Tarantino, ou la dichotomie la plus foudroyante de mon expérience de spectateur.
1.
Jackie Brown
Son plus beau film, parce que le plus sentimental, le plus romanesque, le plus proche et le plus attaché à ses personnages. Sublime portrait de femme à la croisée des chemins, chant d'amour aux figures vieillissantes : il y a, dans ce trésor de polar aux accents bluesy et nostalgiques une étoffe émotionnelle qui me bouleverse, sans que Tarantino n'abdique rien de ce qui a fait son talent (la maîtrise impériale du récit, les plages du dialogues-nectar, etc...). En un mot, tout ce que le cinéaste abandonnera au dernier degré dans ses films suivants.
2.
Pulp fiction
3.
Reservoir dogs
Après ce trio idéal, proche de la perfection, il y a un fossé, que dis-je, un gouffre, avant d'arriver aux 3 suivants (
Kill Bill,
Boulevard de la mort,
Inglourious basterds), que je ne veux même pas classer, parce qu'ils se valent tous à mes yeux. Non dans leur nullité (Dieu sait qu'ils sont loin d'être nuls et affichent de nombreuses et immenses qualités, ce qui achève de me dépiter) mais dans ce qu'ils illustrent parfaitement tout ce qui me déplaît et que je fuis au cinéma. Voire pire : certains aspects d'entre eux me répulsent, je les trouve carrément gerbants. Le plus déstabilisant, ce que je suis capable de ressentir devant de nombreux passages de ces trois films un immense plaisir (par ex, la scène de la taverne, dans IB, est succulente, grandiose).
Pour résumer, je dirais qu'à travers ces trois films, Tarantino semble s'éloigner le plus possible ce que je recherche avant tout au cinéma : l'affect, le sentiment, la sensibilité humaine. Aussi bien écrits soient-ils, ses personnages ne sont que des figures superficielles, marionnettes souvent jubilatoires de sa mécanique virtuose du dialogue. Selon moi, Tarantino abdique la moindre parcelle de ce qui fait du cinéma un art essentiel à mes yeux : le miroir de l'expérience humaine et de notre rapport au monde, aux êtres. Désolé si ce que je dis là semble pompeux.
Enfin, il y a quelque chose qui fait plus que me déplaire dans ces 3 derniers Tarantino, qui me débecte, me donne la nausée comme presque aucun autre cinéaste ne le fait. C'est son approche extrêmement complaisante des mécanismes de la vengeance et du sadisme. J'éprouve une haine viscérale pour cette
connasse d'héroïne sadique de
Kill Bill, qui ne pense qu'à trucider tout ce qui bouge. La logique de la loi du Talion et du nivellement par le bas des héroïnes de la deuxième partie de
Death Proof m'horripile : envisager la revanche du genre féminin sur l'ordre masculin sur la base viciée d'un virilisme intériorisé comme légitime par les dominées (au tour des femmes de vouloir "enculer" cette "salope" de Stuntman Mike !) renforce la position viriliste - et donc sexiste - dominante. Enfin, le chapitre 2 et le gros plan impardonnable sur la blessure infligée à Landa à la fin d'
Inglourious basterds me font proprement gerber. Que les choses soient claires : je ne nie pas l'existence du sentiment de vengeance ou la réalité de la violence dans notre monde, bien au contraire. Simplement, je trouve profondément irresponsable l'attitude de cinéaste de QT qui, de toute évidence, cherche à les exalter et à attiser notre plaisir en nous faisant jouir de leur spectacle. Je trouve ça gerbant. Et ça alors même - je le sais, inutile de me le faire valoir - que ses films se situent d'emblée dans un espace filmique ouvertement irréaliste, outrancier, sans aucune résonnance morale.
Désormais c'est terminé, j'abandonne, il faudra me payer cher pour m'emmener voir un nouveau Tarantino.
J'attends désormais sereinement ma crucifixion.