Frank Borzage (1894-1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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David Locke
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par David Locke »

Barry Egan a écrit : 23 mai 21, 11:17 History is made at night

Quel film fabuleux ! Ces dialogues ciselés, ce ton qui change sans cesse, ces deux acteurs principaux au charme fou, ce méchant très méchant et crédiblement méchant, ce faire-valoir attachant et ces péripéties invraisemblables mais si fluides ! Je suis un peu moins convaincu par la toute-fin qui aurait mérité quelques minutes de plus, mais rien n'est parfait sinon la perfection de cette œuvre qui soulève le cœur comme s'il était un voilier dirigé vers des eaux plus calmes !
J'ai découvert ce film grâce au Bluray édité par Criterion, et je l'ai trouvé très beau, même s'il ne m'a pas autant transporté que les muets de Borzage avec Charles Farrell, ou ses films réalisés un peu après avec Margaret Sullavan.
Il faut dire que, au départ, le couple Charles Boyer (Paul) - Jean Arthur (Irene) est assez improbable, comme la relation de cette dernière avec son richissime mari propriétaire d'une ligne de paquebots transatlantiques.

Toutefois, Borzage parvient à hisser le film à un niveau spirituel, en s'appuyant sur la vérité des sentiments qui habitent et meuvent les personnages : la jalousie maladive du mari, qui n'a de cesse de se chercher des rivaux, habité qu'il est de son désir exclusif envers sa femme ; l'attachement de Paul qui, touché par la vulnérabilité attendrissante d'Irene, n'imagine plus de vivre sans elle ; l'abandon d'Irene, qui, comprenant avec retard le geste de Paul pour la tirer d'affaire, lui donne sa confiance sans regarder en arrière, grisée par sa liberté retrouvée grâce à ce regard d'homme qui la porte au lieu de la juger.
La mise en scène de la soirée qu'ils passent ensemble est éblouissante : alors que, par bien des aspects, on pourrait être chez Lubitsch ou Wilder, la scène est un miracle de douceur ouatée : du pur Borzage !

Si l'on garde en mémoire que le tournage du film commença alors que seule moitié du scénario avait été rédigée, on comprend mieux pourquoi les péripéties semblent prendre un tour délirant dans la deuxième partie. Mais Borzage garde la note juste jusqu'au bout. Tout semble improvisé, fragile et délicat, comme une histoire d'amour qui évoluerait sous nos yeux, aux prises avec des obstacles de plus en plus infranchissables, à la mesure de la pureté du lien qui unit les amants...

La seule note discordante, à mon avis, est l'ami de Paul, Cesare, joué par Leo Carrillo (qui a vraisemblablement servi de modèle au personnage de Gusteau dans Ratatouille). Etant donnée la place qu'il occupe dans le métrage, il m'a paru manquer un peu de la vérité qui se dégage des 3 autres personnages principaux, restant cantonné à un rôle de contrepoint comique dans le récit, sans réelle épaisseur. Cela dit, il s'acquitte du rôle qu'on lui a assigné avec panache.

Bref, on frôle quand même le chef d'oeuvre. Et je suis persuadé que je reverrai History is made at night dans peu de temps avec autant de plaisir !
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Alexandre Angel
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Alexandre Angel »

Vu il y a longtemps sur la Suisse Romande (TSR) et en VF.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Barry Egan
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Barry Egan »

Tout à fait d'accord avec toi David Locke, sauf en ce qui concerne le sidekick italien. Il dépasse son rôle de sidekick justement, pour ma part, j'ai été sensible à l'amitié qui marque sa relation avec le héros !
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Profondo Rosso
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Profondo Rosso »

Magnificent Doll (1946)

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Biographie romancée de Dolly Madison, la femme de James Madison, quatrième président des États-Unis.

