Du silence et des ombres
Des feuilles qui s’envolent, une balancelle qui frémit, une véranda mal éclairée, quelques objets insolites surgissant dans le ceux d’un arbre et conservés précieusement dans une boîte à trésors… Avec un sens du merveilleux, une poésie gothique suffisamment sensibles pour évoquer La Nuit du Chasseur, Mulligan excelle à dépeindre le monde envoûtant et morbide de deux gosses découvrant la grandeur de leur père, avocat libéral lucide et courageux, très beau personnage fordien auquel Gregory Peck apporte sa formidable présence. Les années n’ont pas terni la délicatesse, l’inspiration plastique, la mélodie intime de ce superbe récit initiatique, dont la vérité est capable d’ébranler des murailles, à l’image des deux mots innocents prononcés à la fin par l’irrésistible Scout : "Hey Boo". 5/6
Une certaine rencontre
Il fallait une certaine audace pour traiter frontalement, en ce début des années soixante, de sujets aussi proscrits que l’avortement ou les relations sexuelles hors mariage, et pour les intégrer au sein d’une peinture sociale puisant, au-delà du pittoresque italo-américain, au cœur de la réalité (poids des traditions familiales, besoin d’émancipation, chômage de masse). New York devient ici un personnage à part entière qui baigne de ses pulsations cette ballade "mélancomique", intime et affectueuse, très moderne dans ses accents comme dans sa dramaturgie. Natalie Wood, toujours aussi merveilleuse en jeune femme libre, indépendante, sans attaches, et Steve McQueen, brave garçon assumant ses responsabilités, y composent un couple à son image : riche, alchimique, profondément attachant. 5/6
Daisy Clover
Devenue star après en avoir longtemps rêvé, une étoile née d’un miracle s’aperçoit qu’elle n’est que la marionnette d’un producteur cynique, froid et exagérément cruel. Sous des dehors de superproduction aux trois quarts déserte, Mulligan réalise un film de silence, d’angoisse, d’ombre et de glace, qui refuse le confort du "coulé" narratif propre au récit mythique traditionnel. Quelques Cadillac-corbillards glissent le long d’avenues vides, la légende d’Hollywood paraît conservée dans d’immenses studios comme dans un columbarium, et Daisy, esclave du rôle qu’on lui a forgé, devra trouver la force de s’évader de sa cage dorée, de cette cage de verre où elle se double vocalement avant de s’écrouler, anéantie, devant son image géante. Belle prestation, quasi autobiographique, de Natalie Wood. 4/6
Escalier interdit
Une jeune professeur d’anglais débute dans un lycée défavorisé du Bronx. Mal accueillie, chahutée, elle va d’échecs flagrants en petites réussites, d’espérance en découragements, se voit acculée à la démission avant que la preuve de son efficacité pédagogique ne la fasse revenir sur sa décision. Thème conventionnel s’il en est, dont on retrouve le déjà vu et l’attendu aussi bien dans les situations qu’à travers la nature des personnages, surtout secondaires. Malgré le catalogue de poncifs, le cinéaste ne néglige rien pour rendre vraie son héroïne, restituer sa vocation d’enseignante ou encore exprimer cette idée très américaine : réussit dans la vie qui veut réussir, échoue qui accepte sa faiblesse, et aucune structure sociale, si mauvaise soit-elle, ne peut venir à bout de la générosité et de la volonté humaine. 4/6
L’homme sauvage
L’argument, d’une simplicité minimaliste, est un développement naturel du thème de La Prisonnière du Désert : une Blanche captive des Indiens est retrouvée des années après avec un fils qu’elle a eu du chef de la tribu. L’éclaireur qui a organisé le sauvetage se décidant à emmener la mère et l’enfant dans son ranch du Nouveau-Mexique, leur périple s’achemine vers la tension d’un huis-clos tandis qu’ils sont assiégés par l’ennemi invisible lancé à leurs trousses. Avec ce western laconique, réduit à quelques situations exploitées de manière étonnamment concrète, Mulligan fait glisser l’antagonisme intellectuel vers un affrontement purement physique, se montre attentif au rapport des personnages à un espace vidé de tout au profit de la violence, et ose assumer le parti pris d’une singulière nudité narrative. 4/6
Un été 42
La chronique estivale est le genre par excellence des initiations adolescentes. Souvent désopilante avec ses trois garçons en vacances qui multiplient bavardages, facéties et chamailleries, qui éprouvent leurs premiers émois, expérimentent découvertes et approches sexuelles avec cette gaucherie, cette maladresse un peu rude caractérisant un âge où l’on est grossier en affichant un mélange de naturel et de provocation, celle-ci fait de la minceur de son sujet un atout pour mieux capter l’indicible sentiment qui taraude à la remémoration d’un temps enfui. Le soin apporté à la photographie, le charme insidieux dispensé par le décor et le climat, la mélancolie diffuse qui s’en exhale ajoutent encore à la délicatesse de son trait. Quant à Jennifer O’Neill, elle l’illumine de sa subjuguante beauté. 4/6
L’autre
Le ciel pur entre les arbres, des courses éperdues dans les sous-bois, une grange aux mystères renouvelés, une vieille boîte dans laquelle tinte le trésor dérisoire… Si la chaleur ensoleillée, les occupations des jeunes héros et la langueur du climat évoquent Un Été 42, Mulligan enferme bientôt dans un jeu de glaces de plus en plus déroutant. Le script est un mécanisme dont les ressorts multiplient les sources de peur, les signes, les révélations, les rêves, et la fiction investit un fantastique de type anglo-saxon, à la Nathaniel Hawthorne. Avec ce film troublant sur la logique secrète du monde de l’enfance, le cinéaste étudie les manifestations d’une psychose du dédoublement, distille un effroi qui vient plus de la suggestion que de la figuration, et invite sans supercherie à la découverte du Mal, jusqu’à son triomphe. 4/6
Un été en Louisiane
Si le charme de l’anachronisme ne saurait constituer un présupposé favorable, il convient de saluer l’audace tranquille de Mulligan, dinosaure renouant ici avec des thèmes, situations, lieux et personnages familiers. Une adolescente découvre l’amour et la douleur de le perdre, dans un décor agreste idyllique du Deep South : ce old swimmin’hole de la tradition rurale, site de joyeux plongeons et de flirts innocents, morceau d’Americana dépeint comme l’amer paradis de l’enfance. Constamment le film risque de basculer dans la praline tendance cucul (certains ralentis extasiés flirtent avec la limite), mais toujours la finesse pudique du regard, le climat quasi griffithien, l’accord entre le cadre, le moment et l’action en nourrissent l’émotion. Et du haut de ses quatorze ans, Reese Whiterspoon crève l’écran. 4/6
Mon top :
1. Du silence et des ombres (1962)
2. Une certaine rencontre (1963)
3. L’autre (1972)
4. Un été 42 (1971)
5. Un été en Louisiane (1991)
À l’aune de ces quelques films, Mulligan m’apparaît comme un cinéaste doté d’une réelle sensibilité, attentif à la caractérisation psychologique de ses personnages, et dont il est facile d’énumérer thèmes, tropes et préférences : enfance, adolescence, fascination nostalgique pour le passé, angoisse, menace incertaine, inquiétude, explorés dans un style qui unit fluidité pudique et notes modernistes.