment, j'ai jeté une oreille à la VF et... pour Jean Simmons
j'ai eu la surprise de reconnaître...
Spoiler (cliquez pour afficher)
Françoise Arnoul !!!
... :o (à cet égard, je pense que la fiche Wiki se plante).
Quant à Gene Tierney, on ne peut pas dire qu'elle ait été bien servie.

Rien à voir (quoique) : le semaine dernière, je me suis refait Cléopâtre (1963)
et je n'ai pas tenu ! Au bout de trois heures j'ai fait une chose que je ne fais
quasiment jamais (sacrilège) : avance rapide ! :oops: :oops: :oops:
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Rick Blaine
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Rick Blaine »

Indépendamment du fait que l'on aime ou non (moi j'aime bien le Curtiz), si on y réfléchit bien, le péplum hollywoodien, ça se caractérise globalement par cette forme de lenteur. C'est un genre ample, qui prend son temps, et c'est finalement ce qui fait qu'on l'apprécie... ou pas.
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par O'Malley »

Rick Blaine a écrit : 18 janv. 22, 10:39 Indépendamment du fait que l'on aime ou non (moi j'aime bien le Curtiz), si on y réfléchit bien, le péplum hollywoodien, ça se caractérise globalement par cette forme de lenteur. C'est un genre ample, qui prend son temps, et c'est finalement ce qui fait qu'on l'apprécie... ou pas.
Assez d'accord, surtout pour les péplums avec une durée conséquente (plus de deux heures)!
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Commissaire Juve
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Commissaire Juve »

Rick Blaine a écrit : 18 janv. 22, 10:39 ... C'est un genre ample, qui prend son temps, et c'est finalement ce qui fait qu'on l'apprécie... ou pas.
Ah, faut pas croire : je suis client. Mais là -- Brion le dit lui-même -- le personnage de Sinouhé a deux
de tension (idem pour le pharaon).

Pour Cléopâtre, c'est autre chose : c'est beaucoup trop bavard (et il y a des jours où on est d'attaque
et d'autres pas).
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Rick Blaine »

Je ne contredis pas le constat sur le Curtiz, mais à mes yeux ça ne constitue pas un défaut. (et je comprends que ça peut l'être pour quelqu'un d'autre bien sur.
Le Mankiewicz, je ne l'ai toujours pas vu.
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HAL 9000
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par HAL 9000 »

Découvert aujourd'hui Les Anges aux figures sales (Angels with Dirty Faces, 1938). La présence de Cagney est indéniable, et la maîtrise de Curtiz aussi. Certains plans à la grue, d'autres faisant la part belle aux ombres sont caractéristiques. Rayon scénario, les deux amis qui prennent des chemins opposés car l'un va en prison et l'autre va se ranger, est un début classique mais bien conduit. L'acteur qui joue Cagney jeune partage d'ailleurs le même type de visage, assez particulier. La bande de gamins, les "Dead End Kids", sont vraiment naturels. Le supporting cast n'est pas en reste : Bogart, Ann Sheridan, Pat O'Brien, George Bancroft, tous sont à leur place. On sent que le code Hays est passé par là et polit un peu la brutalité ambiante. La fin est très belle, certes moralement acceptable mais elle témoigne aussi de l'amitié indéfectible entre les deux personnages principaux. Un très bon moment.
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Profondo Rosso
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Profondo Rosso »

Masques de cire (1933)

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Londres, 1921. Le sculpteur Ivan Igor fait visiter son musée de cire à un ami et à un investisseur. Il leur montrent fièrement les statues de Jeanne d'Arc, de Voltaire, et de Marie-Antoinette, son chef-d'œuvre, qu'il a lui-même sculptées. Malheureusement, la fréquentation du musée est insuffisante et son associé, Joe Worth, las de perdre de l'argent, lui propose de mettre le feu au musée pour toucher la prime de l'assurance. Les deux hommes ne sont pas d'accord et se battent. Dans la bagarre, Joe Worth parvient à mettre le feu et s'échappe, laissant Igor inanimé et seul dans le musée. New York, 1933. Igor a survécu au terrible incendie qui a détruit son musée et prépare l'ouverture d'un nouveau musée de cire. Il a été gravement blessé dans l'incendie du musée