Magnificent Doll est un des rôles les plus ambitieux de Ginger Rogers après son Oscar obtenu en 1940 pour Kitty Foyle. Elle parvient à y garder cette identité de fille du peuple à laquelle on peut s'identifier, exploité à la fois dans la série de comédies musicales avec Fred Astaire ou Busby Berkeley (42e rue (1933), Chercheuses d'or de 1933 (1933), ou les œuvres sociales tournés pour Gregory La Cava (Pension d'artistes (1937), Primrose Path (1940), La Fille de la Cinquième avenue (1939)), tout en endossant la grandeur d'une figure historique. Le film est en effet le biopic romancé de Dolly Madison, l'épouse du quatrième président des États-Unis James Madison. Elle fut connue pour avoir littéralement créé le rôle de Première dame des États-Unis sous l'administration Jefferson (qui était veuf tandis que James Madison était le secrétaire d'état) mais aussi du fait d'arme qui la vit sauver un portrait de George Washington durant la seconde Guerre d'Indépendance alors que les troupes anglaises approchaient de la Maison Blanche.

Le scénario est écrit par Irving Stone, écrivain célèbre à l'époque pour ses biographies de grandes figures historiques. C'est d'un de ses livres qu'est notamment adapté La Vie passionnée de Vincent van Gogh de Vincente Minnelli (1956) ou L'Extase et l'Agonie de Carol Reed (1965) sur la vie de Michel-Ange. Les portrait de couples politiques américains font également parti de son champ d'intérêt avec notamment des ouvrages sur Andrew et Rachel Jackson, Abraham et Mary Lincoln. A l'origine Magnificent Doll est donc destiné à être le sujet d'un nouveau livre qui demandera quatre ans de documentation à Irving Stone. Il sera cependant convaincu durant un dîner par le producteur Jack H. Skirball d'en faire le script d'un film pour le cinéma. Le film est plutôt fidèle aux évènements et à la période historique qu'il dépeint, mais subit plusieurs modifications dont les vertus romanesques servent avant tout à approfondir et magnifier la personnalité de Dolly Madison (Ginger Rogers). La première partie la montre ainsi à la fois comme une femme contrainte quand elle subira un mariage forcé par son père Quaker, mais également exposée par ce même père à un esprit nourrit de démocratie quand celui-ci abandonnera sa plantation et libèrera ses esclaves. Elle ne peut cependant se résoudre s'épanouir au sein d'un mariage qu'elle n'a pas choisie malgré l'affection de son époux (Stephen McNally). Ginger Rogers est très touchante lorsqu'elle expose à son mari les raisons pour lesquels elle ne pourra jamais l'aimer vraiment, par cette absence d'amour libre et spontané sur lequel repose leur mariage. Toutes les graines de ses engagements futurs s'incarnent dans cette autorité initiale injuste qu'elle aura subit et dont elle ne sera douloureusement libérée que par la mort tragique de son mari.

Le scénario brode autour de la réalité historique qui vit la rencontre entre Dolly et James Madison (Burgess Meredith) se faire par l'entremise du controversé sénateur Aaron Durr (David Niven). Il va alors se nouer un triangle amoureux dont l'issue reposera sur un conflit politique et idéologique dont la pension que tient Dolly sera le théâtre. Beau, fougueux et séduisant, Durr représente tout cet élan romantique qui a tant manqué à Dolly et Frank Borzage filme leurs entrevues dans l'imagerie la plus flamboyante qui soit, capture avec sensualité l'ardeur de leurs baisers - tout en laissant entrevoir l'attrait pour le chaos de Durr lors de la scène de la taverne. Madison est plus discret et gauche, tentant d'éveiller l'intérêt et susciter le rapprochement avec Dolly par les idées. Cela semble inopérant face au charme de Durr mais va au contraire le montrer sous un autre jour à Dolly. Ce dernier a des ambitions de régime autoritaire dans sa volonté de devenir président, ce dont l'éveil intellectuel de Dolly lui rend soudainement limpide sous ses beaux atours. Les échanges avec Madison stimulé par autre chose que l'apparat prennent alors un tour plus profond et authentique que Frank Brozage illustre avec superbement lors de la scène où Madison explique sa vision de la liberté à Dolly. Ginger Rogers est stupéfiante par la vraie étincelle d'amour et de conviction qu'elle fait naître dans son regard. On suit alors le paisible mariage de Madison et Dolly tandis qu'en parallèle les manœuvres douteuses de Durr mettent à mal la démocratie fragile des Etats-Unis.

