Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-1988)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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cinephage
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par cinephage »

En gros, c'est un bon film sauf pour la musique... :mrgreen:

Il s'agit quand même d'illustrer visuellement un opéra, qui est la source de l'émotion, des enjeux dramatiques que tu n'as pas trouvés ici. C'est dommage, mais le film reste visuellement ébouriffant (et musicalement pas mal, si on aime :wink: ).
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Demi-Lune
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par Demi-Lune »

cinephage a écrit :Il s'agit quand même d'illustrer visuellement un opéra, qui est la source de l'émotion, des enjeux dramatiques
Bien sûr. Mais il y a des opéras qui sont plus émouvants que celui-ci. Mais bon, de ce côté-là, j'en suis resté à Verdi, Puccini et plus encore Wagner.
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par AtCloseRange »

Cette fois, je vais être d'accord avec Demi-Lune sur la musique :mrgreen:
Mais j'ai même laissé tomber le film très rapidement tellement je suis insensible (c'est un euphémisme) à cette partition - je crois d'ailleurs pouvoir étendre ça à tout le genre.
J'aurais dû le regarder sans le son sans doute...
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par Gounou »

AtCloseRange a écrit :Cette fois, je vais être d'accord avec Demi-Lune sur la musique :mrgreen:
Mais j'ai même laissé tomber le film très rapidement tellement je suis insensible (c'est un euphémisme) à cette partition - je crois d'ailleurs pouvoir étendre ça à tout le genre.
J'aurais dû le regarder sans le son sans doute...
Ok, donc la lapidation aujourd'hui, c'est pour toi... pas d'objection j'espère ?
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par AtCloseRange »

Gounou a écrit :
AtCloseRange a écrit :Cette fois, je vais être d'accord avec Demi-Lune sur la musique :mrgreen:
Mais j'ai même laissé tomber le film très rapidement tellement je suis insensible (c'est un euphémisme) à cette partition - je crois d'ailleurs pouvoir étendre ça à tout le genre.
J'aurais dû le regarder sans le son sans doute...
Ok, donc la lapidation aujourd'hui, c'est pour toi... pas d'objection j'espère ?
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par allen john »

A matter of life and death (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1946)

Rebaptisé de façon explicite Stairway to heaven, en référence à cet escalier visible qui mène au paradis, ou par lequel on en revient, A matter of life and death est le plus extravagant des films des annnées 40 signés par le duo des Archers (Powell & Pressburger), si ce n'est de toute la filmographie mondiale. Concernant le cas d'un pilote d'avion qui a sauté sans parachute de son avion en flammes, mais a été sauvé par l'amour, il montre le combat, dans l'au-delà, entre ceux qui souhaitent que le jeune homme aille au bout de sa mort, et ceux qui souhaitent que Peter Carter au contraire, puisse bénéficier de sa vie, et filer le parfait amour avec la jeune femme dont il est amoureux. Le film divise nécessairement, même si de plus en plus de gens, désormais familiers de l'univers si particulier des deux auteurs, y succombent désormais sans réserves. En plus de sa singularité, le film est aussi remarquable pour son utilisation de la couleur, unique en son genre, et son étrange situation, né d'un projet de propagande, à un moment ou la Grande-Bretagne se découvrait soudain "envahie" par un grand nombre d'Américains, il fallait pouvoir rappeler la possibilité de cohabiter. C'est le sens du "procès" de Peter Carter, au paradis, qui occupe le dernier acte du film. Le procureur choisi par les responsables du Paradis est un Américain mort en 1775, qui va devoir déterminer si Peter Carter n'est qu'un Anglais de plus, un homme qui va participer à sa façon à la longue tradition criminelle et colonisatrice des Anglais vis-à-vis des Etats-Unis, ou s'il faut le laisser vivre car il n'est pas responsable des péchés de ses ancêtres...

