Panique à Needle Park (Jerry Schatzberg, 1971)
Pour cette nouvelle plongée dans la détresse humaine, le réalisateur autopsie la descente aux enfers d’un couple de toxicomanes dans la mégalopole new-yorkaise. Milieu hostile peuplé de dealers, de drogués, d’indics, de prostituées, de petits truands, horizon d’extranéité qui explique et conforte le repli maladif d’êtres condamnés par la misère bétonnée du West Side de Mahattan. Le réalisme cru du tableau (avec quelques plans de piqûres bien insoutenables) est aussi empreint de chaleur et de compassion : l’autarcie de la mise en scène nous oblige ainsi à revoir constamment nos repères, et le monde, sa facticité, le désarroi des personnages, le travail des acteurs s’en trouvent éclairés, saisis par une lumière qui met en valeur leurs évolutions. Un film glauque, dur, mais intègre et généreux à sa manière. 4/6
Maudite Aphrodite (Woody Allen, 1995)
Entre New York et le temple de Taormine, l’esprit souffle, les imbroglios amoureux s’entremêlent, les destins se dénouent. Les dieux ne jouent pas à cache-cache, ils interviennent à tout moment déguisés en chœur antique, ils pensent, critiquent, participent et aident. Fil rouge d’un film que l’on peut qualifier de mineur, mais en précisant que Woody est comme les bons crus : ses petites années restent bien supérieures à tout ce que l’on peut trouver ailleurs. Chroniqueur du désarroi, il bouscule son ordinaire d’éléments disparates, grignote en gags oratoires ce qu’il gagne en polyphonie, et offre une malicieuse comédie sur l’incomplétude, la frustration, la paternité, les jeux du destin et du hasard, qui arbore de bien jolies couleurs. Quant à l’épatante Mira Sorvino, elle fait une adorable gourde. 4/6
L’homme qui aimait les femmes (François Truffaut, 1977)
Truffaut a sans doute voulu réaliser le portrait d’un suicidaire voluptueux qui cambriolerait la féminité presque malgré lui, d’un séducteur peu brillantiné dont la gravité du regard, la solitude conquérante, les gestes d’oiseaux aux aguets traduiraient le caractère marginal et passionné. Mais son héros apparaît davantage comme un adolescent immature emprisonné dans un corps d’adulte, et dont l’obsession fétichiste pour les jambes du beau sexe, la quête d’un idéal féminin resté bloqué au stade de l’Œdipe et le donjuanisme irréversible relèvent davantage de la pathologie. Le fait que toutes ces dames lui succombent, et que le cinéaste cherche à rendre belle et poétique son obsession de chasseur fragile, accentuent la vague antipathie que dégage ce film pourtant alerte et brillant, d’un cynisme pathétique. 3/6
Spéciale première (Billy Wilder, 1974)
Nouvelle adaptation de la pièce que Hawks avait si brillamment portée à l’écran, cette satire féroce du métier de journaliste réactive la rosserie caractéristique qui permet au cinéaste de brosser, film après film, un panorama de l’Amérique dont la virulence a rarement été égalée par ses concitoyens "de souche". Circonscrite dans un quasi huis-clos que le réalisateur exploite avec une minutie épidermique, elle mitraille en tous sens, stigmatise l’opportunisme cynique de la presse, l’incompétence des forces de l’ordre, la veulerie de la classe politique, et ne réserve son peu de tendresse qu’à une figure de prostituée au grand cœur. Même l’amitié et l’amour sont des valeurs sans avenir dans un tel milieu : constat sarcastique que le rythme sans faille et l’efficacité comique de l’ensemble rendent savoureux. 4/6
L’hermine (Christian Vincent, 2015)
Étrange hybridation à laquelle se livre ce film résolument en mode mineur, pourtant prudent comme un mère sortant ses petits et prévisible comme les douze coups de midi : croiser le déroulement d’un banal procès d’assises et l’hésitante aventure sentimentale du juge bougon qui mène les audiences. Si ce n’était une écriture précise sachant éviter les fausses notes à un récit qui lui prête le flanc (la galerie des gens modestes du Nord frise par instants la typologie sociologique), on se saurait trop sur quel pied danser. Car entre le drame juridique façon Douze Hommes en colère, la comédie romantique à l’étouffé et le portrait d’un homme sans qualités qu’un sursaut du cœur vient tardivement animer, les registres papillonnent sans jamais se fixer, atténuant l’intérêt de chacun d’entre eux. 3/6
21 nuits avec Pattie (Arnaud & Jean-Marie Larrieu, 2015)
Le cinéma des Larrieu est habité par une soif d’absolu héritée des surréalistes mais passée par le filtre des révolutions sexuelles des années 60. Et l’aventure de cette jolie quadra timorée (Isabelle Carré, toujours aussi charmante) parmi les joyeux libertins lubriques du Midi agit comme un précipité licencieux de leur poétique. On y parle crûment, avec une verdeur iconoclaste, des élans du corps, on y croise des personnages sympathiques aussi troubles qu’amusants, on court après la dépouille d’une morte qui fait le mur, on s’immerge dans les eaux d’un épicurisme salace relevé d’un soupçon de fantastique provincial. La fraîcheur et la fantaisie bucoliques de l’ensemble sont assez contagieuses, agissant comme une régénérescence par la nature, une thérapie douce pour la réappropriation du désir. 4/6
Knight of cups (Terrence Malick, 2015)
Ce que l’on pouvait redouter a finir par se produire : la centrifugeuse malickienne est devenue une machine à produire de splendides images, qui tourne sur elle-même comme un derviche cinglé pour exploser en plein vol. Pas une seconde on ne doute que le Texan soit derrière la caméra, ce qui constitue ici, contrairement à une théorie répandue, un sérieux problème. Larguant définitivement les amarres de toute accroche narrative ou dramatique au profit d’une épuisante hémorragie visuelle, parfois très saisissante dans sa capacité à saisir une effervescence, une frénésie, un morcellement très contemporain, l’œuvre s’offre comme un long flux ectoplasmique de vsions-clichés, de silhouettes vides, de ruminations ésotériques, dont les préoccupations existentielles flirtent dangereusement avec l’ego-trip. 3/6
La charge de la brigade légère (Tony Richardson, 1968)
Loin de la version exaltée de Michael Curtiz, le cinéaste britannique s’éloigne de toute glorification et, conforme à sa personnalité sarcastique autant qu’à l’esprit de dénonciation critique qui anime son époque, apporte sa voix à la série de pamphlets antimilitaristes dont Les Sentiers de la Gloire est le jalon le plus définitif. Les manœuvres guerrières ne traduisent ici que pantalonnades d’officiers crétins et grotesques, querelles d’ego entre badernes irresponsables, confits de suffisance et de bêtise, à la solde d’un Empire victorien dont l’impérialisme est sévèrement embroché. Le réquisitoire n’hésite pas à flirter avec la satire, nourri par quelques épisodes animés assez cocasses d’ironie grinçante, et ne retient du conflit que la souffrance des hommes, le choléra, l’absence de logique et de responsabilité. 4/6
Et aussi :
L'image manquante (Rithy Panh, 2013) - 4/6
The lobster (Yorgos Lanthimos, 2015) - 4/6
Le bouton de nacre (Patricia Guzman, 2015) - 4/6
Le fils de Saul (Laszlo Nemes, 2015) - 4/6
Avril ou le monde truqué (Franck Ekinci & Christian Desmares, 2015) - 4/6
La cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920) - 4/6
Une nuit à l'opéra (Sam Wood, 1935) - 2/6
The other side (Roberto Minervini, 2015) - 4/6