Le Brigand bien aimé (The True Story of Jesse James - 1957) de Nicholas Ray
20TH CENTURY FOX
Avec Robert Wagner, Jeffrey Hunter, Hope Lange, David Carradine, Agnes Moorehead
Scénario : Walter Newman d'après celui de Nunnally Johnson pour le film d’Henry King
Musique : Leigh Harline
Photographie : Joseph MacDonald (De Luxe 2.35)
Un film produit par Buddy Adler pour la 20th Century Fox
Sortie USA : 22 mars 1957
Ce début d’année 1957, avec quatre westerns consécutifs concernés, est décidément placé sous le signe des conséquences désastreuses de la Guerre de Sécession pour les ‘Southerners’. Le prologue du
Brigand bien aimé fait incomber principalement la chute de Jesse James du mauvais côté de loi à ce conflit fratricide et aux malversations des profiteurs nordistes qui se sont déversés sur le Sud après l’armistice. Ce constat étant fait, certains seront curieux de savoir s’il s’agit ou non d’un remake ou resucée du film d’Henry King daté de 1939, puisque d’une part tous deux se sont vus attribuer le même titre français, de l’autre le scénariste Nunnally Johnson est présent aux génériques des deux films. Qu’importe dans l’absolu puisque tout le monde a le droit de s’approprier plusieurs fois la même histoire sans nécessairement voir son travail être taxé de plagiat si sa vision des faits ou le style de son œuvre divergent ! Mais qu’il le soit ou non, il est cependant clair que le ton des ces deux versions (parmi moult autres à propos du célèbre bandit et de son gang) est totalement différent. Au doux romantisme de King succède une volonté chez Ray de plus grand réalisme anti manichéen tout à fait louable. Seulement les intentions du réalisateur de
La Fureur de vivre vont se heurter à son producteur et le cinéaste reniera toujours son film ainsi charcuté ; à sa vision on peut le comprendre tant le résultat s’avère, à mon humble avis, catastrophique ! Mais le fait de ne pas avoir eu les coudées franches quant à la construction, aux idées et au montage n’excuse pas tout, et en effet, le cinéaste qui nous avait pourtant offert dans le genre le sublime
Johnny Guitar trois ans plus tôt, n’est pas exempt de culpabilité dans ce fiasco artistique. Nous y reviendrons après en être passé par la genèse de cette ‘histoire vraie de Jesse James’ qui, aux dires même des historiens, n’apparait pas plus vraie que d’autres versions précédentes.
Après le raid désastreux contre la banque de Northfield, Jesse James (Robert Wagner) et son gang sont ardemment poursuivis par les autorités ; avec d’autant plus de 'ferveur' que la prime pour leur capture est devenue sacrément croquignolette. Les renégats tombent tous les uns après les autres sous les balles des hommes de loi. Seuls Jesse, son frère Franck (Jeffrey Hunter) et un troisième comparse ont réussi à trouver une planque dans une grotte. Pendant ce temps, dans sa maison familiale du Missouri, la mère des frères James (Agnes Moorehead) est morte d’inquiétude ; elle se lamente et met sur le dos des Yankees le fait que ses rejetons aient mal tournés. Elle commence à se remémorer le passé pour essayer de comprendre comment ses fils ont pu arriver à se fourrer dans de telles dramatiques situations. Tout a commencé le jour où Frank a décidé de rejoindre les rangs du franc-tireur Quantrill alors que la Guerre de Sécession faisait rage. Lorsque des soldats nordistes arrivent à la ferme des James pour interroger l’aîné dans le but d’obtenir des renseignements sur l’armée de Quantrill, ils ne trouvent que Jesse qui, après s’être fait fouetté, se révolte et part retrouver son aîné. A la fin du conflit, Jesse demande en mariage la nièce d’un de leurs voisins, la douce Zee (Hope Lange). Alors qu’ils pensent enfin couler des jours heureux, des sympathisants Nordistes arrivent à leur ferme, la détruisent et pendent haut et court un de leurs hommes de main pour avoir fait partie des Quantrill’s Raiders. De peur que leur tour arrive et dans le but de reconstruire leur propriété, Jesse et Frank réunissent d’anciens compatriotes confédérés afin d’aller cambrioler une banque, jurant que ce sera un coup unique et qu’ils retourneront à la vie civile après ce hold-up. C’est pourtant le début d’une infernale spirale de violence. D’autres flashbacks essayeront de cerner la personnalité du chef de cette bande célèbre entre tous…
En 1939, Henry King réalisait
Jesse James, un western mémorable par la douceur de son ton racontant à la manière d'une chronique la vie des deux célèbres hors-la-loi, les frères Franck et Jesse James, et qui se terminait par l’assassinat de ce dernier par Bob Ford. 17 ans plus tard, la 20th Century Fox décide de produire un remake de ce film, l'un de leurs plus grand succès de l'époque, en profitant pour essayer de promouvoir quelques uns de leurs jeunes valeurs montantes, en l’occurrence Robert Wagner, Jeffrey Hunter et Hope Lange.