Masques de cire est une production d'épouvante produite pour surfer sur le succès de Docteur X sorti l'année précédente. On y retrouve le réalisateur Michael Curtiz, une partie du casting avec Fay Wray et Lionel Atwill, et surtout l'utilisation du Technicolor bi-chromique. Il s'agit du premier usage du procédé Technicolor qui consiste en une projection avec double objectif de films à filtres couleur avec pour Masque de cire et Docteur X, une dominante bleu/vert. Pour ce qui est de Masque de cire la réussite est avant tout plastique, l'intrigue policière entourant les morceaux de bravoure étant assez poussive malgré l'abattage de Glenda Farrell en journaliste gouailleuse. La scène d'ouverture pétrifie d'emblée en scellant le fétichisme de Igor (Lionel Atwill), artiste maudit perdant son grand œuvre dans les flammes par malveillance et qui va le faire renaître de la plus morbide des façons. Cette colorimétrie donne un cachet des plus singuliers aux scènes de suspense, par le sens de l'atmosphère de Curtiz. L'espace du musée a un côté spectral et inquiétant renforcé par le fait que les figures de cire sont joués par des acteurs immobiles ce qui renforce ce sentiment d'étrangeté.

La direction artistique de Anton Grot est impressionnante, notamment avec l'immense décor entre steampunk et art déco de l'atelier d'Igor. Les accessoires laissent deviner le glaçant procédé de mise en cire des victimes, et Curtiz semble créer comme un monde parallèle, halluciné et oppressant dès lors que l'on navigue en sous-sol. C'est là le territoire des monstres n'ayant plus droit à fréquenter la surface, et des morts à laquelle ils ont été arrachés pour leur offrir "l'immortalité". Tous ces moments-là sont des plus envoutant mais entrecoupé de cette trame policière bien plus relâchée dans le ton et qui semble appartenir à un autre film. Dommage que l'ensemble ne soit pas plus homogène dans la tonalité d'épouvante mais le film est suffisamment court pour que cela ne soit pas gênant. Entre Les Chasses du Comte Zaroff (1932) et King Kong (1933) c'est en tout cas l'occasion pour Fay Wray de renforcer son aura de scream queen dans une scène mémorable où le vrai visage d'Igor se révèle à travers une idée visuelle assez stupéfiante. Malgré les petits défauts, une œuvre d'épouvante vraiment fondatrice et inventive, remakée en 1953 par André de Toth avec Vincent Price, et plus récemment sous la forme d'un slasher en 2005 avec La Maison de cire de Jaume Collet-Serra. 4,5/6
villag
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par villag »

Que seraient ces films d' aventures , ceux que j'adorais étant gamin, voir plus vieux, sans ces romanciers, réalisateurs , acteurs , sans, Rafael Sabatini, Errol Flynn , sans Michael Curtiz.....! Merci à lui....
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Profondo Rosso
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Profondo Rosso »

Le Vaisseau fantôme (1941)

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Le film se déroule en 1900, au large de San Francisco. Les circonstances réunissent sur un voilier chasseur de phoques, le Ghost, un pickpocket poursuivi par la police, une délinquante, évadée d'un bagne de femmes, et un écrivain. Le navire est dirigé par le terrible capitaine « Wolf » Larsen qui exerce une autorité implacable sur un équipage de repris de justice, mais est la proie de ses propres démons. Les morts violentes se succèdent et la situation à bord devient critique : qui réussira à quitter vivant le navire ?

Le Vaisseau fantôme est une magnifique adaptation du roman Le Loup des mers de Jack London publié en 1904. Jusque-là le récit maritime avait pour Michael Curtiz rimé avec les films d'aventures d'Errol Flynn (Capitaine Blood (1935), L'Aigle des mers (1940)) qui sous le panache n'étaient pas dénués de certains vrais moments de noirceurs. Le récit de Jack London va lui permettre d'aller plus loin dans cette direction, notamment à travers les choix d'adaptations de Robert Rossen qui en signe le scénario. Jack London à travers la figure du terrifiant Wolf Larsen (Edward G. Robinson) cherchait à fustiger la théorie du surhomme de Nietzsche ainsi que l'application frontale de la sélection naturelle de Darwin, par la domination physique et psychologique qu'impose Larsen à son équipage - et représenté par les lectures de sa bibliothèque dans le film. Avec le contexte politique d'alors, Robert Rossen semble davantage avoir orienté cet aspect vers une réflexion sur le totalitarisme l'hitlérisme. Le film n'est plus seulement un duel psychologique et intellectuel entre Larsen et l'écrivain Van Weyden (Alexander Knox) comme dans le livre, mais met tout autant en avant George Leach (John Garfield) et Ruth Webster (Ida Lupino) qui y tenait un rôle plus secondaire. Van Weyden fait office d'observateur quand Leach et Ruth s'inscrivent d'abord naturellement parmi les damnés de la terre qui forment l'équipage avant par leur rapprochement de représenter des symboles de rédemption, de renouveau. Cela est appuyé par leur passé chaotique fait d'avilissement, de solitude, de séjours en prison qui fait de cette honte et ressentiment envers le monde des proies faciles pour Larsen qui se nourrit des faiblesses de son équipage pour les dominer - avec quelques saisissants moments de cruautés, le destin tragique du docteur déchu, Ida lupino démasquée. Puis la symbolique de la transfusion sanguine de Leach pour sauver Ruth va façonner un autre lien, celui de l'espoir et de l'amour pour les deux protagonistes.