Le film commence par un prologue inattendu, qui situe de fait le film dans un monde à part: une voix off commente la vision de galaxies, d'étoiles, avant de nous entrainer à le suivre vers la terre. Une vision de l'Europe, sous un épais brouillard, montre les ravages de la guerre, avant qu'on ne se trouve face à un avion en perdition. Le pilote Peter Carter (David Niven), dernier survivant, annonce à qui peut l'entendre à la radio qu'il va se sacrifier, n'ayant rien d'autre à faire que de bruler avec son avion. Il a près de lui le corps de son meilleur ami, mort peu de temps auparavant, et il n'a pas de parachute, ayant préféré laisser ses hommes sauter à sa place. La conversation solennelle prend un tournant particulier lorsqu'il s'établit un lien très fort entre Carter et la jeune femme à l'autre bout du film, June (Kim Hunter), une WAAC Américaine: ils viennent de tomber amoureux l'un de l'autre, et la conversation se finit sur des adieux... Puis on assiste au "réveil" de Carter, sur une plage immense. Il réalise bien vite après un peu de confusion qu'il n'est pas mort, contre toute attente... Pendant ce temps, dans l'au-delà, son ami l'attend. Mais Carter rencontre June sur la plage, et va tout faire pour rester en vie.

La forme fantastique du film va permettre à Powell de jouer avec les images de multiples façons. Si peu d'éléments du film nous permettent de conclure que cette histoire de paradis est réelle ou imaginée par Peter Carter dont le cerveau est temporairement dérangé, les cinéastes brouillent de toute façon les cartes... Et le passage du Technicolor au Noir et blanc, et réciproquement, est l'un des moyens utilisés par Powell pour montrer l'intrusion du Paradis dans le monde réel; le principal "passeur" de ce changement est Marius Göring, qui jour un Français guillotiné durant la révolution, un peu précieux et doté d'un certain esprit. Son rôle est de ramener des morts vers la Paradis, mais il admet avoir "raté" Peter Carter "à cause du brouillard"... La scène durant laquelle il regarde une rose en noir et blanc au Paradis, qui se pare soudain de couleurs vives est admirable, un raccourci superbe pour permettre un passage facile d'un monde à l'autre. Incidemment, le personnage fait une remarque qui ajoute un petit grain de sel: "Voilà ce qui manque à mon monde, le Technicolor"! Un hommage qui ne manque pas de prix de la part d'un cinéaste qui maitrise de façon impressionnante la technique de la couleur... D'autre part, les intrusions du passeur dans la vie de Peter sont marquées par un arrêt brutal du temps, comme lors de cette scène durant laquelle June et le docteur Reeves, son ami, sont tout à coup figés lors de leur partie de tennis de table... Sous les yeux un peu ébahis de Peter Carter qui lui continue à bouger et deviser avec son "conducteur"...

Le docteur Reeves n'est en rien un personnage anodin: c'est lui que June et Peter consultent pour déterminer si le soldat a oui ou non un problème de santé qui expliquerait ses hallucinations, ou s'il est bel et bien passé à coté de sa mort. Joué par Roger Livesey, le formidable acteur à la magnifique voir sensuelle et charnelle de Colonel Blimp et I know where I'm going, Reeves complète avantageusement Peter Carter, soldat très britannique que son flegme risque d'identifier aux yeux de ses juges au cours de son extraordinaire procès dans l'au-delà, à l'archétype de l'ennemi Anglais; Reeves est un bon vivant, scientifique épris de vitesse, curieux de tout, et qui s'est construit une camera obscura dans son pigeonnier plus pour veiller sur ses semblables que pour les surveiller. Il a un certain sens du sacrifice qui va être mis à profit lors de l'intrigue, mais est aussi épris de vitesse, de sensations et de sport: il tend à conduire une moto de façon un peu trop spectaculaire, ce qui lui sera fatal. Surtout, il a l'esprit ouvert: il sait reconnaitre les défauts passé de son peuple, mais s'ouvre à l'Amérique, par le biais de son amie June, mais aussi parce qu'il sait que les deux peuples doivent fonctionner ensemble. C'est tout le sens de son intervention au procès "Paradisiaque" de son ami Peter Carter. La dernière partie du film, qui voit reléguer Carter et June au second plan, est d'ailleurs une confrontation entre Reeves-Livesey, qui défend l'idée de laisser vivre le solat Carter, et Raymond Massey en Abraham Farlan, procureur mu par sa haine des Anglais... C'est un combat d'idées, dont sont témoins des milliers de soldats et autres personnes morts, des Anglais, des Américains, des Indiens, des Irlandais, Australiens...

