Attention, film choc ! Mais comment aurait-il pu en être autrement avec Verhoeven à la barre.
Si j'aurai à lui reprocher une tendance un peu trop prononcée à la provocation choc-bourgeois (filmer par exemple des étrons au fond d'une cuvette ou un chien déféquer, mouais, pas forcément indispensable), et si j'ai trouvé que la toute dernière partie du film n'atteignait pas tout à fait l'émotion voulue à cause du jeu surligné de Monique van de Ven,
Turkish Delight n'en demeure pas moins une œuvre dont la force et la liberté n'ont absolument pas vieilli. La fraîcheur revigorante du style, l'insouciance du contexte culturel (on peut y voir un certain manifeste de la libéralisation des mœurs sexuelles), frappent notamment en plein visage et proposent une expérience probablement aussi bousculante que pour les spectateurs de 1973. Le souffle de liberté qui traverse le film, aussi bien dans le fond que dans la forme, est absolument délectable.
D'une histoire simple - l'amour fou et charnel entre deux jeunes libertaires, jusqu'au point de rupture -, Verhoeven tire un film incroyablement percutant grâce à son regard à la fois très porté sur le comique et sur l'intrusion. Sa caméra refuse en effet l'intimité et se fixe justement pour objectif d'appréhender une relation amoureuse dans tous les recoins que la chasteté tairait en temps normal. Démarche provocante qui se gausse des hypocrisies pudibondes et qui se traduit par un film aussi décomplexé que fascinant dans sa franchise. Avec son style très direct et réaliste, Verhoeven s’immisce dans le quotidien et la sphère privée de ces deux jeunes, si bien que le spectateur a l'impression de connaître intimement ces personnages entiers et attachants même dans leurs défauts. La fascination du cinéaste pour le sexe, ce qu'il représente, donne ici lieu à une démonstration aussi audacieuse qu'érotique et authentique. La trivialité coutumière de Verhoeven trouve dans
Turkish Delight un accomplissement réellement émouvant parce que, loin du regard ironique qu'il portera ultérieurement dans ses films américains, il met en scène une romance charnelle mue par des élans passionnés et purs. Rutger Hauer et Monique van de Ven (très bons) semblent réellement amoureux l'un de l'autre, et leurs ébats et apprentissages sexuels illustrent un regard très habile sur la chose (avec Almodovar ou quelques rares autres cinéastes, Verhoeven représente le sexe de manière vraiment humaine et naturelle). En même temps, résumer le film à ses scènes scabreuses, voire scato, serait réducteur car le cinéaste nous parle bien au fond d'un sentiment amoureux dévorant. C'est ce qui rend d'ailleurs si viscérale la détresse de Hauer quand Olga s'éloigne de lui. On a l'impression d'être nous-mêmes trahis, c'est très fort émotionnellement. Et quand Erik dégueule sur tout le monde, il matérialise presque le sentiment profond du spectateur. En même temps qu'il dépeint cette complicité sexuelle et la démonstration charnelle de cet amour, Verhoeven livre par ailleurs un commentaire étrangement désabusé, annonciateur de la suite de son œuvre (le personnage de Rutger Hauer est un obsédé, dont la propension à la domination aura d'ailleurs raison de l'amour de sa chérie).
Bref, un film pas exempt de choses un peu trop appuyées mais qui délivre un portrait d'une romance trop forte, aussi drôle qu'électrisante. Grand film, qui laisse un souvenir puissant.