Ce côté romanesque ajoute à l'attrait du film et le rend moins sombre et désespéré que le livre, d'autant que Michael Curtiz l'enrichit d'une vraie dimension formelle et spectaculaire. Les effets de brumes (somptueuse photo de Sol Polito) durant les séquences maritimes débouchent sur d'impressionnantes collisions de navires, tout en faisant sens métaphoriquement. La brume où se tapissent les navires correspond aussi à la nature de parias voulant se dissimuler de la société, mais c'est aussi cette même brume qui obscurcit la vue de Larsen lors de ses crises de migraine, manière de se voiler la face devant ce qu'il est réellement. Son sentiment de toute-puissance masque une peur du monde et des autres, qui n'est rassurée qu'en divisant et piétinant les plus faibles. L'analogie avec l'hitlérisme fonction, tout comme celle avec le capitalisme si l'on connaît l'engagement de gauche de Robert Rossen (et de John Garfield souvent dans cet emploi de prolo rebelle). Michael Curtiz mène tout cela avec l'efficacité qu'on lui connaît, bien aidé par une prestation assez fabuleuse d'Edward G. Robinson, sorte d'ogre aux pieds d'argiles à la fois très intimidant et finalement assez pathétique. L'aspect huis-clos psychologique est assez frappant sorti de quelques morceaux de bravoure et ennemis invisibles, le navire Ghost est donc avant tout un espace mental, un enfer flottant qui nous noie où duquel on est capable de s'extraire. Une nouvelle belle réussite de Curtiz. 5/6
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La Scoumoune
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par La Scoumoune »

Merci pour ce beau texte (comme toujours) qui donne sacrément envie de découvrir le film.
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Profondo Rosso
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Profondo Rosso »

La Scoumoune a écrit : 5 mars 23, 23:00 Merci pour ce beau texte (comme toujours) qui donne sacrément envie de découvrir le film.
De rien et merci pour le texte :wink: J'ajoute que la copie du bluray Warner est très belle d'ailleurs !
The Eye Of Doom
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par The Eye Of Doom »

J’avais vu L’egypsien en salle il y a 35 ans lors d’une de mes virees en stop à la capitale pour un WE ciné marathon. La seule raison etait la presence de Gene. J’avais vu La main gauche de seigneur et Peché mortel ce meme WE….
Bon j’en gardait le souvenir d’un truc pas terrible plombé par un prêchi-prêcha religieux et surtout le peu de Gene Tierney.
Revu ce soir, bien c’est pas mieux.
Je reconnais volontiers une fort belle mise en scene et des images superbes, pour qui veux bien rentrer dans cet espece d’egypte hollywoodienne. La copie superbe du bluray rends justice à la beauté des compositions et la splendeurs des couleurs.
Ceci etant dit, ce recit d’un mec qui cache sa vie pour finir par trouver la foi chrétienne (13 sciecles avant ´a naissance du christ, trouve t’on necessaire de nous preciser sur le dernier plan du film) est d’un intérêt tres tres relatif. On s’ennuie pas mal et toute la fin édifiante est insupportable…
Franchement, c’est mortel ces peplums de propagande christique!
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Barry Egan
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Barry Egan »