Tous les évènements sont fidèlement relatés (Durr tentant de forcer la présidence, plus tard cherchant à provoquer une situation de guerre civile, son jugement...) à l'aune de cette dimension à la fois historique et intime. L'intérêt du récit est de montrer le rôle de plus en plus actif de Dolly dont Madison par ses préventions a fait la meilleure défenseuse de ses idées progressistes. Dolly se placera plusieurs fois sur le chemin de Durr, d'abord discrètement en souvenir de leur ancienne affection, puis publiquement lors d'une mémorable scène finale. Durr (David Niven vraiment excellent en illuminé mégalomane), ses inspirations et les bas-instincts qu'il éveille chez ses concitoyens se voient exposés et fustigés par une puissante tirade de Dolly où le charisme de Ginger Rogers fait merveille. Elle convainc par la force de ses mots une foule hostile de la petitesse de Durr et de l'inutilité d'un lynchage public. L'emphase qu'apporte Borzage et la prestation de Ginger Rogers donnent toute leur force à ce portrait captivant et formellement soigné à travers un reconstitution somptueuse.4,5/6
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Profondo Rosso
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Profondo Rosso »

History is made at night (1937)

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Le riche armateur Bruce Vail tente de surprendre son épouse en galante compagnie afin de pouvoir divorcer. Elle est heureusement aidée par un sympathique quidam, Paul Dummond dont elle tombera amoureuse.

History is made at night est une merveille de romance hollywoodienne, dans ce qu'elle a de plus emphatique et imprévisible. Au départ il n'y a que ce titre chargé de promesses, History is made at night, et un embryon de script de deux pages, mais qui poussent le producteur à initier le projet et à solliciter Frank Borzage pour le réaliser. Ce dernier se montre tout aussi charmé par l'intitulé que circonspect face à la maigreur du postulat mais va se laisser convaincre par Wanger de le réaliser. L'écriture n'avance pas suffisamment vite et quand arrive le début du tournage, Borzage ne dispose que de 22 pages de scénario. Ce dernier va donc s'écrire au jour le jour, et se délester dans ses incroyables ruptures de ton de la progression dramatique logique qu'aurait amené une production moins placée dans l'urgence. Frank Borzage est déjà à l'époque un véritable maître du mélodrame, ayant signé de véritables chefs d'œuvre durant sa période muette avec L'Heure suprême (1927) ou L'Ange de la rue (1928), ainsi qu'à l'orée du parlant sur Liliom (1930) et bien sûr L'Adieu aux armes (1932). Il brillera encore ensuite avec des mélos véritablement engagés dans Trois camarades (1938) et La Tempête qui tue (1940). Toutes ces réussites se caractérisaient par une alchimie idéale sentimentalité et un lyrisme formel à la fois emphatique et épuré qui lui vaudront l'admiration des surréalistes.

Dans History is made at night, il recrée cette magie non pas dans la force du déploiement de son récit, mais dans une suite de moments forts auxquels il parvient à chaque fois à donner un cachet unique. Les genres, les tons, les situations disparates et en apparence incohérentes s'entrechoquent tout au long de l'histoire - cela se traduisant aussi sur l'esthétique, des premières minutes quasi expressionnistes, on passe à la sophistication romantique, sans parler du virage spectaculaire final. Irene (Jean Arthur) est une épouse oppressée par la jalousie maladive de de son riche époux armateur Bruce (Colin Clive) qu'elle décide de quitter. Ce dernier afin d'empêcher le divorce et poussé par cette obsession d'être trompé décide de lui jeter son chauffeur dans les bras afin de la coincer. Paul (Charles Boyer) chef de salle dans un restaurant parisien, croise la malheureuse aux prises avec son "amant" avant l'arrivée imminente du mari et décide de la secourir en se faisant passer pour un voleur. Toute cette suite d'informations et d'évènements sont déroulés avec une efficacité narrative redoutable qui pousse au bout d'un quart d'heure nos deux héros dans les bras l'un de l'autre. Borzage va constamment fonctionner sur une logique d'urgence qui introduit ces situations rocambolesques, et d'aparté constituant le sursis apaisé où les amants peuvent se découvrir, s'aimer. C'est le cas dans la magnifique scène de restaurant les idées ludiques pleuvent pour instaurer une proximité entre les personnages tant par des rituels naissants qui façonnent leur complicité (le menu du restaurant le Château Bleu qui reviendra plusieurs fois) et également permettre les confidences sans épanchements trop prononcés (l'interlocutrice imaginaire que Charles Boyer dessine sur sa main). C'est un pur moment de romantisme suspendu qui scelle l'amour indéfectible entre Irene et Paul, mais qui sera mis à rude épreuve par les manœuvres du mari jaloux et véritablement machiavélique.

