Le mariage de Maria Braun (1979)
Si mon enthousiasme restera encore très modeste, ce Fassbinder a au moins l'avantage d'être accessible et de ne pas trop s'illustrer par les tics qui, jusqu'ici, auront entretenu mon franc rejet de son œuvre. Il me semble avoir lu quelque part que
Le mariage de Maria Braun marquait le début de l'occidentalisation de Fassbinder dans le sens où ses films cherchaient à s'adresser à un public élargi au-delà des frontières allemandes. Ça se sent un peu. Esthétiquement, le film est un peu plus léché que tous les films antérieurs que j'ai pu voir, et le contexte historique commande une retenue stylistique qui nous épargne tous ces effets fassbinderiens de miroir ou de zooms des années 1970. En se confrontant au passé proche de son pays, le cinéaste accouche d'un film à mon sens moins marqué par la Nouvelle Vague allemande que par un certain classicisme d'usage. Non pas que je sois franchement conquis. Je retrouve en effet dans
Le mariage de Maria Braun les caractéristiques formelles de
Lili Marleen, le tout premier Fassbinder que j'ai découvert : une reconstitution limitée par le budget, une certaine esthétique bourgeoise aux filtres chic et toc (je n'ai pas arrêté de penser aux
Jours et nuits de China Blue), un portrait d'une Allemagne des années 1940 qui manque encore pour moi d'incision, trop
glamour. Il y a, dans ce film et dans
Lili Marleen, la tentation d'une glamourisation chiquée de l'image qui, en plus de ne pas avoir forcément très bien vieilli, mérite qu'on s'interroge si elle n'est pas hors de propos par rapport au contexte historique dépeint. Dans
Maria Braun, la représentation des conditions de vie des Allemands après la défaite est pour moi trop sage, trop facile, très en-deçà des réalités terribles que, paradoxalement, le cinéma américain a évoqué, à chaud, avec plus de pertinence. C'est trop... gentillet, en fait. Ça ne me convainc pas vraiment. C'est plus vers le fond que je me tourne pour trouver des points positifs. En effet, si la reconstitution laisse à mon goût à désirer, et si la construction chronologique est mal foutue faute de repères dans le temps, c'est par le prisme du personnage-titre que Fassbinder questionne le plus pertinemment l'Histoire. Je dois dire que Maria Braun m'a fait pas mal penser à Ellis de Vries de
Black Book. Les deux films nous parlent en effet de la capacité d'accommodement de femmes face à leurs propres valeurs, ce qu'elles sont prêtes à négocier vis-à-vis d'elles-mêmes pour survivre. Entre opportunisme parvenu et lucidité froide, fidélité maritale et complexité sentimentale, l'ambiguïté de Maria Braun assure son ascension matérielle en même temps qu'elle la perd humainement. Bref, pas une évocation très glorieuse de la reconstruction allemande post-1945. Néanmoins, ce personnage ne m'a intéressé que lointainement, parce que son apathie, puis son antipathie à mesure qu'elle s'élève, m'éloignent de son drame personnel. C'est dommage parce que l'idée qu'elle fasse tout ça (ou dise le faire) pour bâtir un avenir meilleur avec son mari au trou, était bonne. Et Hanna Schygulla a le talent pour donner à son personnage toutes les nuances nécessaires. Mais comme souvent avec Fassbinder, je ne ressens aucune authenticité, aucune émotion, les dialogues ou les situations sonnent vraiment faux tant ils sont étudiés, et les personnages sont brinquebalants. Regardez le personnage du militaire US noir. Comment il est expédié, et comment l'histoire continue comme si de rien n'était. Ou le mari, disparu puis revenu, qui s'accuse du crime de sa femme, qui purge sa peine puis disparaît à nouveau, avant de réapparaître... ouais, les détours de l'histoire me laissent sceptiques. C'est donc un constat moyen sur l'ensemble.
Le droit du plus fort (1975)
Me sentant très éloigné des thématiques fassbinderiennes sur les minorités sexuelles (aaah,
L'année des treize lunes ), je n'ai malheureusement pas trouvé grand-chose qui m'ait accroché dans ce
Droit du plus fort, récit d'une liaison homosexuelle entre un jeune paumé qui donne son fric à tour de bras (joué par Fassbinder lui-même, qui aime se filmer la bite à l'air et filmer la bite de ses acteurs) et un profiteur moustachu. Beaucoup de longueurs, un look général extrêmement daté (costards, ameublement, esthétique de
Derrick deluxe...), pour une histoire qui noie son audace - non pas en termes graphiques, car le film, à part sa collection de quéquettes à l'air, fait preuve de beaucoup de pudeur, mais dans la provocation d'une démarche sans tabous - dans les habituels tics du cinéaste. Je trouve le passage au Maroc grotesque. Ce n'est que lorsque le personnage joué par Fassbinder commence à comprendre que son conjoint l'a floué que le film a commencé à me plaire, parce qu'il libérait à ce moment une douleur intime, sincère, débarrassée des oripeaux qui me déplaisent dans le cinéma du monsieur. Faut pas croire, hein, ça m'attriste quand même de rester de marbre, au mieux, face aux films de Fassbinder. Mais Père Jules faisant une aversion totale à De Palma, je pense qu'il comprendra un tel hermétisme de ma part.
Belle fin sinon, noire et sèche.
Tous les autres s'appellent Ali (1974)
Son meilleur film et de loin, pour moi. La raison est simple : Fassbinder s'efface derrière une histoire modeste, simple, qui va droit au but. Certes, Sirk est déjà passé par là mais l'intemporalité et l'universalité du thème permettent sa ré-exploitation. Le lien entre Ali et la vieille dame enthousiasme par sa douceur et son naturel, voilà des personnages qui ne me semblent pas fonctionnels ! J'ai bien aimé la méchanceté de la construction scénaristique, qui réservera aux deux l'opprobre. Dans un premier temps, j'avais tiqué sur le manichéisme général bien marqué, mais j'ai apprécié que l'histoire se donne justement le temps d'inverser les tendances, d'apporter des nuances et de nouvelles difficultés. Le tout se concluant de bien sombre manière, la victoire sur l'entourage n'étant qu'un pis-aller face à la défaite à venir sur la maladie. Un bon film, même si la facture visuelle de Fassbinder ne recevra décidément pas mon adhésion.