La Fureur de vivre (Rebel without a Cause) venant de faire un tabac, on propose à Nicholas Ray (qui contractuellement devait encore un film au studio) de s’occuper de ce projet mettant à nouveau en vedettes de jeunes gens. On compte secrètement sur lui pour qu’il arrive à ce que Robert Wagner fasse aussi forte impression sur le public que James Dean précédemment. Attiré par les jeunes rebelles qui ont d’ailleurs souvent peuplé son univers cinématographique, très attaché au mythe qui entoure le célèbre bandit, Nicholas Ray est enthousiaste et accepte immédiatement de prendre les rênes de cette nouvelle version de l’histoire écrite par Nunnally Johnson. Très proche de la culture folk, passionné par Woodie Guthrie, il décide de bâtir son film autour de la fameuse ballade intitulée
‘Murder Song’ que le chanteur avait interprété à de nombreuses reprises et qui viendrait rythmer son récit. Malheureusement, il se heurte à son producteur Buddy Adler qui a bien d’autres idées sur comment devra être ce western, et qui calme immédiatement les velléités artistiques de son réalisateur, l’obligeant à se plier à ses exigences scénaristiques. Trouvant l’idée déraisonnable, il refuse tout d’abord son choix de prendre Elvis Presley pour interpréter le fameux outlaw alors que ce dernier avait accepté la proposition avec un fort engouement. Mais, au vu de sa prestation dans
Love me Tender quelques mois plus tôt, je ne suis pas certain que ça aurait été une meilleure idée que le choix de Robert Wagner. Le producteur décide ensuite de construire le récit à partir de trois flashbacks qui expliqueraient de fond en comble les actes et motivations de leur antihéros. Même si son rêve de ballade romantique et émotionnelle temporellement morcelée se voit balayé d’un revers de main par Buddy Adler, Nicholas Ray ne lâche pas l’affaire et se lance dans le tournage. Sans que ça n’ait été prouvé, il semblerait qu’il ne soit cependant pas resté jusqu’au bout sur le plateau et qu’il n’aurait pas eu le droit de mettre les pieds dans la salle de montage.
Les conflits entre le réalisateur et le producteur aboutissent à ce que ce western, qui avait tout pour être captivant déjà par le fait de convenir parfaitement à l'univers du cinéaste, devienne un monument d’ennui. De multiples pistes passionnantes sont bien présentes et sont à l’origine de quelques bonnes séquences, malheureusement perdues au milieu d'une grisaille générale guère enthousiasmante. Il était intéressant de voir le mythe du brigand bien aimé démystifié, notamment au travers de cette scène voyant Jesse et ses hommes rire des articles de journaux présentant leur chef comme un honorable Robin des Bois, ou au travers de cette autre, sidérante de cynisme, au cours de laquelle Jesse, pour passer pour plus bienveillant que son coéquipier auprès d’une vieille dame qui les accueille, apprenant que cette dernière est menacée d'expulsion par le propriétaire, règle l’imposante dette de la femme avant d’aller récupérer la somme auprès du créancier une fois que celui-ci s’est fait payer. Des séquences assez jubilatoires qui ne sont malheureusement que très rares, le reste étant dilué dans une chronologie totalement dénuée de sens et qui nous empêche de ressentir la moindre empathie envers n’importe quel personnage. A ce propos, le choix du casting et la direction d’acteur y sont également pour beaucoup, Nicholas Ray n’ayant pas réussi à faire vivre ses protagonistes (tous portraiturés sans profondeurs), faute également à des comédiens qui ne semblent pas concernés, tous aussi fades les uns que les autres, que ce soit, pour ne parler que des têtes d’affiches, Jeffrey Hunter, que l’on a connu dernièrement bien plus inspiré (
La Prisonnière du désert ;
Le Shérif…) ou surtout Robert Wagner incapable de par son total manque de charisme de donner le moindre poids, le moindre caractère, la moindre sensibilité à son Jesse James. L’auteur ayant eu l’air hésitant quant à se décider si Jesse devait être vu comme un outlaw malgré lui ou comme un égoïste cynique finissant par être fasciné par la violence, l’acteur ne sait pas non plus comment s’y prendre et le résultat est que c’est le spectateur qui en pâtit, finissant par se fiche totalement de ce qui peut bien lui advenir de bon comme de mauvais.
