Lorsque Samuel Fuller et Curtis Hanson adaptent en 1981
Chien Blanc, de Romain Gary, quelques 11 ans après la parution de ce récit parfaitement autobiographique, ils en font un thriller tragico-horrifique et ils ont bien raison. On imagine mal Fuller se casser la fiole à essayer de trouver des sosies du romancier français et de sa compagne Jean Seberg. Car
Chien Blanc est un roman français, des pieds à la tête, avec ce je-ne-sais-quoi d'apatride qui caractérise un auteur qui rappelle avec un détachement faussement candide et réellement cinglant qu'il est tartare du côté
"pogromeur" de son père et juif du côté
"pogromé" de sa mère.
Chien Blanc est un livre sensationnel. Et gonflé car Romain Gary négocie avec insolence (ce qui m'avait complètement déconcerté lorsque je l'ai lu très jeune) la cohabitation de l'essai autobiographique, de l'étude sociétale décapante avec le roman animalier aux réminiscences très "Jack London". Gary, désabusé mais indécrottablement militant (on ne se refait pas), livre un témoignage capital sur l'invraisemblable climat de violence, de haine, de suspicion, de confusion idéologique qui submerge l'Amérique de la fin des
sixties. Il faut lire ce moment où l'auteur et Jean Seberg apprennent dans un taxi, par la radio, l'assassinat de Martin Luther King. Le conducteur est noir, mutique, mais il demande à Gary trois fois de suite de lui redire l'adresse où il doit se rendre. Gary est une langue de pute redoutable : il dézingue autant les bobos ricains avides de bonne conscience (Marlon Brando!!) que les activistes noirs complètement cintrés qui prônent l'engagement de recrues noires dans la guerre du Viêt-Nam. Non pas pour combattre les Viets dont ils n'ont rien à foutre, mais pour s'entrainer à la guérilla, rentrer au pays et renverser les Blancs. Et bien entendu, il y a les autres, ceux du Sud, qui, de père en fils, reconduisent la tradition du dressage des chiens à bouffer du Noir. Car
Chien Blanc, tout comme
White Dog, traitent du plus terrible sujet qui soit : la folie animale. Qu'y a-t-il de plus effrayant que de se dire qu'un animal subit tellement la folie des hommes qu'il peut en générer une bien à lui?
Ce chien fou, Fuller le filme comme Gary l'écrit. Comme une grosse nappe blanche striées de crocs (Gary compare le chien en furie à un Picasso, les yeux d'un côté, la gueule de l'autre).
Fuller, en (très) bon cinéaste qu'il est, n'a pas le temps de faire de la littérature (en gros, il a 1h30). Il doit concentrer ses efforts sur l'atmosphère, la vérité des lieux. Ainsi, le film nous fait visualiser le Beverly Hills que décrit Gary avec ses villas surplombantes et ses "garrigues" pentues. Lorsque le chien déboule sur le palier de Kristy McNichol, c'est celui de Romain Gary que nous visualisons et lorsque nous nous trouvons dans l'enceinte animalière de Carruthers, nous reconnaissons celle du roman. A part cela, peu de rapports profonds entre les deux œuvres, si ce n'est une intense communauté d'idées qui claironne
"l'amour des chiens et la haine de la chiennerie".