On peut penser que David Niven (Carter) et Kim Hunter (June) disparaissent un peu trop facilement derrière le choc de titans représenté par le "duel" Livesey-Massey. peu importe: avec son style personnel, léger et si Britannique, Niven joue de son capital de sympathie, tout en donnat corps à l'instinct anti-Anglais des Américains présents dans le film, et la jeune Kim Hunter est parfaite en volontaire un peu dépassée par les évènements, mais motivée par un amour soudain, et qu'elle identifie comme franchement surnaturel. On voit aussi dans le film la formidable Kathleen Byron, qui reviendrait dans le film suivant de Powell et Pressburger, Black Narcissus, ainsi que dans le trop méconnu The small black room. Elle est ici un ange bien particulier, dont le rôle est d'accueilllir les nouveaux arrivants dans un Paradis très administratif, mais dont les cinéastes ont pris le parti de faire un endroit qui n'est en rien une caricature: juste une allégorie... et le choix d'inverser le parti-pris des couleurs de The Wizard of Oz (Ici, c'est le monde fantastique qui est en noir et blanc), permet aux metteurs en scène d'indiquer le prix de la vie, pour Peter Carter, comme pour n'importe qui d'autre.

Ce film est unique non seulement dans la thématique particulière de l'intrigue mais aussi parmi les films de propagande de l'époque. Powell d'ailleurs cède à une tentation qui est presque une provocation: dans un film qui entend plaider pour l'amitié nécessaire entre Américains et Anglais, il ne se prive pas de sortir des placards les gros clichés sur les Américains, qui se comportent comme des Vikings au Paradis, et qui sont terriblement intolérants lors du procès. Mais le film atteint deux buts, par les moyens extravagants que les cinéastes se sont fixés: le message passe de manière claire, et on a ici une histoire d'amour excentrique, unique en son genre, et à laquelle on revient fréquemment. Ce n'est peut-être pas le meilleur film des Archers (quoique ça se discute), mais c'est l'un des plus attachants...

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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par daniel gregg »

Peut être en effet mon film préféré des Archers, s'il fallait en désigner un.
Un véritable enchantement. 8)
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par Alligator »

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The Fire Raisers (Les incendiaires) (Michael Powell, 1934)

J'avais de grandes appréhensions à l'égard de ce film, échaudé par le dernier film de Michael Powell que j'avais vu, datant de cette époque et doté d'à peu près la même distribution, "Red ensign", qui m'avait paru inintéressant au possible. Je craignais donc qu'avec cette immersion dans le milieu des arnaqueurs d'assurance aux incendies me vienne la même envie de me tailler les veines que celle qui m'avait chatouillé le cervelet devant l'histoire de la marine marchande britannique. Oh my god!

Or, à ma grande surprise, il n'en fut rien. Certes, je n'irais pas jusqu'à comparer ce petit film aux grandioses et subjugantes productions des Archers, mais cette réalisation de Powell n'est pas dénuée d'un certain charme, en raison essentiellement d'un rythme plutôt vif, joliment alerte et d'un suspense sacrément maitrisé.

Par bien des aspects, vers la fin, on serait même tenté de songer à certaines productions anglaises d'Hitchcock. Le personnage perfide joué par Francis L. Sullivan par exemple rappelle bien quelques maléfiques trognes mises en image par le maitre du suspense. De même, la façon dont Powell filme la scène d'interrogatoire, par le montage et les prises de vue sur les mines patibulaires des gangsters, ne peut manquer de donner une teinte "thriller" à ces bas-fonds.

