IL Y A DE L'AMOUR DANS L'AIR (My Dream is Yours)
Réalisation : Michael Curtiz
Avec Doris Day, Jack Carson, Lee Bowman, Adolphe Menjou, Eve Arden, S. Z. Sakall
Scénario : Harry Kurnitz & Dane Lussier
Photographie : Wilfred M. Cline & Ernest Haller
Musique : Harry Warren
Une production Warner Bros.
USA - 101 mn - 1949
Faisant entièrement confiance à sa toute jeune découverte à qui il prédit un avenir brillant dans le cinéma, au vu uniquement des rushes qu’il amasse lors du tournage de son film
Romance on the High Seas (Romance à Rio), Michael Curtiz n’attend pas la sortie de ce dernier pour mettre immédiatement en pré-production
My Dream is Yours dans lequel il offre à Doris Day la possibilité d’agrandir sa palette de jeu. En effet, si le précédent était une pure comédie, un vaudeville loufoque dans lequel la débutante avait à interpréter un rôle à la Betty Hutton ou Judy Holiday,
My Dream is Yours lui permet de s’essayer à des scènes poignantes et dramatiques telles que la séparation d’avec son jeune fils dans un hall d’aéroport, la découverte de la muflerie et de l’égoïsme de son amant, ou à quelques séquences sensibles et touchantes comme par exemple la déclaration de "non amour" à son soupirant le plus entiché lors d’un petit déjeuner.
C’est à partir de ce film que l’on découvre la déconcertante facilité de cette ex-chanteuse de Big Bang à passer de la comédie au drame, n’ayant jamais à forcer la note pour arriver à simultanément nous faire rire ou pleurer. Pour l’y aider, sa voix suave fait une fois encore des miracles et, dès sa première apparition dans le désormais célèbre et swinguant
Canadian Capers, elle met tout le monde d’accord : dans son registre, aidée par ses sobres déhanchements, ses mouvements de mains et son regard à la fois pétillant et attendrissant, elle est unique ! S’ensuivront les magnifiques ballades que constituent
My Dream is Yours,
I’ll String Along With You ou les morceaux plus "remuants" tel le pétillant
Tic, Tic, Tic ou le swinguant et jazzy
Someone Like You. Le public ne s’y trompera pas et, non content de voir se confirmer le talent d’une chanteuse inimitable, tombera amoureux de cette actrice aussi naturelle, enjouée, chaleureuse et sympathique : il lui fera une véritable ovation et le succès sera au rendez-vous une deuxième fois.
My Dream is Yours est le remake de
Twenty Million Sweethearts (1934) de Ray Enright avec Dick Powell en tête d'affiche. Le film, qui raconte l’histoire d’une modeste vendeuse de disques (Doris Day) chez qui le "chasseur de têtes" d'une célèbre radio (Jack Carson) a décelé de réelles aptitudes de chanteuse et qui va tenter de lui faire remplacer la star actuelle (Lee Bowman) de son émission souhaitant le quitter faute d’un contrat pas assez juteux à son goût, reflète quelques éléments biographiques de l’actrice. Si son parcours professionnel avait été moins laborieux que dans le film, sa vie privée avait été sacrément mouvementée et ses problèmes de couple, assez violents (dans un accès de folie, son époux la menace d’un pistolet alors qu’elle était enceinte…), inspireront même le
New York, New York de Scorsese ; ce dernier avouera dans une interview donnée en 1995 pour la BBC que ce deuxième film de Michael Curtiz avec Doris Day aura été une des influences principales pour son film. Doris Day avait à l'époque déjà été mariée deux fois et avait eu un fils à 17 ans dont elle s’occupait sans l’aide de personne. Dans le film, elle est veuve de guerre et doit s’occuper seule de son petit garçon qu’elle doit provisoirement "abandonner" pour tenter de trouver pour eux deux une meilleure vie ailleurs. L’on trouve aussi un petit côté
A Star is Born dans l’ascension de cette femme, parallèlement au déclin du chanteur qu’elle aime mais dont elle doit prendre la place, ce dernier sombrant dans l’alcoolisme.