Le Roman de Mildred Pierce

Arrivé au film sans en savoir grand-chose et encore une fois cueilli par le meurtre inexpliqué dès le début, le récit qui avance jusqu'à ce que, de façon surprenante, la construction en flashback se révèle au cœur du dispositif narratif - pas évident, quand on passe 45 minutes avec l'héroïne à attendre que l'inspecteur de police veuille bien la recevoir... Le portrait des classes et des valeurs en opposition fonctionne à plein. Le conflit intergénérationnel dépeint ici, c'est celui qui aura lieu d'une autre façon dix ans plus tard après Elvis et la pop, et l'abondance qui fait que chaque jeune veut sa voiture à lui et des vêtements de marque (la petite garce est absolument insupportable dans sa manière de manipuler les sentiments de sa mère, de lui extorquer des cadeaux, y compris des cadeaux qui la déçoivent, déjà prise dans la spirale de la consommation à l'adolescence !). L'assassinat comme prétexte à un pamphlet sociologique hargneux et quelque part, punk.

Et justement :



(y a Sofia Coppola quelque part ici)
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Barry Egan
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Barry Egan »

Demi-Lune a écrit : 27 avr. 13, 20:07
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Le roman de Mildred Pierce (1945)

D'abord, impressionné par la qualité générale du scénario.
Cain avait déjà signé Le facteur sonne toujours deux fois, lui-même à forte connotation sociale (histoire de restaurant, là aussi), mais avec Mildred Pierce on est un cran encore au-dessus, pour tout ce que cette histoire nous renseigne sur le modèle économico-social de l'Amérique des 40's. Le soin porté au tournage en extérieurs et à la direction artistique s'inscrivent dans un réalisme californien middle-class que peu de films noirs ont su aussi bien retranscrire. Il ne s'agit pas seulement d'ambiance esthétique : c'est toute cette volonté de montrer ce qui se passe derrière les portes des maisons de banlieue, de prendre une femme comme tant d'autres et d'en faire un quasi symbole social.
Cette histoire d'élévation resterait classique s'il n'y avait toute cette prégnance, en effet, de l'American Dream des années Roosevelt : qu'il soit montré dans toute son attractivité maladive (l'obsession du standing de Veda), sa modernité (joli pied de nez quand même de nous raconter l'histoire d'une mère courage au foyer qui passe par des jobs ingrats pour devenir une riche auto-entrepreneuse) ou sa perversion, ce fantasme de tout Américain de réussir par sa seule volonté prend dans Mildred Pierce une dimension critique assez jubilatoire. On s'imagine mal un gros studio avoir produit un film aussi décapant sur la société US du New Deal, où l'égoïsme règne en maître et où toutes les structures familiales passent à la moulinette (mariage, enfants).
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Car ce qui fait le prix de ce tableau, c'est l'idée, géniale, d'articuler le volet social avec le volet intime, grâce au rapport Mildred/Veda.
Le désir de tout parent d'offrir un avenir souriant à ses enfants trouve ici une exploitation retorse. Pour Mildred, la réussite sociale repose sur le fantasme d'une réussite dans sa mission de mère : en tant que mère, elle se doit d'offrir ce qu'il y a de mieux pour subvenir aux besoins princiers de sa péteuse de fille aînée. Elle accepte de s'abaisser à des jobs ingrats pour que sa fille puisse rester immaculée de tout labeur. Ce qu'elle entreprend et réussit socialement, elle le perd familialement en entretenant, avec beaucoup de complaisance, auprès de Veda la suffisance que tout lui est dû : la rupture avec son premier mari semble d'ailleurs plus motivée par ce lien malsain que par son aventure extraconjugale.
Toute la perversité du récit de Cain réside dans le fait que le lien spécial, en lequel Mildred croit vis-à-vis de Veda, se dissout dans un rapport purement artificiel et matérialiste ; terrible est cette scène où la mère découvre à quel point elle a enfanté un monstre, et combien son indulgence et son dévouement sont méprisés par sa fille à laquelle elle s'est asservie. A part celui d'Ida, l'amie et confidente, aucun personnage n'est épargné dans ce film : Veda pour son individualisme monstrueux, les maris pour leur veulerie, Mildred elle-même pour son affection exclusive au détriment de son autre fille (il faut voir son désintérêt odieux au moment de sa mort et combien cette disparition l'affecte dans sa vie.
Le scénario donne l'impression que tout le monde s'est prostitué par arrivisme. Rude regard porté sur l'Amérique de la relance économique.
