Les Indestructibles 2 (Brad Bird, 2018)
Le prodige du premier volet tenait en grande partie dans le dialogue égalitaire entre monde réel (la vie quotidienne d’une super-famille) et accélérations fantastiques, à travers lequel défi technique et fermeté du récit faisaient feu de tout bois. En bon transfuge de l’animation traditionnelle, Bird reconduit la formule magique et nous gratifie d’une suite haut-de-gamme qui compense un scénario prévisible par une inventivité folle, tant dans la mécanique hilarante du gag que dans la profusion très lisible de l’action. Que l’on ne trouve pas une seconde pour s’y ennuyer n’empêche pas de peser à chaque instant la profondeur de cette aventure en ligne claire, dont la générosité consiste à unifier prosaïque et extraordinaire : sauver le monde ou élever les mômes, l’exploit se tisse d’une seule et même étoffe. 5/6
Au poste ! (Quentin Dupieux, 2018)
Ils ne s’appellent pas Gallien et Martinaud mais Buron et Fugain. Le procès verbal est tapé sur une vieille machine à écrire, et le mobilier rétro du commissariat fleure bon le décorum mitterrandien. Pourtant un téléphone mobile surgit, incongru, tel un pied-de-nez au programme que le réalisateur prend un malin plaisir à suivre tout en faisant semblant de le saboter. Tout est limpide, évident, rigoureusement à sa place, y compris ce qui relève du plus invraisemblable, et l’on se laisse absorber par ce petit théâtre de la paranoïa ordinaire, dont la sobriété visuelle relaie la vélocité burlesque du dialogue, comme par une farce qui ne cesserait de courir après sa chute – laquelle s’avèrera d’ailleurs parfaitement déceptive. L’exercice pourrait être anodin, il amuse et stimule car il est signé Dupieux. C’est pour ça. 4/6
La vie privée d’un sénateur (Jerry Schatzberg, 1979)
À Washington, le sénateur Joe Tynan grenouille avec ses pairs ; à New York, il joue au père de famille remarquable et à l’époux modèle. Ses tribulations ne constituent somme toute que les écarts traditionnels d’un bourgeois écartelé entre les émois de la chair et les diktats de la raison. Ainsi ce qui aurait pu être une charge féroce contre les turpitudes et compromissions de la vie politique américaine relève plutôt de la comédie de mœurs sans conséquence. Dans ses meilleurs moments, Schatzberg donne corps au sujet qui le parcourt : la réalisation d’un fantasme de pouvoir comme désintégration des rapports privés et éclatement de la structure familiale. Mais son inspiration est quelque peu bridée par sa dépendance au scénario, et son écriture errante s’accommode mal d’un carcan dramatique trop préconçu. 4/6
L’île au trésor (Guillaume Brac, 2018)
L’île de loisirs de Cergy Pontoise était déjà au centre de la première partie des Contes de Juillet. En voici le versant documentaire, papillonnage lumineux et bigarré par lequel le cinéaste enregistre à travers quelques échantillons un état commun de sérénité prolongée, en n’évitant pas toujours les écueils de la ténuité et de la répétition. La gravité est tenue à distance d’un regard tout aussi exempt de nostalgie, quand bien même les souvenirs et les facéties de l’enfance y tiennent une place prépondérante. Avec un optimisme chaleureux et bienveillant, le film s’attache ainsi aux gamins resquilleurs, aux ados dragueurs, aux retraités paisibles, aux plongeurs turbulents, plaisanciers suavement alanguis dans l’utopie d’un imaginaire aventurier, propice au bonheur simple de la rencontre et de la vacance. 4/6
Light sleeper (Paul Schrader, 1992)
Si le film ne révolutionne pas la manière américano-bressonnienne de son auteur, il la place à son niveau d’inspiration le plus immédiat, autrement dit le plus physique. C’est moins le récit conventionnellement rédempteur qui happe ici qu’un climat nocturne et légèrement somnambulique, accordé à un scénario de thriller urbain faisant trembler les frontières morales. Dans le clair-obscur ambré d’un New York d’ombres, à l’abri du soleil comme de la lune, l’errance suave du pèlerin, ange déchu sur le point de renaître, vaisseau de colère et d’amour en quête d’une expression personnelle, passe par l’hôpital, les pompes funèbres, les boîtes de nuit, la prison, dessinant un mouvement feutré vers la transformation par la grâce, la force de la douceur – que mon adorée Susan ne saurait mieux personnifier. 4/6
