Le film a été réalisé en 1971 par les italiens Gualtierro Jacopetti et Franco Prosperi, qui s'étaient faits connaître en 1962 avec leur sulfureux documentaire Mondo Cane (qui faisait partie du même coffret et que j'ai aussi pris au passage, ainsi qu'Africa Addio, mais dans sa version censurée).
Addio Zio Tom (aka. Les Négriers / Adieu, Oncle Tom / Goodbye, Uncle Tom) est un faux documentaire sur l'esclavage aux USA dans les années 1830. C'est aussi un film conceptuel : en 1971, une équipe de réalisateurs de documentaires s'envole en hélico et atterrit dans le Sud des Etats-Unis cent-quarante ans auparavant. Ils peuvent donc filmer ce dont tout le monde a entendu parler, a lu mais n'a jamais vu : les horreurs de l'esclavage dans les plantations de la Louisiane, Géorgie, Mississippi... Ils ramènent au XXe siècle 2 heures d'images-témoins qui montrent en détail : le transport des esclaves depuis l'Afrique, leur arrivée et dépouillage dans le Sud, leur vente sur les marchés aux esclaves, leur conditions de vie et d'exploitation sur les plantations, leurs rapports avec leurs maîtres et entre eux, leurs reproduction dans les fermes à esclaves, leurs révoltes, etc... Le film commence et finit par un brûlot politique : des vues d'actualité sur la situation des Noirs dans l'Amérique de la fin des années 1960 (ghettos, soulevements, Black Panthers, meurtre de Luther King...), présentée comme la suite logique de leur effroyable histoire au siècle précédent.
Le film a été tourné au format Cinémascope à Haiti (avec la bénédiction de Papa Doc Duvalier et des Tontons Macoutes), dans des paysages et des propriétés splendides (même si un peu décaties, ce qui ajoute encore au réalisme) avec des milliers de figurants Noirs, hommes, femmes et enfants, nus dans la plupart des scènes. Ce que les réalisateurs leur on fait faire est dingue ! Pour quel salaire ?
Le film a une tenue exceptionnelle pendant deux heures dans sa représentation pourtant sans concession des scènes : les scènes de dortoirs, de nettoyage et de vente des esclaves... sont stupéfiantes de réalisme. Les familles de planteurs sortent tous droit d'un Autant en Emporte le Vent qui aurait été filmé sur place. Seulement, les petites filles blanches en robes du dimanche traînent des gamins noirs en laisse... Pourtant, le film dérape à un certain moment - la partie qui aborde l'attraction sexuelle des Blanc(he)s pour leurs esclaves Noir(e)s - là, on est dans un pur film d'exploitation des années 70 avec fesses et tétons à gogo. En revanche, la fin est absolument sublime,
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Evidemment, le film est tellement choquant qu'il a été immédiatemment interdit de sortie en salles dans sa version d'origine en 1971 : les réalisateurs ont été obligé de couper des scènes, d'en retourner d'autres et de finalement présenter au public un film très édulcoré, qui n'avait pas grand chose à voir avec leur idée de départ. Et même dans cette version allégée, l'unanimité des protestations a obligé le distributeur à le retirer de l'affiche en moins de deux (même si certaines critiques de l'époque, comme le NY Times, ont salué l'incroyable audace des réalisateurs). Grâce à ce DVD (image et sons excellents, remasterisés d'après leur négatif original), Addio Zio Tom peut être découvert pour la première fois dans sa version d'origine, le Directors' Cut. Un incroyable brûlot dont on ne sait pas exactement s'il est d'extrême droite ou d'extrême gauche...
NB : lu comme ça, on peut avoir l'impression qu'Addio Zio Tom est un pur film d'exploitation, comme les Italiens en ont tant fait dans les années suivantes (cf. Cannibal Holocaust justement). Ce n'est pas le cas. Il y a dans le film des éléments d'exploitation indéniables mais la charge politique de cet OVNI écrase tout et l'inspiration réelle de nombreuses scènes en fait aussi un très bel objet cinématographique. A tel point que je le place dans mes grandes découvertes de ces derniers mois avec Soy Cuba ou La Bataille d'Alger.
Quelqu'un l'a vu ?