Shanghai express (1932)
En Chine, les passagers du Shanghai express sont pris en otage par le chef de la Rébellion.
Shanghai express est un film étrange, à la fois comédie, film de guerre ou d'espionnage et film d'amour. En effet, le film débute comme une pure comédie avec ces occidentaux qui quittent Pékin pour rejoindre Shanghai à l'abri de la guerre civile, on y retrouve un officier français, une vieille anglaise et son chien, un américain, un médecin, un pasteur, un infirme, et deux femmes séductrices, une chinoise qu'on imagine courtisane et Shanghai Lily, une occidentale, il y a aussi ce chinois qui va se révéler être tout à fait autre que celui qu'il prétend être. Le film bascule alors dans l'horreur de la guerre civile, et dans la prise d'otage du Docteur anglais, le seul intéressant car il doit sauver la vie de quelqu'un d'important à Shanghai et semble être une bonne monnaie d'échange. Une fois cet épisode passé, on retombe dans la comédie et dans l'histoire d'amour pure.
On admire le génie de Sternberg dans les prises de vue de ce train, que ce soit dans l'esthétique rigide de l'exterieur des wagons ou la force locomotrice de la machine, dans la multitude de détails, cette foule grouillante qui va dans tous les sens. Il y a tellement d'action en même temps dans les scènes de foule qu'on ne sait plus où regarder, il y a aussi l'expressionnisme évident de la fusillade et cet enchainement de séquences les unes sur les autres, des fondus enchainés très lents, avec superposition des scènes.
On admire aussi la manière dont les cadrages sont faits à travers des poutrelles, des vitres, des voilages, amplifiant ainsi le côté "bizarre" et oppressant de cet arrêt prise d'otage. Il y a aussi cet humour qui semble plus anglais qu'américain avec cette vieille dame et son chien. Sternberg alterne en plus admirablement le huis clos du train et de la prise d'otage avec la grandiloquence des scènes de gare.
Et puis il y a Marlène Dietrich qui n'a jamais été aussi belle et bien photographiée que par son mentor, que dire de ses gros plans, la main tremblante tenant une cigarette, ou cette main et ce visage collés derrière une vitre. Elle est certes parfois un peu too much dans certaines expressions, mais passe quand même admirablement du drame à la comédie. Clive Brook fait irresistiblement penser à Herbert Marshall, et on se dit que ce dernier aurait sans doute mieux su rendre l'ambivalence de l'homme d'honneur et de l'homme amoureux, il y a aussi un tout jeune Eugene Pallette, grand second rôle du cinéma américain. Anna May Wong se montre ambivalente à souhait dans son rôle de "courtisane".
Sternberg réalise une fois de plus un film à l'esthétique magnifique, à l'exubérance assumée qui annonce l'Impératrice rouge. Bref un superbe film.
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La Belle Ensorceleuse, The Flame of New Orleans (1941)
A la Nouvelle Orléans, une aventurière fait tout pour épouser un riche banquier, mais elle rencontre par hasard un marin sans le sou, ce qui va contrarier ses projets.
Tourné un an avant I Married a witch, René Clair signe ici une comédie sentimentale qui change de ses autres films américains axés sur le fantastique. Ici rien de tout cela, par contre la narration du film est assez intéressante, avec dès le début la découverte sur le Mississipi d'une robe de mariée, et une église où un marié attend une promise qui ne viendra pas. Du coup on nous conte ce qui s'est passé avant sous forme d'un Opéra avec l'allusion très claire à Lucia di Lammermoor, que ce soit par l'Opéra joué auquel on assiste ou toute l'histoire, même si la fin ne sera pas aussi tragique bien au contraire que dans l'Opéra, mais le parallèle est évident avec cette femme qui doit épouser un homme mais en aime un autre, des éminences grises qui mettent le "ver" dans la pomme, une dame de compagnie fort proche incarnée par l'esclave complice de sa maîtresse. Le film est assez curieux et est à la fois une réussite et un ratage. Côté réussite, on peut souligner une fois encore le sens évident du rythme de la comédie, les scènes aussi où le drame nait et la rumeur qui passe silencieusement de visage en visage alors que la jeune femme chante en s'accompagnant au piano. Il y a aussi cette facilité à filmer les scènes de foule, ou de bal. Côté échec, il y a surtout l'interprétation de Marlene Dietrich, on a du mal à croire à cette aventurière, on voit tellement qu'elle feint ses évanouissements ou qu'elle parle faux, qu'on se demande comment les autres protagonistes de l'histoire ne peuvent pas voir qu'elle n'est pas qui elle est. Par contre elle excelle quand elle devient la cousine gouailleuse, vulgaire qui est plus son registre habituel. Roland Young est par contre excellent en vieux banquier amoureux de cette beauté et prêt à se battre en duel dès qu'un mot de travers est prononcé sur sa fiancée. Le rôle du marin est assez curieusement construit, présent au début du film, totalement absent pendant une grande période puis de nouveau présent pour la conclusion, Bruce Cabot l'incarne non sans charme. Il y a aussi Misha Auer en commerçant russe, Theresa Harris est excellente en domestique complice, tout comme Anne Revere en soeur du banquier. René Clair excelle dans la confrontation entre ce milieu huppé américain et cette aventurière qui a bourlingué à travers toute l'Europe, le rythme est enlevé, mais c'est sans doute le film américain le plus faible du réalisateur, malgré des qualités indéniables dont une conclusion osée avec ce bras nu dans la cabine d'un bateau qui jette sa robe. En tout cas, un film agréable quoiqu'il en soit.