Capitaine Blood
Errol Flynn, héros charismatique et bondissant, et Olivia de Havilland, gracile, vulnérable, abandonnant le parti des oppresseurs au moins autant par amour que par sens de la justice : un vrai couple de cinéma est né. Que le capitaine Blood soit médecin ne doit évidemment rien au hasard : dans le corps social et politique, le véritable trouble vient de l’usurpateur Jacques II, incarné par Basil Rathborne avec un panache décadent. Jalon du film de flibuste, l’œuvre est un spectacle exotique, virevoltant, plein de rythme et d’humour, imprégné d’expressionnisme européen et marqué de l’esprit des grands romans d’aventures. Difficile d’estimer si Curtiz est un véritable auteur de films, mais impossible de nier qu’il est un cinéaste au sens plein, c’est-à-dire un conteur d’histoires filmées, avec fougue et conviction.
4/6
La charge de la brigade légère
On efface la réalité des faits et on prend les plus larges libertés avec l’histoire, jusqu’à exalter l’iconographie impérialo-militariste et transformer le célèbre (et désastreux) épisode de la guerre de Crimée en acte héroïque se vengeant des sanguinaires exactions sultanistes. Ne pas tiquer pour autant, car Curtiz emballe ce tourbillonnant film d’aventures sabre au clair, en fait un hymne à la bravoure militaire, voire à l’insubordination justifiée. Le quadrillage limpide de l’espace (d’un fort à l’autre, dans un sens, puis dans l’autre), le tempo impeccable d’un récit mené tambour battant, l’harmonieux enchevêtrement des hauts faits, des intrigues diplomatiques et des contrariétés sentimentales assurent une épopée de haute tenue, culminant dans un final épique qui enfonce méchamment les standards de l’époque.
4/6
Les aventures de Robin des bois
Chatoyant Technicolor des débuts, festival de péripéties fougueuses et d’aventures romanesques, morceaux de bravoure impeccablement agencés (du concours de tir à l’arc au célèbre duel final, il y a de quoi se régaler) : le film témoigne d’un certain âge d’or hollywoodien. La vitalité, la truculence, l’irrespect à l’égard du pouvoir, le romantisme narquois, le piment occasionnel de la cruauté, la célébration virile de l’amitié, l’humour des dialogues, les traits nets des personnages, la perfection chorégraphique et contrôlée du montage, des mouvements de caméra, du rythme de la narration sont autant de garants de la jeunesse pérenne de ce classique du genre. Parce que David n’en aura jamais fini de vaincre Goliath, il y a tout à se réjouir d’un tel recours à la fable, à son discours et à son enchantement.
4/6
Les anges aux figures sales
Caractéristique de son époque, dans la pleine mouvance d’un cinéma noir bâtissant ses situations sur le souci et le développement des enjeux sociaux, sur la mise en opposition des schémas moraux, ce film très rythmé et captivant explore l’amitié contrariée mais fidèle entre un prêtre dévoué aux gosses d’une rue sans joie et un ancien délinquant devenu caïd et roi du colt. Inspiré des découvertes de Hawks et Walsh, le style est brillant, nerveux, dynamisé par des compositions géométriques et des éclairages signifiants, toujours au service d’un propos psychologiquement nuancé. Curtiz problématise l’ambigüité du modèle et de la réussite : le sacrifice final de Cagney (prodigieux, comme toujours) s’éprouve avec autant de joie que d’amertume, et entérine l’émotion ayant parcouru tout le récit qui y amène.
5/6
Les conquérants
Simplicité de l’argument et clarté de l’action, perfection du rythme et homogénéité du style. Tout le brio du cinéaste s’exerce dans ce western exemplaire, qui revisite librement la légende de Wyatt Earp et illustre, près d’un quart de siècle avant Ford et son
Liberty Valance, l’instauration d’une société civilisée sous l’égide de la loi, de la démocratie et de la presse. Une fois encore, difficile d’expliquer la plénitude d’un tel cinéma, qui relève d’un équilibre harmonieux entre l’élément romanesque et la fulgurance du geste (avec une homérique bataille de saloon en point d’orgue), entre la vivacité de l’esprit et la limpidité du propos, entre le sobre charisme de l’interprétation (Flynn, Havilland, Cabot, Travers) et l’achèvement technique d’une mise en scène brillant des mille feux du Technicolor. Un bonheur.