Jusque là, le film ressemblait plus à du Powell, avec sa propension à bien décrire le monde dans lequel les personnages évoluent, les délicats écheveaux relationnels qu'ils ont noué entre eux. Tout est charmant de délicatesse et d'humour.

Les femmes sont parfois d'une force et d'une modernité ravissantes. A ce titre, Carol Goodner en offre une illustration puissante, une femme forte et émouvante. Dans le même ordre d'idée, le jeu de Lawrence Anderson est enjoué, inventif et donc d'un modernisme réjouissant que Powell peut s'enorgueillir d'avoir su mettre en valeur, et ce, à plusieurs reprises dans bon nombre de ses comédies tout le long de sa carrière. On ne dira jamais assez combien Michael Powell est un formidable directeur d'acteurs.

Je suis une nouvelle fois un peu circonspect vis à vis de Leslie Banks. Le complexe qu'il nourrit manifestement par rapport à son infirmité faciale due à une paralysie ou une blessure disgracieuse qu'il a hérité du premier conflit mondial, l'oblige à afficher toujours le même profil et donc une raideur un peu trop visible à mon goût. Plus encore, il a été jusqu'à concevoir une ou deux scènes ineptes, notamment celle où il se tourne sur sa gauche pour parler à une femme... qui se trouve sur sa droite. La recherche systématique de camouflage de sa blessure le contraint à être continuellement tourné vers cette "gauche" figée, artifice peu convaincant, ou bien à mettre sa main sur son œil quand il est censé être plongé dans une réflexion profonde. Bref, tout ceci aboutit à une posture très étrange, anti-naturelle au plus haut point qui dérange à la longue. Chose étonnante, l'auto-biographie de Michael Powell ne fait nulle mention de ces contorsions scéniques un poil ridicules, alors que c'est, me semble-t-il, un cas de figure très rare, pour ne pas dire unique.
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par allen john »

The life and death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)

1943: nous assistons à tout un remue-ménage, avec des soldats Britanniques en pleine agitation, qui se dépèchent d'aller à Londres en camion et envahissent les bains publics ou se prélassent des officiers d'un autre siècle. Ils se saisissent en particulier d'un homme, le Brigadier-Général Clive Wynne-Candy, à la bedaine intraitable avec une moustache de morse, qui ne les comprend pas: bien sur, il y a des manoeuvres, et il est au courant, mais pourquoi ont-ils devancé l'appel, alors que 'la guerre commence à minuit', que les dites manoeuvres, dont le vieil ours est partiellement responsable en tant qu'instructeur du "Home guard", ne sont pas supposées avoir déja commencé? Le jeune officier responsable de la tricherie, qui a été au passage particulièrement efficace, se défend en expliquant qu'avec les méthodes des nazis, il vaut mieux couper court au fair-play militaire, et agir en un éclair... Clive Candy se souvient alors du temps durant lequel, jeune officier récemment décoré de la Victoria Cross, il avait lui aussi désobéi, afin de faire valoir des idées qu'il estimait de la toute première importance. il se remémore son séjour à Berlin en 1902, au cours duquel il avait du se battre en duel, l'amitié avec son "ennemi", le fringant Theodor Kretschmar-Schuldorff (Anton Walbrook) mais aussi la rencontre avec celle qu'il allait chevaleresquement laisser à son ami, la belle Edith Hunter (Deborah Kerr). il se rappelle aussi de sa maladroite naïveté en pleine fin de la première guerre mondiale (Affirmant le 10 novemre 1918 que la guerre en avait encore pour bien longtemps), de sa rencontre avec Barbara, le sosie de Edith, avec laquelle il s'était marié, puis d'autres rencontres avec Theodor, devenu un réfugié suite à l'avancée des nazis. A chaque fois, un peu plus vieux, un peu plus décalé, il se comporte un peu plus en "Colonel Blimp", l'image même de la vieille baderne colonialiste et anachronique, sans jamais n'être que ridicule. Interprété par Roger Livesey, c'est un homme terriblement attachant. Nous assistons bien à un peu de sa vie, mais de sa mort, il ne sera pas vraiment question, même si on l'imagine, à la fin du film, relativement imminente...