La fête à Henriette (Julien Duvivier, 1952)
En montrant deux auteurs en quête de personnages et de situations, le cinéaste fait entrer le virus dissociant du pirandellisme en action. Évoquer artificiellement des sensations par des procédés devant aider à clore le récit, ouvrir par l’acuité du regard et fermer par l’utilisation de "trucs" souvent associés à des thèmes mélodramatiques : il cherche le scénario qui lui permette d’intégrer ces deux tendances, d’en exprimer le conflit essentiel. Virtuosité rose (le couple qui danse) et virtuosité noire (la poursuite) désignent ainsi la polarité constitutive d’une histoire que l’on reste libre de prendre au premier degré ou au contraire de considérer comme parfaitement illusoire, mais pas plus que tout film imposant sa réalité sans que l’on en soit jamais tout à fait dupe. Un divertissement enlevé, charmant et malicieux. 4/6
Fame (Alan Parker, 1980)
Cadre : la célèbre High School of Performing Arts de New York, sorte de conservatoire municipal où se retrouvent tous les prétendants à la gloire, apprentis musiciens, comédiens ou danseurs confrontés aux difficultés inhérentes à la voie choisie et dont ils découvrent qu’elle est loin d’être royale. Le relatif conformisme du script ne fait que mieux ressortir la volubilité du ton, l’énergie du style, l’étonnante maîtrise du rythme d’un metteur en scène formé à une école où il faut avoir tout dit en trente secondes, et dont le mérite est de mettre des personnages reproduisant dans ce milieu clos le monde extérieur dont ils sont issus (différences, inégalités, injustices), de montrer le rêve au moment du succès et la peur permanente de rester dans l’ombre, sans jamais parvenir à franchir la porte de jade du paradis perdu. 4/6
Soleil vert (Richard Fleischer, 1973)
À l’inverse de Solaris ou de Zardoz, qui lui sont contemporains, cette anti-utopie dénuée de stylisation psychédélique dépeint un avenir aussi inquiétant que plausible. Monde de chaleur étouffante, de pollution jaunâtre, d‘apocalypse écologique, de nourriture synthétique, de surpopulation et de pauvreté, de rationnement et d’esclavage, qui est aussi celui de la cryptocratie organisée où les firmes géantes dictent leur comportement à tous les hommes, jusqu’aux plus hauts placés. Conscient des courants allégoriques qui parcourent l’entreprise, Fleischer réduit au minimum le jeu des idées et le goût pour l’aventure, privilégie l’expression d’une SF maîtresse d’elle-même, libérée de ses signifiants spécifiques, de son intellectualisme primaire, et dont la clarté sèche, sans aménité, dénote bien la modernité. 4/6
À fleur de peau (Steven Soderbergh, 1995)
Le cinéaste s’inscrit pleinement dans le sillon du néo-polar post-moderniste avec ce film noir aux couleurs aqueuses et saturées, au climat métallique et glacé, qui transforme une histoire de garçon pris au piège du passé, d’une femme, de sa propre névrose, en élaboration mentale. La structure temporelle fragmentée situe l’action dans la conscience de cet homme-enfant piégé par une intrigue œdipienne, où tout est mensonge, labyrinthe, volute cérébrale, et dont la pirouette finale désigne le seul gagnant de la partie : l’ultime avatar du Père, qui se trouve du côté du pouvoir. Mais la manière assez artificielle d’abstraire le genre sent quelque peu l’effort, et apparente le résultat à un travail d’étudiant inachevé, d’autant plus frustrant qu’il ne va pas sans une certaine mollesse dans son développement dramatique. 3/6
L’apprenti salaud (Michel Deville, 1977)
