Petite synthèse d'un mois très asiatique, notamment pour ce qui concerne le haut de bilan. Je dois dire que le niveau global est assez remarquable, ce mois-ci :
Voyage à Tokyo, de Yasujiro Ozu (1953), se révèle comme le chef d'oeuvre annoncé. Etant très fan d'Ozu en général, j'ai longuement repoussé le visionnage de ce qui est souvent présenté comme son meilleur film, sans doute par peur d'être un peu déçu. Et c'est tout le contraire, il s'agit d'un film magnifique, d'une grande pudeur et d'une immense sensibilité, qui m'a profondément bouleversé tellement, en cours de visionnage, les notions de "meilleur film" et autre se sont estompées face à la force tranquille du récit et aux personnages.
Lumière d'été, de Jean Grémillon (1943) est un drame poignant, un récit grave dans lequel chacun suit sa voie, avec des dialogues de Prévert, très justes, et une façon de filmer paysage de montagne et friche industrielle tout à fait unique. Il vient de ressortir en salle, je le recommande vraiment à ceux qui ont l'occasion d'aller le découvrir.
Le grand attentat, d'Eiichi Kudo (1964) est un excellent chambarra. L'action y est filmée caméra à l'épaule, avec une modernité saisissante. Les personnages sont nombreux, mais ils sont tous attachants et ont une personnalité bien tracée et perceptible. Au final, on aboutit à un film qui évoque quelque chose entre
les 12 salopards et
les 7 samourais, et laisse un souvenir durable. Mention spécial à un personnage féminin mémorable.
Le sang du damné, de Hideo Gosha (1966), un magnifique polar dans lequel Tatsuya Nakadai déploie son charme à la manière d'un Alain Delon. Mention spéciale à une BO très jazzy et bien fichue.
Le bonheur, d'Agnes Varda (1965), dans lequel la cinéaste "démonte le message de la publicité en empruntant son propre vocabulaire". Un film tout à fait spécial, mais d'une grande pertinence.
L'intendant Sansho, de Kenji Mizoguchi (1954), est un très bon film du cinéaste, dans lequel la précision des cadrages et du découpage appuie là où ça fait mal. Il est intéressant que ce film, qui évoque une nouvelle fois un personnage féminin en souffrance, le fasse cette fois-ci par la marge, en suivant un autre personnage. Définitivement un film à revoir.
Dodsworth, de William Wyler (1936). Voici un film qui ressemble beaucoup à un autre film,de Borzage, que j'ai aussi vu ce mois-ci :
They had to see Paris. L'argument de départ est simple, une famille américaine "moyenne", devenue riche, voyage en Europe, parce que l'épouse fantasme une Europe de mondanités et de distinction fantasmée. Dans les deux films, les Européens, nobles déchus, gigolos ou petits mondains, font rêver madame, tandis que le pragmatisme de Monsieur déchiffre les apparences et perce à jour les profiteurs. Le Borzage est une comédie familiale, le Wyler un film d'amour. Ce dernier a très nettement l'avantage. Beaucoup plus fin (une fois n'est pas coutume), il offre aussi à Walter Huston un de ses meilleurs roles.
Derrière ces très gros coups de coeur, je note la découverte d'
El Chuncho à la Cinémathèque dans une copie de toute beauté. Un excellent western. J'ai achevé la révision des Harry Potter dans un bref délai, et je dois dire qu'à la révision, l'ensemble reste assez impressionnant, au delà de la réussite ponctuelle de tel ou tel opus : aucun projet, étalé sur une telle durée, n'a su auparavant préserver pareille cohérence, que ce soit au niveau du casting, du visuel, du récit, de l'univers, tout en accompagnant la maturité du public présumé du film (premiers films simples, derniers films complexes et pessimistes). Cette révision sur une courte durée l'atteste de façon très nette, et se révèle largement plus gratifiante que le visionnage annuel en salle (à chaque fois j'avais tout oublié de l'épisode précédent
). Mention spéciale aux
Hauts de Hurlevent version Andrea Arnold, qui m'a soufflé visuellement.
Dans le documentaire de Shohei Imamura,
En suivant ces soldats qui ne sont pas revenus, une conversation au coin du feu me restera longtemps en tête.
Niveau déception,
Fritz the Cat (Ralph Bakshi, 1972) est vraiment un film d'animation très médiocre, et il ne doit sans doute son "prestige" qu'à sa représentation transgressive des années 60 (du sexe dans un dessin animé, quel choc). Je veux croire que la BD de Crumb lui est supérieure.