Film de propagande? C'était, pourtant, l'intention. Mais Michael Powell et son complice Emeric Pressburger sont comme toujours des originaux, et ont choisi de prendre jusqu'à un certain point le contrepied des petites habitudes, et font un film dans lequel l'Angleterre, la bonne vieille dame, s'en prend plein la figure. Certes, avec tendresse, mais il faut remarquer le onmbre de fois ou ce pauvre Clive Candy se trompe: a Edith Hunter, jeune femme éprise d'indépendance, qui a été chercher en allemagne ce qu'elle ne peut pas trouver en Angleterre, soit une certaine liberté (Elle souhaite travailler, et un poste de gouvernante est plus facile à trouvber dans un pays étranger), il tient un discours paternaliste qui s'ignore; à Theo, qui a plus que lui la capacité à comprendre le fond des choses en matière de changements idéologiques, il assure en 1919 que l'Allemagne vaincue se relèvera sans aucun souci de ses ruines... Clive Candy, mu en toutes circonstances par des idées d'un autre siècle, mélangées à un esprit chevaleresque et fair-play sans aucune mesure avec l'évolution du monde au cours du vingtième siècle, est donc la cible principale de ce film sur le temps qui passe. Et Roger Livesey, aidé par un beau travail de maquillage et un métier à toute épreuve, fait passer le personnage de ses 25 ans à ses 70, sans aucun problème...

Ce qui permet de suivre et d'aimer ce personnage perdu dans un siècle qu'il ne comprend pas (A un américain, coincé en plein front, il tient un discours ahurissant, disant à quel point la façon dont se déroulent les combats démontre que cette nouvelle guerre est un conflit d'amateurs par comparaison avec la guerre des Boers!), c'est le refus de tout dogmatisme dans ce qui est après tout une démonstration, du fait du temps qui passe, des esprits qui changent... Aussi décalé soit-il (En tout contexte), on aime le général Candy; ses méthodes surrannées et son conservatisme aveugle cachent aussi un coeur d'or et des valeurs humanistes réelles. C'est ça aussi la réalité de la vieille Angleterre, ous disent en substance les auteurs: non, la Grande-Bretagne ne pourra pas gagner la guerre en se comportant avec les nazis comme avec les ennemis du siècle dernier, mais ça ne remet rien en cause dans le fait qu'on l'aime, ou qu'on en adopte l'essence même d'une idéologie décente et démocratique...

Dans l'ombre du Général Candy, nous voyons en 1902, 1920 et 1943 trois femmes: Edith, qui asssistera aux mésaventures des deux "frères ennemis" Theo et Clive, et aura sans doute à un moment à choisir entre les deux; Barbara, repérée le 10 novembre 1918 dans un couvent ou le général s'est réfugié pour manger, et qu'il va ensuite traquer jusqu'au Yorkshire, pour finir par se marier avec elle; enfin, Angela dite "Johnny", une jeune auxiliaire féminine que le vieux général va se choisir comme chauffeur, lorsqu'il la verra, un nouveau sosie de la belle Edith pour les vieux jours (Même si la relation restera platonique) du vieux soldat. Pour ces trois femmes, Powell a choisi la belle Deborah Kerr pour incarner un idéal féminin systématiquement en avance sur le pauvre Clive: suffragette et motivée par un idéal de libération féminine en 1902, douce et aimante, mais plus futée que son mari pour comprendre ce qui se déroule autour d'eux (Lorsque Clive fait un discours totalement décalé à sa future belle-famille, Barbara apporte avec tendresse son soutien à son mari, dont elle sait qu'il ne souhaitait pas se rendre ridicule) en 1920, et enfin toujours jeune et à la fois loyale et progressiste en 1943: Angela et d'accord sur le fond avec les jeunes soldats qui renvoient l'Angleterre de toujours au placard, mais elle garde son soutien pour le vieil homme. Cet ange gardien (Theo, lui, l'a compris quand il apprend le nom de la dernière Deborah Ker dans le film) a peut-être été motivé dans le script par le refus de Michael Powell de "vieillir" la belle actrice (Dont il était amoureux) à la façon dont il va changer Walbrook et Livesey. Quoi qu'il en soit, sa participation est l'un des points forts de ce chef d'oeuvre...