Cependant attention,
My Dream is Yours est bien plus frivole et, hormis les quelques passages émouvants déjà cités, se révèle une comédie musicale légère et sans prétentions contrairement au chef-d’œuvre de Cukor. Autour de Doris Day gravite un casting des plus sympathiques : un Jack Carson plein de bonhomie, une Eve Arden réjouissante et bougrement attachante, un S.Z. Zakall fournissant la touche comique, un élégant Adolphe Menjou en fin de carrière et un Lee Bowmn jouant parfaitement l’hypocrisie, l’arrogance, l’ingratitude et l’égoïsme. Michael Curtiz dirige parfaitement ses comédiens, signe une mise en scène sans génie mais très carrée, les décors et costumes sont magnifiés par un formidable Technicolor, et la musique est excellente. Après, pour pleinement apprécier le spectacle, il faut ne pas être trop exigeant envers une intrigue conventionnelle et bourrée de clichés, pardonner le coup de mou du scénario dans son dernier quart, et pouvoir supporter
Freddy Get Ready, un numéro de Fritz Freleng plutôt moyen mélangeant animation (Bugs Bunny et Titi) et personnages réels et dans lequel la transcription de la deuxième rhapsodie hongroise de Liszt devrait agacer les oreilles de certains mélomanes. Les fans de Doris Day, en revanche, apprécieront d'autant que, contrairement à son premier film, la beauté naturelle de son visage est bien mieux mise en valeur ici. Michael Curtiz la dirigera une troisième fois, aux côtés de Kirk Douglas et de Lauren Bacall, dans
Young Man with a Horn l’année suivante… La Warner avait, au bout de tant d'années de recherche, trouvé sa star maison en ce qui concerne le film musical et pouvait désormais rivaliser avec la RKO (Ginger Rogers), la MGM (Judy Garland, Jane Powell...) ou la Fox (Betty Grable, Alice Faye...). Contrairement à ce que certaines mauvaises langues avaient annoncés, le succès de l'actrice dans son premier film n'aura pas été un One Shot : A Star is Born.
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ROMANCE A RIO (Romance on the High Seas)
Réalisation : Michael Curtiz
Avec Doris Day, Jack Carson, Janis Paige, Don DeFore, Oscar Levant, S. Z. Sakall, Eric Blore
Scénario : Julius J. Epstein, Philip G. Epstein & I.A.L. Diamond
Photographie : Elwood Bredell
Musique : Ray Heindorf & Oscar Levant
Une production Warner Bros.
USA - 98 mn - 1948
Un couple de riches américains. La femme (Janis Paige) soupçonne son mari (Don DeFore) de la tromper avec sa nouvelle secrétaire (qui ne sait taper à la machine qu'avec un seul doigt) ! Elle décide de faire croire à son époux qu'elle part en voyage pour mieux pouvoir le surveiller alors qu'il se croira libre et seul. De son côté, le mari émet des doutes quant à la fidélité de sa femme, ayant du mal à croire qu'elle part en croisière sans se faire accompagner. Il engage un détective (Jack Carson) pour la surveiller à bord du paquebot. Mais ce n'est évidemment pas cette dernière qui va partir mais une chanteuse (Doris Day) à qui elle a demandé contre rétribution financière de prendre sa place et d'endosser son identité au cas où son mari demanderait de ses nouvelles. Le détective va tomber amoureux de celle qu'il est chargé d'espionner. A bord du bateau, on croisera un médecin hypocondriaque, l'amoureux éperdu de la chanteuse (Oscar Levant) jaloux du détective...
Un sacré imbroglio qui amène son lot de quiproquos et se terminant dans un hôtel à Rio où tous les personnages se retrouvent mais n'y comprennent rien au sac de nœuds qu'ils ont mis en place sans le savoir. Un vaudeville romanesque bougrement amusant pour les spectateurs et sacrément plaisant notamment pour tous les amoureux de Doris Day qui pouvaient à cette occasion la découvrir pour la première fois à l'écran. Comme elle l'avouait elle-même, la naturel lui allant mieux que n'importe quel maquillage, elle ne s'appréciait guère dans ses premiers films, trop fardée et affublée de coiffures qui ne la mettaient pas franchement en valeur ("
I looked pancaked with makeup and had horrendous hair"). Mais ce petit bout de femme démontrait dès son entrée dans le monde du cinéma un enthousiasme débordant, une vitalité étonnante et un naturel confondant. Dans le rôle de cette chanteuse au langage peu châtiée mais qui doit pourtant se faire passer pour une bourgeoise, elle s'avère épatante.