Sans entrer dans les détails qui vont séparer le couple, le scénario ose les ruptures de ton les plus folles, dans le registre comique comme dramatique pour montrer ses héros forcer ou subir le destin. Tout cela conduit à chaque fois à une superbe idée romanesque, le rire de voir Charles s'imposer maître de salle d'un restaurant new-yorkais où il a poursuivi Irene menant à cet argument insensé où il garde constamment réservée une table de l'établissement dans le fol espoir qu'elle y passe un jour (ce qui ne manquera pas d'arriver bien sûr). Les acteurs sont ici au sommet de leur charme et photogénie, Borzage usant brillamment de leur opposition de caractère. Jean Arthur brille souvent par la fébrilité et vulnérabilité de ses interprétations, facette qu'elle exprime ici mais qui s'estompe sous le regard aimant, les bras protecteurs et les mots doux de Charles Boyer. Ce dernier au contraire excelle dans une forme de décontraction pince sans rire teintée de fatalité, et parvient soudain à laisser entrevoir une tension, une fragilité et maîtrise moins assurée de son environnement. Paul ne peut plus traverser les évènements avec distance et nonchalance, Irene au contraire ne subit plus ces évènements et se redresse, tous deux mûs force qui les dépasse. A l'opposé Bruce l'époux jaloux une force négative uniforme, animé à sa façon par une pulsion amoureuse également mais malfaisante car ne reposant que sur la possession et la domination. Son épouse est comme ses employés où ces yachts, elle lui appartient et ne peut pas se dérober à lui.

Alors que l'ensemble aurait déjà la matière de deux ou trois films, la spectaculaire dernière partie va encore plus loin dans l'excès. C'est finalement le schéma entrevu depuis le début qui se reproduit mais dans des proportions monumentales. On rejoue le moment suspendu et éphémère du couple sur un bateau, les gimmicks qui les ont accompagnés depuis le début (le menu, l'ami chef italien César présent à bord) et l'élément perturbateur qui prend cette fois des proportions "titanesques". La force de l'amour unissant Paul à Irene se mesure à l'échelle des obstacles qui se posent face à eux et l'on se retrouve avec une spectaculaire scène de naufrage qui fait basculer l'ensemble dans le film catastrophe. C'est d'ailleurs à se demander si James Cameron a vu ce film tant le triangle amoureux est quasi similaire à celui de Titanic (1998), plusieurs péripéties menant à la catastrophe et la nature pathétique et possessive de son méchant nanti. En faisant de la connexion et de l'interaction de son couple le moteur de l'histoire plutôt que sur une "logique" narrative classique, Frank Borzage parvient conférer à l'ensemble une cohérence pourtant impossible et emporter le spectateur dans tous les soubresauts démesurés de sa romance. Du grand mélo. 5/6
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par bruce randylan »

Secrets (1924)

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Alors que son mari risque de s'éteindre, une dame âgée se replonge dans son journal intime et se remémore 3 moments pris au hasard.