Enfin amené à tourner un film en couleurs arès sa participation à l'épique The thief of bagdad, qui lui avait ouvert les yeux, Powell se laisse emporter: mais ces 163 minutes sont malgré tout un régal permanent, non seulement pour les yeux charmés par ce bon vieux Technicolor, mais aussi parce que la mise en scène y est fantastique, avec des idées partout, du rythme (Les premières scènes si déstabilisantes, avec cette bande-son ironique qui mélange les styles musicaux), et des moyens toujours novateurs de faire passer le temps: pour montrer les 12 ans entre le retour de Berlin de Candy et l'arrivée de la guerre mondiale, Powell nous montre une pièce (que nous avons vue) dont les murs se garnissent de têtes d'animaux que l'impétueux militaire a été massacrer dans quelque colonie afin de s'occuper. La première de sces séquences se termine par l'apparition dans cette même pièce d'un casque à pointe... C'est Jack Cardiff, qui n'était qu'assistant caméraman, qui s'est chargé de ces plans. La scène cruciale du duel, dont on assiste à tous les préparatifs, nous est cachée par la caméra qui s'en va dehors auprès des amis de Clive, afin de nous épargner justement la "scène à faire"...

Après des films de propagande superbes et toujours un peu décalés (49th parallel, One of our aircraft is missing), Blimp était un cri du coeur de la part de deux hommes qui avaient envie comme chaplin de faire un sermon qui prêche pour une certaine idée de la vie, contre les nazis et autres barbares de tout poil, mais plutôt qu'une sèche communication orale, ils ont choisi d'en faire un extravagant film aux couleurs magnifiques, traversé par l'amour, l'amitié et la décence d'un homme. qu'importe qu'il ait eu tort sur toute la ligne... Ils ont aussi, grâce au merveilleux personnage de Theo, donner à entendre un plaidoyer pour la démocratie, prononcé en toute logique pour qui connait bien l'oeuvre de Powell, par un Allemand!Ce film inclassable qui fut invisible pendant si longtemps, insuccès oblige, avant sa redécouverte dans les années 90 (Grâce à, who else, Martin Scorsese) peut aujourd'hui être vu dans un blu-ray qui est bien l'une des sept merveilles du monde. Justice rendue à un chef d'oeuvre...

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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par Stone Blue »

Ton intérêt, que dis-je, ton amour allen john pour ce film est communicatif... et partagé.

Tu fais référence à la fameuse scène avec une pièce "dont les murs se garnissent de têtes d'animaux", formidable ellipse dont Powell/Pressburger ont le secret, et que j'avais aussi placée dans mes favoris. Et bien il y a une autre scène à 2h 14mn, qui a lieu dans la même pièce, et où Clive et Theo ont une conversation. Ce que je trouve amusant, c'est que parmi tous ces trophées de chasse qui tapissent le mur figure un tableau, placé juste au-dessus de la cheminée, endroit où habituellement les chasseurs se plaisent à exposer leur plus glorieux trophée, et c'est... un portrait de Deborah Kerr ! Comment faut-il le voir ? pour moi c'est l'un des mystères et des joies de ce film.

Et d'ailleurs, Theo étonné lui en fait la remarque : "Drôle d'endroit pour un si joli portrait !".
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par Abronsius »

Il me semble que Kerr et Powell tombèrent amoureux durant le tournage de Blimp.
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par allen john »

Stone Blue a écrit :Ton intérêt, que dis-je, ton amour allen john pour ce film est communicatif... et partagé.