5/6
L’aigle des mers
Cinq ans après
Capitaine Blood, le film marque l’accomplissement d’une alchimie volatile semblant résister au passage du temps. L’élan épique dont le récit est porteur se double d’un intérêt romanesque pour tout ce qui relève du secret et de la conspiration. Au centre d’une dialectique de la loyauté et de la révolte, Errol Flynn y compose un héros d’une fidélité absolue envers l’ordre des choses (supposé juste), un rebelle malgré lui, un révolutionnaire dont le but ultime est de restaurer une légitimité provisoirement menacée. Beaucoup de panache, une esthétique très achevée, un rythme toujours trépidant et une plus-value appréciable dans cette exaltation de la liberté, voire de l’anarchie, à l’heure où le conflit mondial s’embrasait, mais sous une forme hautement rhétorique qui ne doit rien au hasard.
5/6
Top 10 Année 1940
La piste de Santa Fé
Au diable la véracité historique des faits pourvu que la fiction y gagne en ferveur dramatique. Loin d’airain du cinéma, particulièrement lorsqu’il est produit par Hollywood et servi par les vedettes de son âge d’or. Autour d’Errol Flynn, fringant officier émoulu de West Point, Ronald Reagan compose un Custer idéaliste et Raymond Massey fait vivre un John Brown fanatique, halluciné, convaincu de mener sa croisade abolitionniste au nom de Dieu. Au sein d’un western alerte et spectaculaire dont les composantes formelles ne sont jamais prises en défaut, ce personnage féroce mû par la plus noble des causes fournit l’assise d’une captivante réflexion sur les excès de tout engagement, de tout combat révolutionnaire, lorsque crépitaient les étincelles qui allaient mettre le feu au brasier de la guerre de sécession.
4/6
La glorieuse parade
La carrière foisonnante du cinéaste, Hongrois d’origine adopté par Hollywood, est également passée par le
musical. En témoigne cette évocation de la vie de George Cohan, auteur de l’hymne des soldats américains pendant la première guerre mondiale, et dont la trajectoire charrie des relents assez redoutables de patriotisme que Curtiz ne cherche pas à freiner. Tourné dans un contexte propice à l’exaltation de puissance et d’unité du pays, le film trouve dans l’énergie du montage et la séduction canaille de son personnage, fanfaron surdoué, héraut du spectacle chanté et dansé, un potentiel de séduction qui ne se réalise que par intermittences. La faute à une structure trop prévisible sur le registre de la biographie hagiographique, malgré la prestation survitaminée et multidisciplinaire de James Cagney.
3/6
Casablanca
Au carrefour du mélodrame exotique, du thriller d’espionnage, du prêche patriotique et de l’histoire d’amour (le merveilleux couple Rick/Ilsa est inscrit dans la légende), Curtiz fait jouer le drame sentimental et psychologique d’un trio dont chacun des protagonistes incarne un mode différent d’engagement (rationnel, amoureux, chevaleresque), et louvoyer l’action au fil d’une intrigue où l’incertitude, le hasard, le mensonge et le bluff règnent en maîtres. Ce romanesque est absolument magique, dispensant une profonde émotion (cristallisée de façon exemplaire lors du chant de la Marseillaise), jusqu'à un final inoubliable : lorsque les amants se quittent sur le tarmac, lorsque le héros, qui cache la noblesse de ses idéaux sous une fausse désinvolture, entérine son amitié tardive avec le flic que l’on croyait à tort opportuniste, la grandeur du film est résumée en quelques secondes.