Pur véhicule pour Norma Talmadge, ce Secrets est une transposition d'une pièce de théâtre semble-t-il bien côté. Cela se ressent dans la construction du récit avec ses 3 flash-backs qui sont des huits-clos respectant de surcroit l'unité de temps (ou quasiment). C'est autant un défaut qu'une qualité. D'un côté on a une approche assez statique, parfois cadré "frontalement" comme si on était vraiment en train de capter une pièce de théâtre, avec beaucoup de dialogues, et les problèmes de rythme que ça impose. En revanche, ces "actes", qui s'inscrivent donc dans la longueur, permettent aussi à l'émotion ou à la psychologie de se développer pleinement. De plus, le parti pris de ne choisir que 3 épisodes d'une vie entière sans chercher à en un faire un gros "biopic" donne une réelle intimité et une modestie louable (ce que ne parvient pas à éviter parait-il le remake de 1933 avec Mary Pickford qui demanda à Borzage de reprendre le tournage après un début chaotique sous la direction de Marshall Neilan). On n'a ainsi jamais l'impression d'être devant un film à sketch décousu. Les 3 scènes abordent également, et sans l'air d'y toucher, la place des femmes et son évolution dans la société. C'est par petites touches mais bien intégrées au récit comme les énormes contraintes vestimentaires, la rudesse de la vie dans l'ouest américain ou les faux semblants hypocrites de la bourgeoisie.
Le premier épisode qui narre un instant clé dans la vie de ce couple est forcément le plus léger, le plus long aussi, avec plusieurs problèmes de rythme, mais des moments savoureux comme lorsque le soupirant doit aider sa fiancée à retirer sa robe et son improbable armature.
Le troisième évoque le moment où l'épouse, désormais mère d'adolescents, reçoit la visite de la maitresse de son mari qui lui demande d'accepter de divorcer. C'est assez bien écrit, avec un certaine retenue qui contourne les éclats ou les excès mélodramatiques. Il est juste dommage que la rivale abuse de sa moue condescendante, desservant la sobriété de l'approche.
J'évoque en dernier le segment central puisqu'il constitue un incroyable chef d’œuvre en tant que tel, entre western façon home invasion et tragédie insoutenable. Pour le coup, on sent vraiment que Borzage et son actrice ont mis toute leur âme dans cette vingtaine de minutes où le jeune couple vivant reclus dans une ferme est attaqué par une horde de brigands alors que leur nouveau né est gravement malade.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Et le bébé ne survivra pas à sa maladie alors que la bataille fait rage tout autour de la mère éplorée qui n'ose annoncer la nouvelle à son mari, luttant pour leur survie.
Mine de rien, je ne connais pas beaucoup de films américains abordant aussi directement la mortalité enfantine, qu'on image dûe à la condition de vie rudimentaire.
C'est un incroyable tour de force émotionnel dont on sort lessivé, stupéfié par l'intensité toute contenue de Norma Talmadge. Je connais mal sa carrière mais dans ces quelques minutes, elle démontre une palette de jeu remarquable et d'une force peu commune, sans à aucun moment surjouer alors que les émotions les plus complexes traversent son personnage. Borzage fait preuve de son côté d'un admirable découpage, entre épure pour l'émotion et éclatement spatial durant la fusillade, le tout servi par une très belle photographie. Pour le coup, je regrette que ce flash-back ne dure pas plus longtemps. C'est même presque frustrant que l'épilogue à ce passage soit simplement un retour au journal intime de l'héroïne.
Rien que pour cette vingtaine de minutes, le film est à placer dans les œuvres majeures du cinéaste, déjà très habile dans les mélanges de genre et les ruptures de tons.

Le film a été restauré en 2017 par Bologne pour une belle copie, loin de l'affreuse version qu'on trouve facilement sur le web. Pas mécontent d'être aller le découvrir à la Fondation Pathé la semaine dernière. :D
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Courleciel »

bruce randylan a écrit : 18 janv. 23, 20:11 Secrets (1924)

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Alors que son mari risque de s'éteindre, une dame âgée se replonge dans son journal intime et se remémore 3 moments pris au hasard.