Tu fais référence à la fameuse scène avec une pièce "dont les murs se garnissent de têtes d'animaux", formidable ellipse dont Powell/Pressburger ont le secret, et que j'avais aussi placée dans mes favoris. Et bien il y a une autre scène à 2h 14mn, qui a lieu dans la même pièce, et où Clive et Theo ont une conversation. Ce que je trouve amusant, c'est que parmi tous ces trophées de chasse qui tapissent le mur figure un tableau, placé juste au-dessus de la cheminée, endroit où habituellement les chasseurs se plaisent à exposer leur plus glorieux trophée, et c'est... un portrait de Deborah Kerr ! Comment faut-il le voir ? pour moi c'est l'un des mystères et des joies de ce film.

Et d'ailleurs, Theo étonné lui en fait la remarque : "Drôle d'endroit pour un si joli portrait !".
Tout à fait, d'ailleurs on remarque que ce pauvre Clive ne voit absolument pas l'ironie de la situation, et ajoute que c'est Barbara elle-même qui en a fait la demande... elle voyait sans doute le sens de ce placement, et se prétait de bonne grâce au fait d'être le plus beau trophée de son mari...
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par allen john »

Abronsius a écrit :Il me semble que Kerr et Powell tombèrent amoureux durant le tournage de Blimp.
oui, à moi aussi...
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Re: Michael Powell (1905-1990) / Emeric Pressburger (1902-19

Message par Demi-Lune »

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Le Voleur de Bagdad (1940) (avec plein d'autres co-réalisateurs)

Une charmante féérie, pleine de couleurs et de panache. Peut-être est-elle parfois un peu longue, et les comédiens principaux un peu faibles, et peut-être est-elle parfois victime de l'éclatement de ses réalisateurs faisant que certaines scènes (de qui ?) sont plus réussies que d'autres, mais pour le reste je n'ai pas boudé mon plaisir. J'ignore quelles sont les scènes sur lesquelles a bossé Powell mais formellement, on décèle ça et là quelques préfigurations du Narcisse Noir dans les décors, l'utilisation et l'agencement des couleurs. Dans un Orient fantasmé et légendaire, l'histoire associe aventures extraordinaires et romantisme béat dans la plus pure tradition du conte et s'avère à ce titre une belle réussite, sachant susciter, grâce une forme cinématographique maîtrisée voire novatrice, une magie old-school délicieusement désuète. En effet, Le Voleur de Bagdad marque toujours par son inventivité en matière de mise en scène et de trucages. Ces trucages ont certes inévitablement vieillis mais ils procèdent d'un savoir-faire, lui, encore impressionnant pour l'époque. Beaucoup de techniques (matte-paintings chiadés, décors paraissant plus grands qu'ils ne le sont grâce aux perspectives, maquettes, incrustations, mannequins, etc) sont employées pour obtenir un visuel recherché. Un cheval galopant dans le ciel, un génie gigantesque, un temple bouddhique monumental perdu sur une montagne (ma séquence favorite même si la grosse araignée vient gâcher la fête), une déesse aux six bras... autant d'images marquantes qui traduisent pleinement l'enchantement d'un récit sautillant, où méchant vizir, preux héros, side-kick démerdard et belle princesse répondent présents.
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Re: Michael Powell / Emeric Pressburger

Message par Supfiction »

Alligator a écrit :The Small Back Room (La mort apprivoisée) (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1949) :

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plein de captures
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Quel plaisir de retrouver un bon Powell & Pressburger! D'autant plus que je ne m'attendais pas à un film aussi joli. Formellement on retrouve la patte Michael Powell, une réalisation léchée. La photographie joue sur les ombres et lumières pour quelques séquences de toute beauté.
On apprécie également cette prédilection pour une belle mise en valeur des décors naturels (judicieuse utilisation de filtres sur les plages). A louer encore, l'audace narrative des effets spéciaux que l'on doit sûrement à Hein Heckroth. Je pense ici à cette fameuse scène surréaliste de la pénible attente du héros alcoolique, tenté par une bouteille de whisky de plus en plus grande. Cela rappelle le travail de Dali sur le cauchemar de Spellbound d'Hitchcock.