Concernant le reste de la distribution, on regrette que la grande Agnes Moorehead ait été à ce point sous-employée, on trouve amusant de voir John Carradine, déjà présent dans la version King dans le rôle de Bob Ford, tenir ici celui du révérend Bailey, et on se dit que si Nicholas Ray avait eu plus d’emprise sur son film, le personnage jouée par Hope Lange aurait pu apporter un romantisme et un lyrisme qui manquent cruellement ici malgré le fait qu’ils fassent habituellement partie des éléments les plus représentatifs du style du cinéaste. D’ailleurs, Le nom de Ray n’aurait pas été indiqué au générique que nous n’aurions jamais pu deviner qu’il était le réalisateur tellement son western est dépourvu de tout ce qui jusqu’ici nous faisait trouver son œuvre remarquable et (ou) originale et novatrice, y compris son habituelle sensibilité à fleur de peau. Autant nous étions émus par les couples de
Les Amants de la nuit (They Live by Night),
Johnny Guitar ou
La Fureur de vivre, autant celui de ce western nous laisse de marbre. Même la musique mélodramatique de Leigh Harline n’arrive pas à nous procurer le moindre frisson. Quant à la mise en scène proprement dite, elle ne s’avère guère plus brillante, tout comme le film s'avère plastiquement assez décevant à l'exception du travail à la photo de Joseph MacDonald. Et pour s’en persuader, il suffit de comparer ce film avec la version d'Henry King. A plusieurs reprises, Nicholas Ray parait vouloir rendre hommage à son aîné, reprenant la même iconographie, voire les mêmes séquences comme celle du saut des deux frères à cheval du haut d’une falaise dans la mer, ou bien la traversée de la vitrine par les chevaux lors du hold-up ; malheureusement, il se contente ici de reprendre certains plans du film précédent, la colorimétrie n'étant ainsi pas raccord. Quant en revanche il tente de refaire lui même certaines séquences, comme celle, fameuse, de la première attaque ferroviaire avec Jesse courant en nocturne au dessus du train, le montage s’avère calamiteux avec faux raccords à la pelle. Parmi les scènes réussies citons celle très efficace et assez réaliste qui ouvre le film, celle de l’attaque de la banque de Northfield qui préfigure le cinéma de Sam Peckinpah, mais que les auteurs se sentent devoir réutiliser presque à l’identique vers la fin du film sans quasiment changer le point de vue, rajoutant juste quelques plans filmés de l’intérieur de l’établissement.
Hormis quelques fulgurantes séquences ici et là, la déception est presque totale devant ce western figé, sans vie et sans âme, qui donne de plus l’impression d’être totalement factice à l’image de ses décors en intérieur (c'était une des options de départ de Ray de réaliser son western tout en studio et de manière très théâtrale ; mais en l’occurrence, avec les remaniements voulus par Adler, ça ne marche plus vraiment). Heureusement, la photographie en cinémascope de Joseph Macdonald est superbe et nos bandits vêtus de leurs cache-poussière sont vraiment cinégéniques. Oublions vite ce western massacré en partie par le producteur (avec des trous béants dans le scénario qui oublie de nous présenter certains personnages comme les enfants de Jesse ou l’épouse de Franck, qui arrivent comme des cheveux sur la soupe) et espérons que la version non-remaniée (qui existerait encore aux dires de Bertrand Tavernier) puisse être un jour ressortie des cartons afin de pouvoir constater l’ampleur ou non des dégâts. Ce désastreux découpage et ces ridicules fondus-enchainés enfumés précurseurs des flashbacks pourraient ainsi peut-être nous être épargnés ! Des figures mythiques de l’Ouest américain qui ont connu résurrections plus charismatiques et prestigieuses au sein d'un film sans saveur à l’image du caractère de Jesse qui demande à ce que l’on enlève de son salon l’indécent tableau ‘
Venus et Mars’ de Rubens pour le faire remplacer par un autre plus ‘édifiant’ ! Le point de vue et les intentions étaient intéressants sur le papier : il n’en reste plus grand-chose à l’écran et je suis le premier à en être peiné après avoir été enthousiasmé comme rarement par son inégalable
Johnny Guitar. Une entreprise de démystification pesante, fumeuse et inaboutie qui se termine néanmoins par quelques détails amèrement croustillants comme celui de Bob Ford jubilant d’avoir tué son ami ou encore ces quidams quittant la chambre mortuaire de Jesse en volant des objets souvenirs qu’ils pensent peut-être pouvoir ensuite revendre. Ces détails sont d'autant plus frustrants qu'ils nous donnent une idée de ce que le film aurait pu être. Si quelques classiques du genre m'ont évidemment déçu, il y en a finalement très peu que j'ai rejeté en bloc : ils ne doivent pas même se compter sur les doigts d'une main ; mais celui-ci en fait partie !