Pur véhicule pour Norma Talmadge, ce Secrets est une transposition d'une pièce de théâtre semble-t-il bien côté. Cela se ressent dans la construction du récit avec ses 3 flash-backs qui sont des huits-clos respectant de surcroit l'unité de temps (ou quasiment). C'est autant un défaut qu'une qualité. D'un côté on a une approche assez statique, parfois cadré "frontalement" comme si on était vraiment en train de capter une pièce de théâtre, avec beaucoup de dialogues, et les problèmes de rythme que ça impose. En revanche, ces "actes", qui s'inscrivent donc dans la longueur, permettent aussi à l'émotion ou à la psychologie de se développer pleinement. De plus, le parti pris de ne choisir que 3 épisodes d'une vie entière sans chercher à en un faire un gros "biopic" donne une réelle intimité et une modestie louable (ce que ne parvient pas à éviter parait-il le remake de 1933 avec Mary Pickford qui demanda à Borzage de reprendre le tournage après un début chaotique sous la direction de Marshall Neilan). On n'a ainsi jamais l'impression d'être devant un film à sketch décousu. Les 3 scènes abordent également, et sans l'air d'y toucher, la place des femmes et son évolution dans la société. C'est par petites touches mais bien intégrées au récit comme les énormes contraintes vestimentaires, la rudesse de la vie dans l'ouest américain ou les faux semblants hypocrites de la bourgeoisie.
Le premier épisode qui narre un instant clé dans la vie de ce couple est forcément le plus léger, le plus long aussi, avec plusieurs problèmes de rythme, mais des moments savoureux comme lorsque le soupirant doit aider sa fiancée à retirer sa robe et son improbable armature.
Le troisième évoque le moment où l'épouse, désormais mère d'adolescents, reçoit la visite de la maitresse de son mari qui lui demande d'accepter de divorcer. C'est assez bien écrit, avec un certaine retenue qui contourne les éclats ou les excès mélodramatiques. Il est juste dommage que la rivale abuse de sa moue condescendante, desservant la sobriété de l'approche.
J'évoque en dernier le segment central puisqu'il constitue un incroyable chef d’œuvre en tant que tel, entre western façon home invasion et tragédie insoutenable. Pour le coup, on sent vraiment que Borzage et son actrice ont mis toute leur âme dans cette vingtaine de minutes où le jeune couple vivant reclus dans une ferme est attaqué par une horde de brigands alors que leur nouveau né est gravement malade.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Et le bébé ne survivra pas à sa maladie alors que la bataille fait rage tout autour de la mère éplorée qui n'ose annoncer la nouvelle à son mari, luttant pour leur survie.
Mine de rien, je ne connais pas beaucoup de films américains abordant aussi directement la mortalité enfantine, qu'on image dûe à la condition de vie rudimentaire.
C'est un incroyable tour de force émotionnel dont on sort lessivé, stupéfié par l'intensité toute contenue de Norma Talmadge. Je connais mal sa carrière mais dans ces quelques minutes, elle démontre une palette de jeu remarquable et d'une force peu commune, sans à aucun moment surjouer alors que les émotions les plus complexes traversent son personnage. Borzage fait preuve de son côté d'un admirable découpage, entre épure pour l'émotion et éclatement spatial durant la fusillade, le tout servi par une très belle photographie. Pour le coup, je regrette que ce flash-back ne dure pas plus longtemps. C'est même presque frustrant que l'épilogue à ce passage soit simplement un retour au journal intime de l'héroïne.
Rien que pour cette vingtaine de minutes, le film est à placer dans les œuvres majeures du cinéaste, déjà très habile dans les mélanges de genre et les ruptures de tons.

Le film a été restauré en 2017 par Bologne pour une belle copie, loin de l'affreuse version qu'on trouve facilement sur le web. Pas mécontent d'être aller le découvrir à la Fondation Pathé la semaine dernière. :D
C'est vrai que la copie restaurée est très belle. Celle que l'on trouve sur le net aurait sa place chez RC. :fiou:
"- Il y avait un noir a Orly, un grand noir avec un loden vert. J'ai préféré un grand blond avec une chaussure noire a un grand noir avec un loden vert
- Dites-moi, mon petit vieux, pour faire de la littérature, attendez la retraite. Bonne appétit."
The Eye Of Doom
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par The Eye Of Doom »

Parlons en !
Les sorties de Borzage muets en bluray c’est pas l’avalanche!
Alors que des copies restaurees existent
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Courleciel »

The Eye Of Doom a écrit : 19 janv. 23, 19:43 Parlons en !
Les sorties de Borzage muets en bluray c’est pas l’avalanche!
Alors que des copies restaurées existent
Pas grand chose à ma connaissance
1925 : The Circle en DVD chez Warner Archive
1925 : Notre héros (Lazybones) en DVD dans le coffret Bozage Murnau at the FOX
1927 : L'Heure suprême (Seventh Heaven) en BR Chez Carlotta
1928 : L'Ange de la rue (Street Angel) en BR Chez Carlotta
1929 : L'Isolé (Lucky Star) en BR Chez Carlotta
1929 : La Femme au corbeau (The River) en BR Chez Carlotta
"- Il y avait un noir a Orly, un grand noir avec un loden vert. J'ai préféré un grand blond avec une chaussure noire a un grand noir avec un loden vert
- Dites-moi, mon petit vieux, pour faire de la littérature, attendez la retraite. Bonne appétit."
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par The Eye Of Doom »