Et puis l'on savoure la patte de l'ami Pressburger, ces dialogues vifs, la percussion des échanges, avec la juste dose d'humour caustique qui perce en perfide allusion ou bien en coup de glaive féroce.

De cette association fabuleuse sont nés des chefs d'oeuvre tel que le Colonel Blimp, Je sais où je vais ou Black Narcissus ou autres Canterbury Tales. Ici, si j'ai pris énormément de plaisir à voir le cheminement constructif du film, sa belle mécanique structurelle et la manière de mettre cette histoire en image, je ne suis pas complètement parvenu à intégrer parfaitement les enjeux du film, malheureusement. Non que l'évolution de ce couple ne m'ait pas ému, non qu'ils soient hautement sympathiques, mais il s'agit plutôt du fait que la portée de leur histoire n'a pas provoqué en moi un écho persistant au delà du visionnage. Dans les films cités plus haut, j'étais souvent perdu dans mes pensées et émotions, les personnages m'accompagnant bien après les avoir découverts.

Ce n'est pas faute d'avoir été comblé par les comédiens. J'ai une nouvelle fois été enchanté par la prestation de David Farrar. Je l'ai trouvé extrêmement fin dans son jeu d'alcoolo, de malade, donnant avec un équilibre parfait autant de vulnérabilité que de courage à son personnage. Il hérite il est vrai d'un rôle complexe qui demande un investissement important où la subtilité du comédien est exigée, nécessaire pour lui donner un tant soit peu de vraisemblance.

Kathleen Byron propose un personnage beaucoup moins outré que celui de sister Ruth dans le Narcisse noir. Au contraire, elle affiche ici une personnalité longtemps en retrait, lui donnant au début une aura mystérieuse, troublante qui ne réussit pas à la rendre belle (vraiment pas mon style de femme, on s'en fout, oui, on s'en fout). Par la suite, elle demeure peu communicative, dans une posture d'attente auprès de son homme, en attente d'une révolte ou d'une déclaration (bien plus par ses actes que par ses mots d'ailleurs), mais cela ne vient pas, ce qui lui donne l'occasion d'une belle scène d'esclandre, rage qui ne m'a pas totalement convaincu. A sa décharge sans doute que la présence de Farrar en impose tellement que sa petite voix parait un peu fluette. Peut-être.

Il est toujours bon de retrouver cette forme de démonstration d'humanisme fervent, propre à Powell avec l'inclusion dans sa mise en image de plans de visages, de tronches. Je pense d'abord à ces soldats sur la plage, spectateurs comme nous du désamorçage de la bombe. Mais l'on peut penser à toute la galerie de personnages secondaires qui parsèment le récit et qui le parent d'un réalisme bon enfant, sur un ton égal, bienveillant. Là effectivement je songe au barman Sid James. Je pense au ministre joué par un Robert Morley dont la tête vous revient c'est obligé, on l'a vu un peu partout ce gaillard. A ces jeunes collègues en butte à quelques désordres domestiques, aux remontrances du patron dont le regard enguirlandeur sait faire place très vite à un sourire enjoleur. Comment oublier le visage compatissant de la superbe Renée Asherson lisant en pleurs le rapport de Cyril Cusak. Et l'on pourrait continuer ainsi avec l'officier blond dont j'ai oublié le nom sur le quai de la gare ému d'avoir rencontré Farrar. Encore et encore, ces mots, ces regards et ces personnages aux visages profondément humains dans lesquels brillent les mêmes lueurs que celles de leurs auteurs.
Chez ces soldats ou laborantins londoniens, on reconnait les villageois de Je sais où je vais, ou les habitants du Canterbury Tale, une chaleur, une joie de vivre ensemble malgré la guerre, une caractéristique britannique peut-être, une spécificité du couple Powell & Pressburger certainement.

Merci Alligator, enfin je trouve ici des infos sur ce film dont le dvd est sorti le mois dernier (dispo à petit prix à la Fnac actuellement).

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