Dès le premier plan on est prévenu : voici un jeu dont on nous invite à être les complices, un jeu sur l’apparence, la manipulation et la mise en scène. Deville n’est pas dupe de ses mensonges, il nous prend à témoin, revendique ses astuces d’illusionniste en multipliant clins d’œil et procédés de distanciation. Son montage survolté, que rythment les extraits de Bizet comme autant de leitmotivs ou de contrepoints, est fondé sur l’ellipse qui précipite l’action, accélère le récit, assure la mobilité permanente des sentiments, des dialogues, des comédiens. Et d’un sujet léger traité avec frivolité, naît un divertissement espiègle sur la complicité amoureuse, la perte de l’innocence, la fragilité d’un rêve rocambolesque, qui provoque un délicieux tournis et cherche, jusqu’à l’ultime seconde, à retarder le dégrisement. 5/6
For ever Mozart (Jean-Luc Godard, 1996)
Forever Godard. Après avoir filmé les cieux l’auteur filme cette fois la terre, c’est-à-dire la guerre, à travers l’aventure tragique de trois comédiens découvrant que l’on ne badine pas à Sarajevo. Comme toujours il y a de quoi s’irriter de ce système obsessionnel et mortifère enfermé en lui-même, de ce cinéma-magnétophone qui n’enregistre guère que des bruits parasites, sons brouillés ou citations incantatoires. Autant de partis pris assumés comme une réflexion sur la représentation : le réel y importe moins que l’impossibilité de le donner à voir, que l’omniprésence de fantasmes entravant la culture européenne et la séparant d’un monde en recomposition. Avec parfois quelques fulgurances (une robe rouge sur une plage gris perle), éclats d’une confession pathétique et crépusculaire en forme de miroir brisé. 3/6
Tueurs nés (Oliver Stone, 1994)
En racontant la cavale sanglante puis l’évasion d’un couple d’ex-enfants martyrs, définis par leur incommensurable stupidité, le cinéaste accouche d’un hachis épuisant d’images subliminales et convulsives qui ne cesse d’agresser l’œil, de provoquer, de disjoncter jusqu’à l’overdose. Il tente en quelque sorte la synthèse entre les amphétamines (rythme et boulimie insatiable) et les hallucinogènes (surgissement permanent de visions venues du western au film de prison, des restes de Bonnie et Clyde à ceux des Tueurs de la Lune de miel). Il traite surtout sa croisade contre la décadence en déchaînant une sorte de pornographie audiovisuelle, à la stridence aussi constante qu’arbitraire, et dont l’outrance accentue la grossièreté démonstrative de la charge-bulldozer contre l’exploitation médiatique de la violence. 3/6
Ces messieurs dames (Pietro Germi, 1966)
Quitter l’Italie du Sud pour la patrie de Goldoni n’empêche pas l’auteur de poursuivre son inventaire des médiocrités et petitesses des passions humaines. Ainsi observe-t-il à la loupe grossissante un quarteron de séducteurs licencieux et de cocus aphasiques, de pucelles en chaleur et de matrones acariâtres, vitelloni pour lesquels rien n’est scandaleux pourvu que ce ne soit pas public. En trois sketches construits sur un schème identique de satire sociale, il se livre à une satire acide des tabous qui pourchassent et persécutent l’amour dans les villes de province. La concision dans l’effet et la férocité du propos, vertus d’une ironie classique aimant à se souligner elle-même avec une prétention justifiée, permettent d’atteindre le point où la vulgarité devient un style et où ce style découle d’une honnêteté artistique. 4/6
Contes de juillet (Guillaume Brac, 2017)
Aléas du tournage, préparation minimale, revendication de l’amateurisme et, pour une certaine part, improvisation : tels sont les choix, inverses de ceux de la maîtrise, qui président à la conception de ces deux moyen-métrages placés sous le signe de l’impondérable, de la fraîcheur, de l’ouverture modeste à ce que le quotidien offre de beauté diffuse. S’appuyant sur le concours actif de jeunes comédiens longuement interrogés sur leurs parcours, leurs rêves, leurs amours et leurs convictions, Brac relève avec finesse un éventail d’élans, de dispositions et de variations affectives prélevées à la douceur estivale, caisse de résonance où la parole se donne facilement mais où un geste trop empressé, un mot malhabile, une attitude impromptue peuvent contrarier l’harmonie d’une amitié ou d’un jeu de séduction. 4/6
Et aussi :
Fucking Åmål (Lukas Moodysson, 1998) - 5/6
La Fiancée du pirate (Nelly Kaplan, 1969) - 5/6
L'homme qui voulait savoir (George Sluizer, 1988) - 5/6
The guilty (Gustav Möller, 2018) - 4/6