Courleciel a écrit : 19 janv. 23, 20:13
The Eye Of Doom a écrit : 19 janv. 23, 19:43 Parlons en !
Les sorties de Borzage muets en bluray c’est pas l’avalanche!
Alors que des copies restaurées existent
Pas grand chose à ma connaissance
1925 : The Circle en DVD chez Warner Archive
1925 : Notre héros (Lazybones) en DVD dans le coffret Bozage Murnau at the FOX
1927 : L'Heure suprême (Seventh Heaven) en BR Chez Carlotta
1928 : L'Ange de la rue (Street Angel) en BR Chez Carlotta
1929 : L'Isolé (Lucky Star) en BR Chez Carlotta
1929 : La Femme au corbeau (The River) en BR Chez Carlotta
Oui.
Rien depuis 10 ans.
Pour les parlants c’est à peine mieux. J’attends toujours
Strange cargo… ou Mannequin
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Courleciel »

The Eye Of Doom a écrit : 19 janv. 23, 20:19
Courleciel a écrit : 19 janv. 23, 20:13
Pas grand chose à ma connaissance
1925 : The Circle en DVD chez Warner Archive
1925 : Notre héros (Lazybones) en DVD dans le coffret Bozage Murnau at the FOX
1927 : L'Heure suprême (Seventh Heaven) en BR Chez Carlotta
1928 : L'Ange de la rue (Street Angel) en BR Chez Carlotta
1929 : L'Isolé (Lucky Star) en BR Chez Carlotta
1929 : La Femme au corbeau (The River) en BR Chez Carlotta
Oui.
Rien depuis 10 ans.
Pour les parlants c’est à peine mieux. J’attends toujours
Strange cargo… ou Mannequin
Pour les parlants il y en a très peu en Français mais beaucoup chez les Ricains (faudrait que je retrouve la liste que j'avais faite des Borzage en vidéo).
Strange cargo existe en DVD chez Warner Archive
Mannequin existe en DVD chez Warner Archive

Edit : Warner Archive avait sorti pas mal.
The Shining Hour (1938)
Shipmates Forever (1935)
Stranded (1935)
Flirtation Walk (1934)
The Spanish Main (1945)
Living on Velvet (1935)
Mannequin (1937)
Flight Command (1940)
Strange Cargo (1940)
Seven Sweethearts (1942)
The Vanishing Virginian (1942)
I Take This Woman (1940)
The Mortal Storm (1940)
Three Comrades (1938)
Big City (1937)
Dernière modification par Courleciel le 19 janv. 23, 20:39, modifié 1 fois.
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par The Eye Of Doom »

Courleciel a écrit : 19 janv. 23, 20:29
The Eye Of Doom a écrit : 19 janv. 23, 20:19
Oui.
Rien depuis 10 ans.
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Pour les parlants il y en a très peu en Français mais beaucoup chez les Ricains (faudrait que je retrouve la liste que j'avais faite des Borzage en vidéo).
Strange cargo existe en DVD chez Warner Archive
Mannequin existe en DVD chez Warner Archive
Je ne savais pas ! Merci de l’info !
angel with dirty face
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par angel with dirty face »

La Tempête qui tue (The Mortal Storm) est sorti en DVD en France dans la collection LES TRESORS DE WARNER/TCM.
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Alexandre Angel
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Alexandre Angel »

angel with dirty face a écrit : 20 janv. 23, 14:56 La Tempête qui tue (The Mortal Storm) est sorti en DVD en France dans la collection LES TRESORS DE WARNER/TCM.
Ainsi que Three Comrades.
Ajoutons le très agréable The Spanish Main (Pavillon noir) chez RKO (collection bleue).
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Jullien Robert
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Jullien Robert »

Et Seven Sweethearts (1942) est passé sur tcm en octobre 2007.
J e l'ai gravé en dvd, amitiés Robert
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