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Au titre des qualités il faut également vanter la prestation de Joan Crawford, qui sublime un rôle fort en le dotant de la sensibilité et du caractère nécessaires (facilement un des plus beaux personnages du cinéma US des années 40), mais aussi celle d'Ann Blythe dans un rôle encore plus difficile. On déteste Veda parce que son interprète trouve une forme d'onctuosité écœurante dans le snobisme et l'égoïsme, notamment avec son petit air hautain. Quant à la mise en scène de Curtiz, elle apparaît extrêmement élaborée et inspirée, le réalisateur investissant ses décors avec un grand sens de la lumière et de l'espace - quand il ne s'attarde pas sur les jambes de Crawford ou s'amuse avec des jeux de silhouettes sur les murs. C'est un des plus "beaux" films noirs du point de vue du style.
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Reste que le film me paraît souffrir de quelques défauts.
Un. BUTTERFLY McQUEEN merde !!!! L'actrice la plus insupportable qui ait jamais existé. J'ai des envies de meurtre dès qu'elle parle, avec sa voix grotesque.
La construction en voix-off est ici assez laborieuse, mécanique, même si la nécessité des flash-back est évidente.
J'ai également le sentiment que le film passe un peu à côté de quelque chose avec le personnage de Kay, la fille cadette : si je comprends le cynisme autour de sa disparition (quand même ultra foudroyante, mais passons) et l'attitude je-m'en-foutiste de Mildred, ce n'est quand même pas très crédible que le père s'en foute lui aussi et que cette pauvre Kay ne soit plus jamais évoquée, ni par l'un, ni par l'autre : elle est totalement escamotée alors que du point de vue du scénario, il y avait là matière à mettre tôt ou tard Mildred face à ses préférences odieuses et sa défaillance de mère, la faire culpabiliser quoi. Ça aurait pu créer un parallèle intéressant lorsque Veda a le culot de lui faire payer qu'elle ait été pourrie gâtée ("It's your fault I'm the way I am !"). En outre, je trouve le personnage de Monte Beragon bien faiblard. Là encore, quelque part c'est voulu mais le film aurait sans doute gagné en puissance dramatique si cet homme, pour qui Mildred va se damner, avait été mieux caractérisé et surtout mieux incarné (Zachary Scott, bon voilà quoi... :| il aurait fallu un séducteur salopard de la trempe du Gregory Peck de Duel au soleil).
Et le finale manque peut-être un peu de mordant ; Mildred est passive, abandonne sa fille à son sort, mais cette passivité n'est pas très cohérente avec la psychologie d'une mère qui, si elle a été bafouée, reste quand même une mère.
Voilà, c'est ça !!! Je n'aurais pas su l'écrire mieux. Sauf que la fin à moi ne me paraît pas incohérente. La mère travaille pour pourvoir aux besoins de ses enfants alors que le père s'est absenté/effacé (refusant ses responsabilités), et sa passivité une fois que sa fille est condamnée rend le récit doublement complexe et pose une question : la mère consommait-elle elle aussi l'amour de sa fille, comme un carburant, qui une fois qu'il vient à manquer peut être surpassé froidement ? Est-ce que c'est de ce rapport plus froid qu'il ne veut bien l'admettre que vient le caractère manipulateur de la fille ? (Je vois aussi une sorte de métaphore écologique là-dedans...)
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par innaperfekt_ »

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20 000 Years In Sing Sing (1932)

Grand fan de Angels With Dirty Faces, je me suis essayé à ce Curtiz qui, apparemment, en posait les jalons. C'est globalement beaucoup moins puissant mais j'ai passé un très bon moment. Spencer Tracy fait le job mais tout le film souffre de l'absence de Cagney, avec un rôle qui semblait lui être fait sur mesure. La critique sociale est belle, justement écrite, fidèle à son époque. Finalement, le film est loin de ressembler à un pré-code classique mais ça n'est pas particulièrement gênant. Effectivement, le personnage du directeur de la prison est le vrai héros du film et son interprétation par Byron est sublime. Je retiendrais la scène admirable, tant au niveau du jeu que de la mise en scène, dans l'avancée vers le couloir de la mort du jeune Hype, véritable moment d'exégèse de l'oeuvre de Curtiz ici selon moi. Loin d'être l'ultime long-métrage carcéral, c'est un très bon film. Je me demande si l'autre adaptation de Litvak est aussi bien. Et si Lewis E. Lawes, ancien directeur de Sing Sing qui a écrit le bouquin dont le film est adapté, laissait vraiment sortir les prisonniers sur parole pour revenir après.
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