Ressortie de
Zabriskie Point ainsi que bien d'autres Antonioni au Champo Jacques Tati. Je ne pouvais rater cette occasion. (
Je suis Antonionien, oué ! )
Grosse constatation en arrivant à la séance de 16h (je séchais un cours pour la bonne cause
) : une foule abondante jusque dans la rue.
"Excusez-moi, c'est bien la queue pour Zabriskie Point ?
_ Oui, oui."
Et même la salle était pleine à craquer.
(Vivement le dvd si jamais il sort un jour...)
Après 10 minutes, le film commence, après l'emblème rugissant de la MGM, c'est le générique sépia sur fond de percussions battant comme un coeur : en fond visuel encore flou, la discussion estudiantine qui conduira aux émeutes. Des gros plans isolés qui disparaîtront aux profits de cadrages "reportages" dès que le générique sera fini. Antonioni filme avec une rare sobriété la jeunesse en révolte mais aussi dès les 20 premières minutes un pays en crise.
On a beaucoup évoqué la crise chez Antonioni, qu'elle soit dans un couple ("
la notte") ou se répercute à un niveau mondial ("
L'éclipse" et sa fin hallucinante) ou le psychisme d'un individu ("
Le désert rouge"). Ici, c'est une crise moins psychologique et affective que morale, parfaitement ancrée dans sa seconde trilogie (je prend ses 3 premiers films des 60's comme sa première trilogie. Ou quadrilogie si on remet "le désert rouge" mais je ne sais pas, il me semble bien plus à part que tout autre film dans sa filmographie personnellement...) entre
Blow-up ("qu'est ce que j'ai vu ? Qu'est-ce qui était réel ?") et
Profession Reporter ("qu'est ce que l'identité ? Qui est l'Autre ?"). C'est à une société sans valeurs et sans culture que nous assistons : des policiers qui notent bêtement le nom de Mark et que celui-ci répond : "Karl Marx" (ils l'écriront "Carl Marx"
) en passant par de superbes prises de vues en mouvement où le réalisateur mélange images de publicités omniprésentes avec sons stridents et agressifs à peine échappés du
Desert Rouge. Le message semble clair même si suggéré : on échappe pas à la société de consommation. Les originaux, les déviants sont soient relégués ailleurs, au fond du désert (le gamin qui joue tout seul de "sa harpe", le superbe travelling sur le petit vieux solitaire dans le bar effectivement digne d'un tableau de Hopper --superbe
--) quand ils ne sont pas éliminés pour s'être rebellés contre l'ordre établi (la manifestation étudiante au début qui tourne mal) ou simplement pour avoir un tant soit peu protesté ou ont étés confondus (Mark...).
Et comme dans de nombreux Antonioni, on retrouve le désert, ici seul lieu véritable où s'aimer le temps d'une journée, ce qui donne lieu à une très belle séquence onirique où l'acte d'amour entre les deux protagonistes retourne à la nature, une sorte de bestialité douce, mélangé à plusieurs couples imaginaires sur une sobre guitare accoustique qui fera écho plus loin à la guitare électrique de sensation de liberté d'un Mark revenant avec l'avion volé, se croyant presque libre (le pauvre...).
Au passage, je reste impressionné par la scène d'approche entre la plymouth de Daria et l'avion de Mark : j'ai beaucoup pensé à cet avion inquiétant de "La mort aux trousses" d'Hitchcock, surtout quand Daria est sortie de la voiture et que l'avion passe juste à un mètre d'elle quand elle s'est alongée dans le sable. Hommage ? Clin d'oeil ? Affabulation d'Anorya ?
Et cette séquence finale d'explosions et d'objets en suspension sur fond hypnotisant de Pink Floyd. Du grand art. Tous les objets qui flottent peuvent sembler démodés ou ridicules, plastiquement, la vision l'emporte : tout flotte tel une boule de flocons de neige géante que le réalisateur aurait agité : bienvenue dans l'espace, bienvenue ailleurs. Magnifique.
4,5/6.
Ce n'est pas mon Antonioni préféré mais quand même. Scotchant.