En 1947, la Warner réussit à obtenir l’accord de la MGM de pouvoir lui "emprunter" Judy Garland pour jouer dans la comédie musicale qu’elle met en chantier et qui sera dirigée par Michael Curtiz. Mais l’actrice, pour raisons personnelles, ne peut se rendre libre. Betty Hutton, qui doit alors la remplacer, tombe enceinte. Grâce à ces deux désistements de dernière minute, Doris Day peut ainsi à 23 ans, alors qu’elle n’y croyait plus, entamer une carrière au cinéma. A cette époque, déjà célèbre dans le domaine musical avec un succès comme
Sentimental Journey, ayant déjà travaillé avec non moins que Bob Hope ou Frank Sinatra, sa vie privée mouvementée va en périclitant, s'apprêtant à divorcer pour la deuxième fois. Elle se prépare à retourner à Cincinatti, sa ville natale, quand on la persuade de faire des essais pour le rôle de Georgia Garrett dans le nouveau film de l’auteur de
Captain Blood,
Robin Hood et
Casablanca. Ce sont les compositeurs des chansons de
Romance à Rio, Jules Styne et Sammy Cahn, qui lui demandent de venir passer une audition devant lui après l’avoir entendue chanter lors d’une soirée à Hollywood. Le réalisateur hongrois tombe immédiatement sous le charme ; au final, pour sa première apparition au cinéma, elle se retrouve immédiatement en haut de l’affiche avec le rôle principal ! Premier essai transformé et même plébiscité puisqu’elle ne déçoit ni ses fans, ni les critiques pour la plupart enthousiastes, ni les spectateurs qui ne la connaissaient pas, se révélant au contraire, sans avoir l’air de se forcer, être d’un naturel confondant derrière la caméra. Le célèbre réalisateur la rassura d’ailleurs à ce propos, après qu’elle eut demandé à avoir une formation d’art dramatique, n’ayant que peu confiance en elle, en lui rétorquant : «
No, no. You're a natural just as you are - if you learn how to act, you'll ruin everything. You have a natural thing there in you, should no one ever disturb. You listen to me Doris. Is very rare thing. Do not disturb. » Et effectivement, même si elle demeure relativement mésestimée en France, son talent de chanteuse et d’actrice saute aux yeux dans chacun de ses films, même mineurs, et ce dès
Romance on the High Seas. Instantanément, elle devint une star du grand écran tout en continuant sa carrière de chanteuse aux multiples hits (la chanson
It’s Magic tiré du film sera un succès sans précédent).
Le scénario de ce Musical n’a pour but que de divertir ; il se rapproche des intrigues vaudevillesques que l’on donnait déjà au duo Astaire-Rogers pour la RKO. Mais là où ces dernières ne brillaient pas particulièrement par leur drôlerie, celui de
Romance à Rio n’en est pas dépourvue. Il faut dire que le trio de scénaristes est composé des frères Epstein, déjà à l’origine du fameux
Casablanca et de I.A.L. Diamond, auteur de
Chérie, je me sens rajeunir de Hawks puis comparse attitré de Billy Wilder dès la fin des années 50 et pour qui il a écrit, excusez du peu,
Certains l’aiment chaud,
La Garçonnière,
Un, deux, trois,
Irma la Douce,
Embrasse-moi idiot,
La Grande combine,
La Vie privée de Sherlock Holmes… Bref, inutile de vous faire un dessin ; vous devriez me croire sans peine si je vous dis que les dialogues du film sont pétillants et que les quiproquos sont croustillants. Ponctué de numéros musicaux, la plupart d’entre eux chantés merveilleusement bien par Doris Day (le magnifique
It's You or No One, le swinguant
Put 'Em in a Box qu’elle interprète avec Le Page Cavanaugh Trio, sans oublier le ‘tubesque’
It’s Magic qui a rendu jalouse Judy Garland, et bien d’autres), l’intrigue n’en est pas moins sans réelles surprises mais remarquablement bien menée… Et surtout, Michael Curtiz n’avait pas encore à l’époque perdu la main et sa mise en scène se révèle ici toujours aussi élégante, ses mouvements de caméra toujours aussi fluides : il n’y a qu’à admirer les plans séquences du passage cubain
The Tourist Trade ou le final "des ballons" (réglé par l’immense Busby Berkeley) pour s’en rendre compte. Le Technicolor est rutilant, les costumes sont splendides et les seconds rôles s’en donnent à cœur joie, mention spéciale à l’apparition d’Eric Blore (déjà faire valoir de Fred Astaire à la RKO) en médecin hypocondriaque, se sentant devenir malade à chaque auscultation d’un nouveau client. Le partenaire de Doris Day est Jack Carson qui sera surtout connu pour son rôle ingrat dans
A Star is Born de Cukor. Ils formeront un couple encore à plusieurs reprises. Mais évidemment, le clou du film est la toute jeune actrice, amoureusement filmée par son "découvreur" et qui dévore littéralement l’écran. Fraîche, charmante, dynamique, délicieuse et pétillante dès son entrée dans le septième art, elle nous révèle par la même occasion un sacré tempérament comique.
Romance à Rio, une comédie franchement amusante.