The Battle of the River Plata – La bataille du Rio de la Plata (1956)
Ce film est l’un des derniers de la collaboration Powell / Pressburger. Dans ses mémoires, Michael Powell parle avec plaisir des souvenirs qu’il a du tournage de ce film et se félicite du scénario "viril" construit par Emeric Pressburger. Mais on sent aussi, quand il parle d’autres scénarios qui n’aboutiront pas à des films, un certain agacement vis-à-vis de son camarade, comme si une trop longue collaboration finissait par aigrir leur relation. C’est seul que Michael Powell finira par réaliser son prochain chef d’œuvre,
Peeping Tom – Le voyeur (1960).
C’est en lisant le second tome des mémoires de Michael Powell, Million dollar Movie, que j’ai trouvé la curiosité de voir ce film, qui a été édité en DVD l’an dernier avec une copie restaurée et 16/9, alors qu’il a plutôt mauvaise réputation. Powell, en effet, en parle longuement. Il souhaitait, comme Emeric Pressburger, travailler sur une fresque navale et le choix d’évoquer cette glorieuse première victoire de la marine britannique, au début de la seconde guerre mondiale, en décembre 1939, lui permis de s’assurer la pleine collaboration de l’Amirauté. Reçu par le président Peron en Argentine, il put aussi en profiter pour découvrir cette région et se gaver de la meilleure viande du monde. Powell et Pressburger ont préparé le scénario avec soin, notamment en visitant tous les commandants des différents navires impliqués durant cette bataille.
Dès les premières images, on est au moins rassuré sur un point : il n’existe pas de mauvais film britannique sur la Marine. Le sujet est abordé avec le sérieux de mise dans ce pays quand on parle de mer : les bateaux sont crédités au générique un par un (le HMS Jamaica dans le rôle du HMS Exeter), quand on parle d’un navire, on dit « she » et pas « it » comme chez les américains, et on ne sort le gin qu’une fois le soleil passé au dessus de la grande vergue. Blague à part, la première partie du film intéressera surtout les inconditionnels du genre mais la réalisation, quoique plus sévère qu’originale, est irréprochable.
La bataille du Rio de la Plata, évènement historique majeur des débuts du conflit et fidèlement reconstitué dans ce film, est le combat qui eut lieu entre le cuirassier allemand Admiral Graaf Spee et trois navires de la marine britannique, le croiseur lourd HMS Exeter et les croiseurs légers HMS Ajax et HMNZS Achilles (celui-ci est un navire du Commonwealth, néo-zélandais). Le Graaf Spee était un navire allemand très moderne, particulièrement rapide et doté d’une impressionnante puissance de feu. Il se trouvait dans l’Atlantique sud et, dès l’entrée en guerre de l’Angleterre le 3 septembre 1939, son commandant, le capitaine de frégate Hans Langdorff (Peter Finch), reçut l’ordre de couler un maximum de navires marchands britanniques. Pendant près de trois mois, le Graaf Spee fit un véritable carnage dans les eaux de l’Océan indien et de l’Atlantique sud.
Un responsable de la flotte alliée dans la région, le commodore Hartwood (Anthony Quayle), calcula que le Graaf Spee arrivait au bout d’une tournée en mer de trois mois, qu’il allait devoir revenir en Allemagne et qu’il était très probable qu’avant de remonter dans l’Atlantique nord, il passe par l’embouchure du Rio de la Plata, entre l’Argentine et l’Uruguay, zone dans laquelle croisaient de très nombreux navires marchands britanniques.
La première partie du film nous présente les différents navires impliqués et les protagonistes de la bataille. Le commandant Langdorff n’est pas campé en nazi, mais présenté comme un compétent et audacieux officier allemand (il est d’ailleurs le seul de son bord à saluer militairement et non le bras tendu) qui fraternise volontiers avec les officiers britanniques prisonniers à son bord. Plusieurs manœuvres du navire sont détaillées, notamment la façon dont le navire était ravitaillé en mer, point d’une importance capitale dans les pérégrinations d’un chasseur solitaire comme le Graaf Spee.
Le second tiers du film présente la bataille elle-même. Si Powell a eu l’autorisation de filmer à bord des navires, il n’a malheureusement pas eu celle de pouvoir les faire pilonner. Les scènes de carnage à bord des bateaux sentent un peu trop le studio et, cette fois, les moyens sont franchement limités. Mais ce que Powell et Pressburger ne peuvent mettre en moyens, ils l’ont donné dans la précision des manœuvres et la véracité des réactions aux différents évènements de la bataille. On sait exactement ce qui se produit, pourquoi et la réaction qui est mise en œuvre. Sur ce plan, le film est très agréable à suivre.
Il faut bien avouer cependant que dans tout cela, on ne sent guère la particularité de la patte Powell / Pressburger. Les deux premiers tiers du film ne satisferont que les amateurs du genre. La fin de cet épisode historique, en revanche, est assez originale et on retrouve d’un coup l’humour et le talent des deux compères, dès lors que le Graaf Spee, gravement touché, se réfugie dans le port neutre de Montevideo, capitale de l’Uruguay. L’Uruguay était un pays neutre et devait respecter les conventions internationales. Le Graaf Spee doit donc débarquer tous ses prisonniers, ne peut effectuer que des réparations ne touchant pas à l’armement du navire, et doit quitter le port au bout de 48 heures. 48 heures qui deviendront 72 heures au cours de négociations diplomatiques entre les anglais, les français et les allemands auprès du chef de gouvernement uruguayen, dont nous n’ignorerons rien.
Dès que le Graaf Spee aborde le port de Montevideo, une séquence très dynamique fait alterner les publicités lumineuses des hôtels, restaurants et boîtes de nuit de la ville. On sent effectivement que Michael Powell a apprécié l’endroit. La séquence se termine dans un bar typique et le film prend un caractère amusant et primesautier très différent de ce que nous avions eu auparavant. Le film conserve cependant son unité sur un point : la précision des faits. Nous voyons les ambassadeurs des différents pays se succéder auprès du chef de gouvernement d’un petit pays, qui devient soudainement le centre de l’attention du monde.
Powell utilise la culture uruguayenne gaucho et la chaleur de caractère régionale pour dynamiser son film, sans pour autant caricaturer le pays où il tourne. Il en reste au niveau de l’étonnement d’un touriste qui découvre un nouveau pays et c’est assez amusant. A la limite, le seul étranger ridicule, dans le film, c’est l’ambassadeur français qui fait plus penser à un représentant de la maison Pernod qu’à un diplomate.
On trouve aussi des décors typiquement powelliens, comme la pièce avec son bric-à-brac, dans laquelle deux espions britanniques surveillent le Graaf Spee, où le ciel de décor nocturne sous lequel un aviateur dans son hydravion, observe le navire quittant le port. Le commandant Langdorff, coincé par le blocus des navires britanniques et contraint à devoir partir, recevra l’ordre de se saborder au milieu de l’embouchure du Rio de la Plata. L’équipage rejoindra l’Argentine et lui se suicidera le lendemain matin.
On pourra aussi apprécier l’élégance et la légèreté avec laquelle Powell et Pressburger parviennent à faire de cette aventure une discrète allégorie de la surpuissance allemande au début de la guerre, et de son isolement à la fin. La bataille du Rio de la Plata n’est pas un chef d’œuvre, mais c’est un bon film de mer, un film digne de la filmographie des deux complices, bref, un film intelligent qui devrait plaire aux amateurs.