6/6
Top 10 Année 1942
Le roman de Mildred Pierce
Cet admirable film noir, où se surpasse la crème des techniciens Warner, est un des joyaux de l’âge d’or hollywoodien. Les images ciselées avec un style sans ostentation, la concentration de la moindre scène, le soin porté à la nature des personnages et à leurs relations, la dynamique d’un récit en flash-back éclairant par touches subtiles le mystère inaugural : tout concourt à la perfection du système narratif et formel. Maîtrise sans faille au service d’un propos riche et complexe, qui reflète les ambigüités morales de l’après-guerre et dresse, au travers de ses échecs sentimentaux et de ses sacrifices inutiles, le portrait d’une femme indépendante mais prise au piège de ses ambitions, condamnée, à travers l’amour qu’elle porte à sa fille pimbêche et matérialiste, à d’amères désillusions – Joan Crawford trouve ici l’un des rôles de sa vie.
5/6
Top 10 Année 1945
Boulevard des passions
Après Mildred Pierce, nouveau rôle copieux pour la star Crawford, qui pousse le
women’s picture dans ses derniers retranchements. L’héroïne commence son ascension au plus bas, remonte la pente en épousant un politicien aussi riche que vénal, subit une cinglante opprobre et croise des personnages tous voués à une disgrâce ignominieuse, dont le point commun est une parfaite lucidité dans l’infamie ou le machiavélisme (Greenstreet a la monstruosité d’une tarentule ou d’un crapaud-buffle). Révélant un romanesque aussi éloquent qu’un réquisitoire sur la corruption des institutions, le film dresse le tableau passablement amer d’une société dont les figures de justice, d’ordre et d’autorité se confondent avec le crime organisé. Morale darwinienne de l’histoire : le type honnête se fait toujours dévorer.
4/6
La femme aux chimères
Le livre de Dorothy Baker racontait le destin de Bix Beiderbecke, premier grand jazzman blanc qui mourut alcoolique à l’âge de vingt-huit ans. Malgré les lénifiants adoucissements imposés par la censure de l’époque, cette adaptation dresse le portrait d’un homme adoptant la musique comme langage parce qu’il ne dispose pas d’autres moyens d’expression, et dont la conjugalité avec une intellectuelle narcissique se transforme en enfer. Tous les ingrédients tourmentés du mélo hollywoodien sont donc présents, mais assaisonnés au vinaigre par un cinéaste qui n’a rien perdu ni de l’élégance de sa reconstitution (le New York des nuits profondes et des aubes blêmes) ni de sa faculté à conférer à la vie qui flambe les notes d’une
melancholy rhapsody – bien aidé en cela par un Kirk Douglas transporté.
4/6
Les comancheros
Le dernier ouvrage de Michael Curtiz, officieusement achevé par John Wayne, est un western quelque peu essoufflé qui termine logiquement une carrière où s’est manifesté l’usage de la cape, de l’épée, du colt, de la flèche ou du sabre d’abordage. L’anecdote se réfère à la situation confuse qui régnait au Texas dans les années 1840 et brode, autour du thème traditionnel de l’amitié entre le représentant de l’autorité et le hors-la-loi qu’il doit arrêter, un éventail de variations historiques et psychologiques plus ou moins erratiques. Ni honteux ni vraiment convaincant, dispensant par intermittence un charme vaguement démodé, l’ensemble se suit sans déplaisir mais l’on y sent malheureusement trop souvent la lassitude d’un vieil homme ayant fait beaucoup trop de films pour pouvoir encore y croire tout à fait.
3/6
Mon top :
1.
Casablanca (1942)
2.
Le roman de Mildred Pierce (1945)
3.
Les anges aux figures sales (1938)
4.
L’aigle des mers (1940)
5.
Les conquérants (1939)
Éclatée entre de nombreux genres hollywoodiens, entre l’achèvement éblouissement du classique et les contraintes banalisantes de la commande, l’œuvre de Michael Curtiz est celle d’un artisan reconnaissable entre tous, dont le style impose visuellement des motifs, des compositions, des situations où la cohérence du discours se dégage aisément. Il est sans doute le maître du divertissement romanesque des années trente-quarante, ayant su en intégrer les principes normatifs à un niveau de perfection idéal. Avec lui (et avec Lang, Sirk ou Lubitsch), comme pour venger tant d’autres humiliations, le cinéma des exilés a vaincu son vainqueur.